Main Content
Agriculteur, un métier de passion… Mais jusqu’à quand?
C’est à Kirchberg, dans le canton de Berne, lors de la traditionnelle conférence de presse du nouvel an de l’Union suisse des paysans (USP), que nous avons rencontré Damien Rey. Cet ingénieur agronome de 31 ans, également agriculteur, incarne les enjeux discutés ce jour-là: la fragilité des revenus agricoles et l’avenir des exploitations familiales en Suisse. Avec un salaire horaire moyen de 17 francs et des semaines de travail qui tournent souvent entre 60 et 66 heures, les défis sont immenses. Pourtant, Damien Rey a décidé de se consacrer pleinement à l’agriculture.
Entre bureau et exploitation: un équilibre temporaire
Actuellement, le jeune homme partage son emploi du temps entre un poste d’expert-crédit chez Prométerre (à 60%) et l’exploitation familiale, située à Châtonnaye dans le canton de Fribourg. Dès mars prochain, il réduira son activité de bureau à 20% pour se consacrer à 80% à la ferme. Dans quatre ou cinq ans, il espère reprendre entièrement le domaine, qui élève des vaches laitières pour la production du Gruyère AOP.
Mais qu’est-ce qui motive un tel choix, alors qu’il pourrait prétendre à des salaires bien supérieurs grâce à sa formation? "Être agriculteur, ce n’est pas qu’un métier, c’est un choix de vie", dit-il. "J’ai besoin de travailler avec la nature, de prendre soin des animaux et de produire de la nourriture. C’est un métier essentiel, qui donne un vrai sens à mon existence." Encore faut-il que cela soit viable.
Un métier sous pression économique
"Avant de me lancer, je me suis effectivement demandé si le jeu en valait la chandelle", reconnait Damien Rey. "Reprendre une exploitation, ce n’est pas seulement perpétuer un héritage familial. Cela demande de revoir les processus, d’ajuster les structures et de planifier sur le long terme. Et tout cela ne peut fonctionner que si les prix agricoles permettent de couvrir les frais de production et les risques." Or, dans de nombreux domaines, en particulier dans la production végétale, les prix sont clairement trop bas et ne couvrent pas les risques croissants, comme le souligne Martin Rufer, directeur de l’USP.
Les paiements directs jouent également un rôle fondamental dans l’équilibre. Même si quatre cinquièmes des revenus des familles paysannes provient de la vente de leurs produits. "Ces aides permettent de rémunérer les prestations d’intérêt général que nous fournissons, comme l’entretien des paysages. Mais devoir lutter chaque année contre des coupes budgétaires, c’est invivable! lance Damien Rey. Nous avons besoin de stabilité pour nous projeter dans l’avenir."
Des défis à relever
Trouver du personnel qualifié reste un défi majeur. "Cet automne, on a cherché quelqu'un. On n'a pas reçu beaucoup de téléphones. Pourtant, on avait ratissé assez large", confie encore le jeune Fribourgeois. Il s’interroge également sur la possibilité de travailler à plein temps sur son exploitation, une fois la reprise et les investissements nécessaires effectués. "Il n’est pas exclu que je doive avoir un travail complémentaire pour maintenir un revenu suffisant et une certaine qualité de vie. C’est un paradoxe frustrant: devoir chercher un revenu externe pour pouvoir produire de quoi nourrir la population", confie-t-il.
Pour l’heure, l’exploitation de Châtonnaye repose sur une organisation qui permet de préserver un certain équilibre. À trois pour gérer le domaine, ils peuvent s’accorder des dimanches de congé occasionnels. "J’espère pouvoir maintenir ce confort quand je reprendrai pleinement les rênes de la ferme. Sinon, je me demande si, dans quinze ans, avec mon diplôme d’ingénieur, j’aurai toujours envie de travailler pour 17 francs de l’heure…"
Se mobiliser pour que ça bouge
En attendant, malgré les difficultés, Damien Rey préfère "voir le verre à moitié plein". Et s’investir activement pour défendre la profession. En tant que président de la commission des jeunes agriculteurs de l'USP, il milite notamment pour sensibiliser la population urbaine aux réalités agricoles: "Nous devons continuer à démontrer que, contrairement à certains clichés, nous donnons le meilleur pour garantir le bien-être des animaux et préserver la nature. Notre priorité est de produire des aliments de qualité, mais il faut que le grand public comprenne que cela a un coût."
Damien Rey fait également partie d’un des groupes de travail de l’Office fédéral de l’agriculture, chargés d’élaborer la politique agricole 2030 (PA30). "L’objectif est de définir des conditions cadres qui garantissent des revenus suffisants et une production durable. Les enjeux sont énormes, mais j’ai bon espoir que cela avance dans le bon sens. Et sinon, j’aurai au moins essayé, à mon échelle, de faire bouger les choses."
Pascale Bieri/AGIR