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Union suisse des paysans: 125 ans de promotion de l'agriculture
01.06.2022 – La population suisse s'identifie fortement à l'agriculture. L'Union suisse des paysans (USP) a posé la première pierre de cet attachement lors de sa fondation il y a 125 ans et n'a cessé de s'en servir sur le plan politique.
C'est le 7 juin 1897 que l'USP voit le jour, sous l'impulsion de parlementaires fédéraux décidés à unir leurs forces pour mieux représenter la cause paysanne. Les familles paysannes de Suisse souffraient alors de pauvreté en raison de revenus devenus trop faibles.
Le chemin de fer et les bateaux à vapeur ayant facilité le transport des marchandises, la concurrence croissante des importations n'arrangeait pas les choses.
Le "mythe paysan"
Le premier secrétaire de l'USP, Ernst Laur, est à l'origine de l'idéologie dite de la paysannerie. Il l'a activement propagée, explique Karel Ziehli, politologue et rédacteur de l'"Année politique suisse" de l'Université de Berne.
Le "mythe paysan", comme il l'appelle, héroïse l'agriculteur comme porteur de la tradition et de la morale helvétiques. Ce faisant, Ernst Laur réunissait les paysans et donnait à la Suisse une identité collective. Il était lui-même agronome, pas agriculteur, souligne Karel Ziehli. L'idéologie de la paysannerie provient donc
d'une classe élitaire et bourgeoise.
Sauveur de la nation
Cette idéologie prend de l'ampleur pendant les deux guerres mondiales. "Les paysans étaient considérés comme les sauveurs de la nation", explique le politologue. On a dissimulé le fait que le nombre de calories par personne avait été abaissé lors du rationnement des denrées alimentaires, pour maintenir l'image d'une
agriculture forte.
Pour l'actuel président de l'USP, le conseiller national Markus Ritter (Centre/SG), les guerres mondiales et l'approvisionnement de la population en vivres ont représenté une période de défis pour l'association: "De nombreux paysans étaient au service militaire", explique-t-il.
"Gouvernement de l'ombre"
Après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les associations ont généralement eu une grande influence sur la politique suisse, dit M. Ziehli. Le journal "Schweizer Bauer" parle d'un "gouvernement de
l'ombre" qui a dirigé le pays pendant des décennies.
Outre l'USP, l'Union suisse du commerce et de l'industrie (Vorort, devenue aujourd'hui EconomieSuisse), l'Union patronale, l'Union syndicale suisse (USS) et l'Union suisse des arts et métiers (usam) faisaient partie de la délégation économique permanente du Conseil fédéral.
Lutte contre la libéralisation du marché
Vers années 1990, le terrain politique s'est progressivement asséché pour l'Union suisse des paysans. La politique d'importation stricte en vigueur jusqu'alors - et donc les prix - sont mis sous pression, notamment par l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), ancêtre de l'Organisation mondiale du
commerce (OMC). En 1990, l'USP manifeste dans ce contexte devant le secrétariat du GATT à Genève.
S'en suit en décembre 1992 la votation sur l'adhésion à l'Espace économique européen (EEE). "Les paysans s'y sont massivement opposés", dit Karel Ziehli. En tête: l'entrepreneur Christoph Blocher, alors conseiller national (UDC/ZH).
Le futur conseiller fédéral s'est lui aussi servi du mythe paysan, affirme le politologue. Il a fait de la publicité contre l'adhésion à l'EEE en agitant des cloches.
"Désintégration des revenus"
M. Ziehli cite une étude des années 1990 qui disait que 38% de la population suisse se considéraient comme des "paysans mentaux". Un sentiment qui n'a toutefois pas servi l'USP concernant la pression sur les prix: "La seule solution a été d'introduire des paiements directs", rappelle le politologue.
D'après Markus Ritter, ces paiements représentent actuellement 20% du chiffre d'affaires total de l'agriculture suisse "en tant que dédommagement pour les prestations exigées par la Confédération,
respectivement par la population".
Selon l'USP, la concurrence accrue a entraîné une "désintégration massive des revenus agricoles" dans de nombreuses exploitations. Des manifestations ont eu lieu devant le Palais fédéral et une grève européenne du lait a été lancée.
Entre-temps, l'association s'est opposée à un accord de libre-échange avec l'UE et à la nouvelle politique agricole de la Confédération. Selon elle, les problèmes se sont accumulés vers les années 2010 au lieu de se résoudre.
L'attachement jusqu'aux urnes
En 2013, l'USP lance avec l'UDC l'initiative "Pour la sécurité alimentaire". Finalement, elle se range derrière le contre-projet direct du Parlement. Avec succès: près de 80% de la population suisse l'approuve en 2017.
Encore une fois, le paysan comme "sauveur de la nation"? Karel Ziehli cite une étude réalisée cette année-là, dans laquelle 95% de la population déclare que l'agriculture est une partie importante de la culture suisse.
"Mentalement, la population reste attachée à l'agriculture", affirme également Markus Ritter, même si moins de 3% de la population active travaille désormais dans ce secteur.
Pour l'usage de pesticides
Avec Markus Ritter, c'est un agriculteur bio qui est à la tête de l'USP depuis 2012. Selon ses statuts, l'association "défend les intérêts de la paysannerie". Aux yeux du Saint-Gallois, il convient de se concentrer sur les points communs.
Karel Ziehli constate lui que l'association freine sur les questions biologiques. A l'incompréhension de Bio Suisse, l'USP s'est ainsi opposée en 2021 à l'initiative contre les pesticides de synthèse. La majorité des électeurs suisses s'est alors à nouveau rangée derrière l'association. Un indice pour le politologue que le
"mythe paysan" continue d'avoir des conséquences.
Climat et égalité des droits
S'agissant de l'avenir, Markus Ritter voit plusieurs défis, dont la production durable, le basculement climatique et la raréfaction des ressources. Karel Ziehli en cite un autre: l'égalité femmes-hommes.
"Pour qu'il y ait égalité, il faudrait que le travail des femmes soit reconnu et rémunéré en conséquence", dit-il. L'association a déjà fait un pas. Selon "Schweizer Bauer", elle lancera son nouveau logo à la mi-juin. L'USP veut à nouveau illustrer la proximité de la population suisse avec l'agriculture: "Paysannes et paysans suisses - pour toi".
Auteur : Agence Télégraphique Suisse (ATS)