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Avec AgroImpact, Nestlé défend une "prime à l’avenir"
A quand remonte l'intérêt de Nestlé pour le projet AgroImpact ? Qui est venu vers qui ?
-Nous avons commencé les discussions il y a un peu plus d’une année. C'est donc tout récent. Pourtant chez Nestlé, l’agriculture durable, et en particulier ce que nous appelons l’agriculture régénératrice, font partie de nos préoccupations depuis des années. Nous menons des "cross-initiatives", que ce soit dans le cacao, dans le café, qui consistent à utiliser moins de phytosanitaires, à économiser les ressources en eau, à augmenter la biodiversité, à réduire l’impact climatique et à améliorer les conditions de vie des communautés locales. Par ailleurs, depuis plus de trois ans, Nestlé s’est engagé, via son plan climat à s'aligner sur les objectifs climatiques de l’accord de Paris, à savoir d’atteindre zéro émission nette de CO2 d’ici 2050. Le dire, c'est relativement facile pour tout le monde, car la plupart d'entre nous ne serons plus dans le business en 2050. Mais ce que Nestlé a fait, et qui est beaucoup plus immédiat, c'est de se fixer des objectifs de réduction des émissions de 20% pour 2025 et de 50% pour 2030, le tout par rapport à l’année de référence qui était 2018. Notre pic d’émissions carbone est derrière nous et nos émissions sont maintenant inférieures à notre niveau de référence de 2018, bien que nos activités continuent de croître. Cela prouve clairement que notre plan d’action climatique fonctionne et que nous progressons vers zéro émission nette. Dès lors, des projets comme celui d’AgroImpact sont parfaitement alignés avec nos objectifs climatiques. Prométerre (l'association vaudoise de promotion des métiers de la terre), avec lesquels nous travaillions depuis un certain temps déjà dans le cadre du programme Eco-Broye à Henniez, avait l’intention de monter un projet sur la transition écologique de l’agriculture en Suisse. Et le Canton de Vaud avait déjà son Plan Climat. Nos objectifs étaient donc tout à fait alignés et très rapidement, nous avons commencé à discuter ensemble pour mettre le projet sur pied.
-Nestlé et le WWF ici associés dans un même projet, ça a pu faire jaser. Comment ça se passe de votre point de vue ?
-Le WWF est un acteur vraiment intéressant car compétent et qui nous pousse aussi à avancer. Cette dynamique est saine. Nous avons des échanges très constructifs et des visions qui se rejoignent sur de nombreux sujets liés au climat. Nous sommes par exemple tous deux favorables à la reprise, dans la législation suisse, d’une nouvelle loi européenne pour stopper la déforestation dans les matières premières comme le cacao, le café, le caoutchouc ou encore la viande. Chez Nestlé, nous nous sommes engagés il y a de nombreuses années à ce que notre chaine d’approvisionnement soit exempte de déforestation d’ici 2025, et nous sommes bien avancés sur ce chemin. Nous souhaitons que l’ensemble des acteurs puissent en faire de même.
-Quelles expertises acquises à travers le monde une multinationale comme Nestlé peut-elle apporter en matière de "transition agricole", pour réduire son empreinte environnementale ?
-En tant qu’entreprise agroalimentaire, nous avons un rapport étroit à l’agriculture, en Suisse comme dans le monde, car nos produits sont issus de l'agriculture. Nous avons un vaste réseau de collaboration dans le domaine agricole: en R&D et avec les milieux académiques, mais aussi sur le terrain avec les agriculteurs. Nous avons plusieurs centres de recherche au niveau mondial dans lesquels nos chercheurs étudient et développent des pratiques pour une agriculture durable - le dernier en date est l’institut des sciences agricoles inauguré l’année passée à Lausanne. Nous avons de nombreux projets d’agriculture durable en cours d’élaboration aux quatre coins du monde, et ici en Suisse aussi, notamment dans le cadre d’AgroImpact. Nous sommes en relation avec des centaines de milliers d’agriculteurs au niveau mondial, et 2'000 au niveau suisse. Tout cela nous permet de collecter et d’évaluer les meilleures pratiques pour la transition écologique de l’agriculture. Cela fait plus de 155 ans que Nestlé existe, et nous continuons sur notre lancée. Nous avons une vision à long terme, donc nous nous engageons sur des projets de plusieurs années pour trouver des solutions aux problèmes actuels et futurs
-Expliquez-nous comment, en augmentant la durée de vie d'une vache laitière, on diminue les émissions de CO2 ?
