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Biocides et pesticides: quels poids, quelles mesures?
D’abord comprendre de quoi l’on parle : le terme pesticide englobe les produits phytosanitaires et les biocides. Ces deux types de produits chimiques sont utilisés pour repousser, rendre inoffensifs ou tuer les organismes indésirables ou nuisibles. Tandis qu’un produit phytosanitaire (ou PPh) est utilisé principalement dans le milieu agricole, les biocides sont employés, en général, dans des environnements domestiques et industriels. On peut citer comme produits biocides les anti-moustiques, les produits de protection du bois, les désinfectants, les fongicides pour les murs, les toits, les terrasses, les produits à base d’eau de Javel, etc. Cela étant, certains produits phytosanitaires sont aussi utilisés en milieu urbain (par exemple des herbicides dans les jardins de particuliers), alors que des biocides sont utilisés dans les zones agricoles (par exemple des produits de traitement du bois dans les étables). Et certaines molécules sont autorisées, en Suisse, dans les 2 catégories.
Urbanisation ou agriculture ?
Autre constat, régulièrement, le nom de telle ou telle substance fait les gros titres de l’actualité. Il y a le glyphosate, produit phytosanitaire honni par les ONG environnementales… mais qui ne serait de loin pas le plus toxique pour les organismes aquatiques. Autre exemple, très nettement dans la ligne de mire depuis quelques mois, les PFAS, rebaptisés « polluants éternels », des substances per- et polyfluoroalkylées longtemps utilisées par l’industrie pour imperméabiliser les poêles en téflon, ou pour leurs propriétés ignifuges dans les mousses anti-incendie. On les retrouve un peu partout, dans les articles textiles de haute performance, le liquide de refroidissement de nombreuses pompes à chaleur, ou dans certains désherbants agricoles, et elles ont la particularité de ne pas se dégrader dans l’environnement. Leur dangerosité pour l’homme est logiquement sous la loupe, et l’angoisse règne, sans que le grand public ne sache où agir en priorité pour une gestion durable des eaux.
Pour démêler le vrai du faux dans cette problématique des biocides et pesticides, on recherche donc l’éclairage de spécialistes. A la HES de Suisse orientale, basée à Rapperswil (SG), le professeur Michael Burkhardt travaille depuis 15 ans sur la question des polluants urbains, et sur la présence de biocides dans les eaux lessivées par les pluies après les orages. En résumé, il dresse le constat de mesures toujours plus nombreuses mises en œuvre pour limiter les rejets dans l’environnement, mais aussi d’une variété de biocides et d’additifs industriels, en ville, plus large que celle des produits phytosanitaires utilisés par l’agriculture, ce qui pose un problème de suivi.
« Les volumes de produits biocides ne seront pas connus avant 2025 »
A Lausanne, nous prenons rendez-vous au VSA, l’association suisse des professionnels de la protection des eaux, fondée en 1944. Forte de quelque 1'500 membres, elle s’engage pour des eaux propres et vivantes en offrant des formations professionnelles, et en définissant des normes de sécurité et de qualité. Elle diffuse aussi activement des informations sur la protection des eaux, par exemple via le site inf-eau.ch. Silwan Daouk, docteur en chimie de l’environnement de l'Université de Lausanne, y travaille depuis 7 ans à la plateforme Qualité des eaux, laquelle s’intéresse principalement au devenir des micropolluants dans les eaux. Il confirme certaines lacunes : « Les volumes de ventes des produits biocides ne sont pour l’heure pas connus, contrairement à ceux des produits phytosanitaires qui sont publiés par l’Office fédéral de l’agriculture. Pour les biocides, il faudra attendre 2025. Une modification d’ordonnance vient de prendre effet, au 1er janvier 2024, et elle oblige les entreprises à communiquer toutes les quantités de produits biocides mises sur le marché. »
Phytosanitaires aujourd’hui plus souvent problématiques
Quant à cette variété des substances en milieu urbain, relevée par Michael Burkhardt, sera-t-elle un obstacle ? « Ce sera effectivement difficile de recenser tous les produits biocides vendus, qui sont très nombreux et très différents selon les branches professionnelles et les usages », poursuit Silwan Daouk. « On compte 22 types de produits différents que l’on peut classer en 4 groupes principaux : les désinfectants, les produits de protection, les produits antiparasitaires et les autres produits biocides. »
Mais à ceux qui sauteraient sur l’occasion pour renvoyer la majorité du problème vers l’industrie et la construction, Silwan Daouk répond : « En 2012, une étude exhaustive a été menée sur environ 200 substances phytosanitaires et biocides. Dans les 5 cours d’eau analysés, les phytos utilisés par l’agriculture ont été retrouvés beaucoup plus souvent que les biocides. »
Biocides et organismes aquatiques
Pour trois herbicides-fongicides, le chimiste de l’environnement nous explique que la législation a évolué : « Le diuron, la terbutryne et la carbendazime sont trois molécules désormais uniquement autorisées en tant que biocides. Elles sont retrouvées fréquemment dans le cadre du monitoring national des micropolluants, et elles présentent des risques pour les organismes aquatiques. Le diuron est la molécule qui pose le plus de problème ». La rénovation des stations d’épuration est alors un levier d’amélioration majeur partout en Suisse, « mais toute l’eau de surface de nos agglomérations n’y part pas ». « Se pose alors la question de la qualité de nos lacs et de nos rivières, avec des conséquences sur les organismes vivants. On n’a pas fini de mettre en évidence des problèmes, et tous les acteurs touchés par cette problématique de la gestion du sol et des eaux devront faire leur part. » A noter que l’EAWAG, l’Institut fédéral suisse des sciences et technologies de l’eau, est aussi en train de mener une étude approfondie sur les insecticides, dont des biocides.
Confiance en l’eau du robinet
Terminons tout de même sur une note positive : face aux angoisses suscitées, ici par telles traces de micropolluants dans les eaux souterraines, ailleurs par telles autres de microplastiques dans les eaux en bouteilles, le docteur en chimie relativise : « Dès que l’on s’approche de la consommation humaine, tout devient hyper émotionnel. On a tendance à faire des généralités, sans nuances sur les molécules mesurées ou sur leurs concentrations, parfois infimes. Et le grand public doit en tout cas savoir que l’eau du robinet est le produit de consommation le plus contrôlé en Suisse. Pour cette eau-là, on peut avoir confiance ! »
Etienne Arrivé/AGIR