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VS: A l'affût du loup, des bénévoles protègent des troupeaux en estive
30.07.2021 – Depuis cet été, des bénévoles surveillent trois alpages valaisans attaqués à plusieurs reprises entre 2019 et 2020 par le loup. La mission qu'ils ont acceptée: prendre le relais du berger du coucher du soleil au lever du jour et effrayer le grand prédateur s'il venait à s'approcher trop près du troupeau.
Il fait noir sur l'alpage de Corbassière qui s'étend entre le bisse et le torrent du même nom dans le Val de Bagnes. Alors que 270 moutons se prélassent dans leur enclos de nuit électrifié, deux bénévoles s'activent toutes les dix minutes à illuminer avec des puissantes lampes torches les parois de la vallée.
La surveillance commence à 22h sous un ciel constellé d'étoiles.
Bien emmitouflés, au coin d'un feu bienvenu, ils se relaient avec application. Kelly et Daniel sont deux des 120 bénévoles recrutés cet été par l'organisation qui vise la protection des alpages suisses (OPPAL). Pour cette année de lancement, son programme d'aide se déploie sur trois alpages - un dans l'Entremont, un dans le Val de Bagnes et un sur Trient.
"Nous souhaitons soutenir des éleveurs au bord de la rupture, poussés par les loups à cumuler des heures de travail pour protéger leur troupeau", explique Jérémie Moulin, président d'OPPAL à Keystone-ATS. C'est en voyant leur épuisement qu'il a décidé avec d'autres de trouver une solution pour leur alléger la tâche, se rappelle-t-il. L'organisation et son programme étaient nés.
Plus farouche
Sur l'alpage, la nuit avance au rythme des rondes. En plus des lampes, les bénévoles disposent de lunettes thermiques qui permettent de visualiser les animaux dans le noir. Kelly, une trentenaire qui travaille pour une organisation de protection de la nature est à la manœuvre. Mais cette nuit, elle ne distingue pas de prédateur.
La veille en revanche, elle et Daniel ont observé à deux reprises "des paires d'yeux brillants". Dans le doute et "avec une poussée d'adrénaline", ils ont appliqué les mesures d'effarouchement. Le lendemain Jérémie Moulin a analysé les images capturées: deux individus ont bien pointé le bout de leur museau à des moments différents de la nuit.
Depuis trois semaines que les moutons sont installés dans leur cirque estival, les bénévoles ont observé le grand prédateur un peu moins d'une dizaine de fois mais aucune attaque n'a été enregistrée. "Notre solution semble donc, pour le moment, adaptée à cette estive", se réjouit Jérémie Moulin qui vivrait tant la fin de la montée à l'alpage, la mort des moutons ou le tir du loup comme des échecs.
Entouré de trois chiens très affectueux, le berger abonde. Les premiers jours, le loup était moins farouche et s'est même retrouvé à une vingtaine de mètres d'une bénévole. Depuis, il revient et s'approche moins souvent du troupeau.
Soutien "extraordinaire"
Pour l'éleveur Yves Bruchez, qui monte ses moutons à Corbassière depuis 1997, le retour du loup dans les Alpes marque "la fin de l'agriculture de montagne". En 2020, il a perdu 44 bêtes, à la suite de plusieurs attaques, raconte-t-il, encore ému. Après ce carnage, celui qui est passionné par son métier s'est promis qu'en cas de récidive il ne remontrait plus.
Aujourd'hui, il se dit "très satisfait" de la solution proposée par OPPAL et du "soutien extraordinaire" des bénévoles. Mais il doute de sa viabilité à long terme. Pour la pérenniser, "il faudrait pouvoir impliquer les civilistes et le faire le plus rapidement possible. Pas dans quinze ans", insiste-t-il. Un autre bout de solution serait selon lui "d'équilibrer la situation et permettre à un éleveur de tirer un loup qui s'attaque à son troupeau".
"Nous n'avons pas de problème de recrutement", rassure Jérémie Moulin. L'étudiant en biologie à l'Uni de Lausanne relève un "gros soutien venu des habitants des villes". Les profils sont très différents allant de chasseurs à citadins.
Une voie médiane
Après une petite pause, Daniel, retraité genevois, revient autour du feu poursuivre sa ronde. "Je ne suis ni pour, ni contre le loup, mais avec les éleveurs, analyse-t-il. Il faut absolument que ville et campagne soient solidaires". Et justement, OPPAL offre cette occasion de "trouver une voie médiane entre deux postures - pro et anti-loups - qui paraissent irréconciliables, estime Jérémie Moulin.
Le Vollégeard s'étonne du manque d'inscription des gens de la vallée qui pourraient fournir un "soutien concret" aux éleveurs, souvent des voisins, plus efficace qu'un partage de photos de moutons égorgés. Beaucoup d'habitants ont salué le projet, quelques-uns sont toutefois venus dire aux bénévoles tout le mal qu'ils en pensaient.
Lorsque le Grand Combin prend des couleurs rosées et que, au loin, les Dents du Midi se dégagent de la pénombre, Kelly et Daniel terminent leur part du travail. Il est 6h00. Cette nuit, ils n'ont pas vu de grands prédateurs. Une petite déception qui disparaît derrière l'impression d'avoir accompli leur mission première, celle de dissuader le loup de revenir.
Auteur : Agence Télégraphique Suisse (ATS)