-Le "lait écophile" était l’un des premiers projets concrets en Europe visant à réduire l’impact climatique de la production laitière. Il était financé par l’OFAG et nous, et réalisé en partenariat avec aaremilch sur 46 exploitations laitières suisses. Son but était de réduire de 10% leurs émissions sur 4 ans (de 2017 à 2020), notamment grâce à l'extension de la durée de vie utile des vaches. Je m'explique. Pendant ses 2 à 3 premières années, une vache n'est pas encore en âge de produire du lait, mais elle produit quand même du méthane. Plus on allonge sa durée de vie, plus on prolonge la période durant laquelle elle va donner du lait. Donc au final elle aura donné une quantité totale de lait nettement plus intéressante par rapport au total de méthane qu’elle aura émis depuis sa naissance. Cela signifie qu’il faut changer les pratiques agricoles afin que les vaches puissent vieillir bien, et donc que l’on s'en occupe mieux. Aujourd’hui, pour la réduction des émissions de CO2, cette longévité est un paramètre qui est largement reconnu comme étant efficace. Mais il y a six ans en arrière, même parmi les universitaires, ce n’était pas le cas. Nous avons atteint notre premier objectif de réduction de 10% des émissions de CO2 par kilo de lait dans ce projet, nous visons maintenant une réduction de 20% d’ici 2030, en agissant sur de nouveaux critères tels que le type et la provenance de l’alimentation des animaux, ou encore le sol. En effet un sol en bonne santé nous permet, sur le long terme, de continuer à produire. Nous pouvons par exemple éviter le labourage profond qui détruit l’humus et relâche du CO2. Certains paysans évitent déjà de le faire afin d’avoir des sols plus résistants aux épisodes de sécheresse et d’inondations. Un sol avec plus d'humus est comme une éponge: il retient bien l’eau, et quand il est sec, il est capable d'absorber beaucoup d'eau en cas d’orage et évite ainsi l’érosion. Finalement, un sol riche en humus séquestre davantage de CO2, c’est primordial.
-Quelle part de son chiffre d'affaires le groupe Nestlé consacre-t-il à des projets de bonnes pratiques environnementales, et assiste-t-on à une augmentation significative de cette part ces dernières années ?
-Nous donnons un rôle central au développement durable, y compris au pilier environnemental, et ce n’est pas nouveau. Au niveau mondial, nous investissons CHF 3,2 milliards jusqu’en 2025 pour accélérer notre plan climatique, dont CHF 1,2 milliard consacré à stimuler l’agriculture régénératrice dans l’ensemble de notre chaîne d’approvisionnement. Sachant que nous avons un chiffre d'affaires annuel, grosso modo, de 90 milliards (93 milliards de CHF en 2023). Nous visons à ce que 50% de nos ingrédients-clés soient issus de pratiques d’agriculture régénératrices d’ici 2030. Il y a une claire progression de nos investissements en faveur du climat. Dans le cadre d’AgroImpact, notre investissement s’élèvera à plusieurs millions ces prochaines années.
-On a évoqué le « lait écophile », mais vous avez mené un autre projet de transition agricole en Suisse, qui trouve ces jours-ci une place dans l'actualité, c’est cette usine de biogaz tout à côté de l'embouteillage Nestlé Waters à Henniez, pour éviter au maximum la pollution de la source par de l'ammoniac issu des activités agricoles : 27 producteurs de lait y fournissent plus de 25'000 tonnes de fumiers par an, mélangé aux déchets du café venus de Nespresso et Nescafé. Tandis que votre groupe a reconnu des traitements nécessaires pour vos eaux de sources, diriez-vous que l’expérience Henniez est maintenant efficace, et pensez-vous la répliquer ailleurs sur d’autres sites Nestlé Waters?
-Nous avons lancé le programme Eco-Broye en 2009, puis la station de biogaz en 2016 avec 27 paysans, et comme agronome je suis convaincu que cela atteint des résultats. C'est vraiment un projet très intéressant, qui aligne plein de "win win win". Il permet aux paysans d'avancer dans la durabilité, et à notre usine de disposer d’une énergie durable. Et bien sûr il protège ce qui a été le déclencheur du projet: notre ressource en eau. Sur d’autres sites en Suisse, nous travaillons avec des spécialistes pour trouver des solutions de Biogaz toujours plus performantes qui pourraient être mises en œuvre à plus large échelle.
-Revenons à AgroImpact : en y participant, à quoi s'engage Nestlé ?
-L'association s'est mise en place en toute fin d’année dernière. Nestlé y consacre du temps, et y travaille dans différents collèges, dont le comité où j'ai la chance de représenter l'industrie auprès de différents partenaires de la recherche, de la vulgarisation agricole, et des pouvoirs publics et des organisations environnementales. Mettre en place les bonnes structures, les bonnes personnes, le bon savoir-faire à l'intérieur de l'association, c’est déjà un engagement de Nestlé. Ensuite, nous allons verser une prime à l’achat pour nos matières premières quand les exploitants seront partie prenante du projet. Nous apporterons également nos connaissances et notre expérience en Recherche & Développement et dans la mise en place de projets d’agriculture durable. Et finalement nous transformerons en produits finis, dans nos fabriques ici en Suisse, ces matières premières issues des fermes participant au projet, ce qui permettra de proposer des produits plus durables à nos consommateurs.
