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"AgroImpact rend opérationnelle la transition climatique"
Votre allié industriel de départ, Nestlé, vient de décider de changer de CEO dans un modus operandi ultra rapide qui ne lui ressemble pas. Avez-vous déjà eu contact avec eux par rapport à des échéances que vous avez en commun?
Nous avions justement une séance de travail ce mardi, et Nestlé nous a confirmé que le départ de Mark Schneider n’aura aucune influence sur AgroImpact et nos projets en commun: l’équipe Nestlé Suisse tient ses engagements pour soutenir la transition climatique de l’agriculture suisse.
Lors d'un entretien chez Nestlé cet hiver [notre article], Daniel Imhof, agronome et responsable des affaires agricoles pour Nestlé Suisse, nous annonçait l'engagement de nouveaux acteurs de poids dans AgroImpact. Quels sont-ils, et dans quelle dynamique vous trouvez-vous aujourd'hui?
Dix-sept nouveaux membres ont rejoint la structure, et un grand distributeur sera annoncé ces tous prochains jours. On peut déjà citer Inoverde du groupe Fenaco, Zweifel, le Groupe Minoteries SA pour les céréales, Sucre Suisse SA et la Fédération suisse des betteraviers, et puis des instituts de recherche tels que l’Agroscope, la HAFL ou l’UniNE. Tout cela nous a permis de compléter les différents collèges décisionnels. Cette première année doit aussi permettre à chaque nouveau canton d’obtenir son autonomie de fonctionnement, en formant ses propres conseillers sur des fermes-pilotes, afin, ensuite, de monter en puissance en termes de volumes traités.
Dans une société de réseaux et d'oppositions, de dénigrement très souvent, vous venez avec un projet qui fait travailler les universités et le commerce, la recherche et l'argent, pour le bien commun. Décrivez-nous très brièvement ce qu'il y a de très innovant, scientifiquement, dans l'outil de bilan carbone et d'accompagnement des exploitants agricoles que vous proposez.
L’innovation est déjà dans le mode de gouvernance, avec une réelle mise en œuvre de la notion "d’intelligence collective", afin de rendre opérationnelle la transition climatique sur les fermes, en respectant les intérêts de tous les acteurs de la filière. Ensuite, pour ce qui est des outils, il y a eu un gros travail depuis 5 ans, de la part d’instituts de recherche et d’experts en gaz à effets de serre, et nous ne mettons en pratique que des outils respectant les standards internationaux. Pour prendre un exemple, on peut désormais prédire la séquestration additionnelle de CO2 dans les sols de façon fiable.
Et qu'est-ce qui nous garantit l'indépendance totale des scientifiques qui collaborent au projet?
Notre collège "recherche" est composé d’experts dans différents domaines: biodiversité, climat, politique, sciences sociales, économie. Ils ne sont pas payés par nous, mais essaient de le rattacher à leur propre programme de recherche, par exemple pour l’impact socio-économique du dispositif AgroImpact, ou pour des méthodes de quantification qui peuvent intéresser la HAFL (Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires). Ils apportent un regard extérieur, et font des recommandations stratégiques en distinguant ce qui est encore du domaine de la recherche de ce qui est déjà transposable dans la pratique et qui peut être accéléré.
On a pu lire des articles, ces derniers mois, sur des projets cantonaux qui semblent recouper l'action de votre association: "Résulterre" dans le canton de Genève, "Progrès sol" dans le canton de Vaud, "Terres vivantes" dans le Jura… Comment se positionne AgroImpact vis-à-vis de ces programmes?
Il est important de rappeler que les démarches pour améliorer l’état des sols ou la robustesse des exploitations sont déjà anciennes, avec une vulgarisation par des conseillers agricoles cantonaux investis sur ces thématiques auprès d'agriculteurs pionniers. Nous intervenons ensuite pour, en quelque sorte, prendre le relai, en proposant aux agriculteurs de valoriser financièrement leurs efforts auprès des transformateurs. En fait, on capitalise sur ces projets cantonaux.
Pour ce qui est de l'état des sols, le canton de Fribourg vient de communiquer des chiffres plutôt bons, via son "7e cycle d'analyses du Réseau fribourgeois d'observation des sols agricoles" (FRIBO). Entre autres, les teneurs en matière organique des sols agricoles y sont généralement considérées comme satisfaisantes. Les efforts commencent à payer?
C’est réjouissant de constater que les démarches de préservation des sols entreprises sur le long terme portent leurs fruits dans le canton de Fribourg comme dans d’autres. Le canton et la Chambre d’agriculture (Agri Fribourg) ont justement ouvert un projet-pilote AgroImpact pour soutenir dès cette fin d’année une trentaine d’exploitations qui viseront une augmentation du stockage de carbone des sols, ainsi qu’une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce projet-pilote permettra de préparer l’ouverture du dispositif plus largement sur le canton début 2025.
Le WWF, également membre fondateur d'AgroImpact, planche de son côté sur un même outil de mesure et d'amélioration, mais pour la qualité de la biodiversité sur les exploitations. Il espère être prêt pour une mise en œuvre dans un an. Que pouvez-vous nous en dire?
Ce que fait AgroImpact, c’est la mise en œuvre opérationnelle d’un cadre international, le SBTi (ou Science-based Targets Initiative), pour la décarbonation des entreprises et la lutte contre le réchauffement climatique. Le WWF International est engagé dans cette démarche internationale qui s’attèle désormais à un nouveau volet "SBTi Biodiversité", pour engager également les acteurs privés vers des objectif de résultats dans le domaine de la biodiversité. AgroImpact va suivre ce mouvement et travailler à son tour sur encore d’autres indicateurs: biodiversité certes, mais aussi autonomie énergétique, économie d’eau et résistance à la sécheresse. C’est tout le collectif AgroImpact qui va y travailler d’ici la fin de l’année prochaine, afin que ces indicateurs puissent, chacun, faire l’objet d’un soutien privé et ainsi rémunérer les démarches entreprises par les agriculteurs.
Les exploitants pourraient alors toucher une double prime: une pour leurs efforts en matière d'émissions de CO2, et une autre pour l'amélioration de la biodiversité?
Exact, les exploitants pourront toucher une prime par matière première éligible (par exemple une pour leur lait et une pour leurs céréales), multipliée par le nombre d’indicateurs qu’ils suivront sur la plateforme. C’est cumulable, comme c’est cumulable avec les soutiens publics existants par ailleurs. Mais cela dépend aussi de ce que les industriels seront prêts à valoriser: chaque utilisateur de notre plateforme fera son marché.
En attendant, peut-on déjà parler des primes actuellement versées? Combien d'exploitants en bénéficient, et sont-elles significatives, ces primes, par rapport aux attentes des exploitants?
Pour les premiers engagés dans la démarche, 130'000 francs de primes seront versés dès cette année, pour un total d’une quarantaine d’exploitations romandes. Pour les grandes cultures, ces primes représentent environ 3'000 francs par exploitation et par an, pendant 6 ans, et pour l’élevage, on est dans une fourchette entre 5 et 15'000 francs par an, entre l’aide au diagnostic et la baisse de l’empreinte carbone, par an. Le mouvement est en marche puisque plus de 300 exploitations se sont désormais inscrites pour réaliser un bilan carbone complet avec nous. Et il faut rappeler qu’au-delà de nos primes, certaines mesures agricoles spécifiques (durée de vie des vaches, couverture des sols…) font l’objet de soutiens cantonaux ou de la Confédération via les paiements directs.
Propos recueillis par Etienne Arrivé/AGIR