-Certes, mais sachant que les recommandations d'AgroImpact ne sont pas des obligations pour les agriculteurs, qu’ils peuvent mettre en œuvre à leur guise telle ou telle mesure préconisée suite à l'état des lieux, sur quels critères allez-vous donner votre feu vert pour des prix d'achat plus élevés ? Faudra-t-il seulement détenir l'attestation ClimaCert comme quoi on est "engagé dans le processus" ?
-Le projet est en cours d’élaboration, si bien que les critères ne sont pas encore tous définis. Le certificat prouve qu'il y a un processus solide, scientifiquement validé, pour des mesures crédibles, atteignables et efficaces. Mais relevons qu’un paysan qui s'engage à réduire davantage ses émissions de carbone touchera un peu plus, dès le départ, que celui qui s'engage à réduire moins. Il s’agira d’une prime variable en fonction des objectifs et des résultats. Et je précise que nous ne finançons pas les spécialistes qui définissent ces bonnes pratiques et ces objectifs à atteindre. Nestlé s’engage uniquement sur la valorisation de sa matière première, tandis que le système se finance d'une autre manière.
-Sachant que l'augmentation des prix à la production est une revendication majeure en ce moment dans le monde agricole, avec cette pétition remise chez les distributeurs partout en Suisse la semaine dernière, on se demande à quelle hauteur Nestlé va s’engager…
-Ce tableau de primes est en cours d'élaboration en ce moment. Et bien sûr ce n'est pas moi, en tant que Nestlé, qui le fixe seul. Certes, puisque nous sommes l'acheteur de la matière première, nous sommes impliqués, mais il y a une discussion à l'intérieur du collège avec les autres partenaires pour définir quels seront les montants des primes. Chez Nestlé nous avons une vision à long terme. Si nous voulons avoir un futur de plusieurs dizaines et centaines d'années, eh bien il le faut aussi pour nos fournisseurs, qui doivent vivre décemment. Pour ça, ils doivent pouvoir réduire leurs coûts, et l'idée de l'agriculture régénératrice, c'est quand même d'avoir besoin de moins d'intrants. Il s’agit aussi d'être moins frappés par la sécheresse ou les inondations, et donc d'assurer un revenu plus stable, même dans des années de crise au niveau climatique. Et puis, en même temps, il s’agit effectivement d'avoir une prime. Ce n'est pas un bonus, parce que ce n'est pas quelque chose qui tombe en fin d'année, qui tombe du ciel, mais c'est bien une prime liée à quelque chose que le paysan fait, comme une prime qualité. Pour nous il est important de mettre en place ce genre de projets qui augmente la valeur ajoutée de la matière première et en même temps trouve des solutions aux difficultés auxquelles les producteurs font face. D’une manière générale, Nestlé paie aux paysans des prix qui sont au-dessus ou dans la moyenne des prix du marché, car nous veillons à la qualité de nos matières premières. C’est pourquoi nous payons des primes à la qualité, mais également des primes environnementales pour certains produits, pour le lait des chocolats Cailler et celui de Beba Bio certifié IP-Suisse, ou avec la prime KlimaStar pour un lait plus durable. Tel sera le cas aussi dans le cadre du projet avec AgroImpact.
-D’accord, mais quels sont les montants prévus ?
-Cela viendra dans quelques semaines, pas besoin de patienter longtemps. Nous organisons des séances d'information pour les paysans où nous présenterons le projet et en profiterons pour communiquer les montants.
-Le projet est porté par le canton de Vaud, mais il a une ambition nationale…
-Oui, et nous souhaitons l’élargir à la Suisse alémanique. De nouveaux partenaires industriels vont arriver. Nous sommes en train de monter en force et c'est passionnant.
-Vous savez déjà quels industriels sont sur le point de rejoindre l'aventure ?
-Oui, je le sais, mais je ne vais pas le dire ici.
-Si je vous suis bien, il y aurait actuellement plutôt trop de candidats que pas assez ?
-En tout cas, chez Nestlé nous sommes hyper convaincus du projet. Nous pensons que c’est l’un de nos meilleurs projets liés à l’agriculture durable, pas seulement en Suisse, mais à l'international. Donc ce n'est pas pour rien que nous sommes "all in", nous sommes convaincus que d'autres industriels vont réaliser qu’il s’agit d’un excellent projet.
-Même si ce n'est pas directement votre domaine, savez-vous si Nestlé va communiquer directement auprès des consommateurs sur sa participation à ce projet : logo spécifique sur les emballages, campagnes de pub ou autre ?
-Il est encore trop tôt pour le savoir, ce n’est pas encore défini. Pour Nestlé, il est important de faire comprendre aux consommateurs l'impact qu’ils ont sur la chaîne de valeur, jusqu'au paysan, lorsqu’ils achètent tel ou tel produit. Il serait aussi intéressant qu’ils puissent se rendre compte des efforts fournis par les agriculteurs en faveur de la transition écologique.
Propos recueillis par Etienne Arrivé/AGIR