Main Content
BIODYNAMIE ET BIODIVERSITE… sur le domaine viticole d’Henri Cruchon à Echichens
«L’essentiel,
c’est la revitalisation du sol, garantie d’équilibre et de pérennité pour la
plante !» Michel Cruchon pratique la biodynamie depuis dix ans sur 23 des 43 hectares encavés.
Avec des résultats qui encouragent le viticulteur
vaudois à persévérer dans ses recherches grâce ce qu’il nomme « un
laboratoire grandeur nature ».
Une forme de bio
La
biodynamie est issue des thèses du fondateur de l’anthroposophie Rudolf Steiner
au début du 20e siècle. Cette approche considère l’agriculture comme
partie intégrante d’un système dont tous les éléments sont interdépendants.
Comment
cela fonctionne-t-il dans la pratique ? L’agriculture biologique dynamique
vise à améliorer la fertilité du sol et la vitalité de la plante à l’aide de
préparations issues de matières animales, minérales et végétales.
Préparation animale
« Nous
commençons la saison avec la préparation bouse
de corne 500 ». Michel Cruchon en explique la composition: de la bouse
bovine de bonne qualité est mise en fermentation dans des cornes de vaches
enterrées pendant toute la période hivernale. Une fois la préparation
totalement métamorphosée en une pâte fine, souple et plastique, elle est
conservée dans des bocaux en verre, grès ou céramique installés dans des caisses
de bois remplies de tourbe. Pour être appliquée, la bouse de corne doit être
diluée dans de l’eau de pluie et brassée énergiquement durant une heure. Le
viticulteur pointe l’index vers une cuve cylindrique, équipée de deux bras en
bois qui permettent de créer un puissant vortex en brassant le mélange dans un
sens puis dans l’autre. « En respectant le calendrier lunaire, nous
pulvérisons le mélange dynamisé en « jours fruits », en soirée,
deux fois, de fin avril à fin mai ». Le praticien ajoute que la dose reste
modeste : 120
grammes de bouse de corne par hectare et par application.
La
préparation clé de la biodynamie (viticole comme agricole) est un puissant
édificateur de la structure du sol. Elle favorise l’activité microbienne,
stimule la formation d’humus et améliore le régime hydrique du sol,
régularisant son pH (équilibrant acides et bases) et dissolvant les formations
minérales néfastes.
Préparation minérale
Le
complément de la préparation 500 se nomme « silice de corne (501) ».
« Les chiffres rappellent le temps où ces méthodes étaient interdites par
l’Allemagne hitlérienne, donc codées », rappelle Michel Cruchon en montrant
une petit bocal rempli de poudre installé au soleil sur une tige de fer. La
poudre de cristaux de quartz – de la silice – attend d’avoir reçu suffisamment
de rayons solaires avant de participer à la préparation 501. Celle-ci va servir
à une application dite « pulvérisation de lumière » qui doit
favoriser la croissance ou, au contraire, atténuer une luxuriance excessive.
Le
praticien attend « de cette meilleure relation avec la périphérie
cosmique » un raffermissement des plantes et un accroissement de la
qualité et de la résistance de l’épiderme des feuilles et des fruits. Tout cela
au bénéfice de la qualité aromatique et nutritionnelle du raisin, ainsi que de
la conservation de la production.
Préparations végétales
Une
des plantes les plus appréciées des biodynamiciens est la valériane. En jus de
fleurs dilué à l’eau tiède, cette préparation (507) était conseillée comme
fumure en phosphore par le père de l’anthroposophie, Rudolf Steiner, dans son
« Cours aux agriculteurs » (1920). Michel Cruchon réussit ainsi un compost
de fumier bovin (additionné d’un peu de fumier ovin et chevalin), sans brassage
ni surchauffe, par une incorporation de boulettes de terre imprégnées
d’extraits floraux de camomille matricaire, de pissenlit, d’ortie, d’écorce de
chêne, d’achillée, et bien sûr, de valériane.
L’ortie
en infusion sert de complément aux applications de bouillie bordelaise ; s’y
ajoutent de cas en cas de l’osier pour l’acide salicilique et de la prêle pour
la silice. « Toujours en période de périgée, c’est-à-dire lorsque la lune
se situe près de la terre », précise le viticulteur.
Formation et information
Comment
se former et comment informer le consommateur dans une pratique si complexe et
si proche de l’ésotérisme? Michel Cruchon reçoit, sur le domaine plusieurs fois
l’an, Mathieu Bouchet (fils de François Bouchet, auteur de l’ouvrage
« L’agriculture biodynamique. Comment l’appliquer à la vigne » éd.
Deux versants, 2003). Le spécialiste français en viticulture biodynamique lui
transmet son savoir et son expérience, ainsi que des préparations délicates à
confectionner.
Le
vigneron doit aussi se plonger en permanence dans la littérature spécialisée
pour se tenir au courant des rapports entre les astres et la vigne, pour
décoder les calendriers lunaires et planétaires (dont celui de Maria Thun qui figure
en tête de liste) et repérer les jours favorables (ou défavorables) aux feuilles,
racines, fleurs et fruits.
« Le
public est très réceptif et le consommateur est curieux sur ce sujet. Je m’en
rends compte lors d’expositions où je tiens un stand. Je multiplie les
explications».
Conséquences sur la
biodiversité et sur le vin
« Biodiversité?
Ce n’est pas ce qu’on recherche en premier lieu. Avant d’être une source
florale pour les abeilles, la vigne sert à produire du vin…». Michel Cruchon
s’en excuse presque en tournant son regard vers une machine aratoire qui,
attelée derrière le tracteur, permet de gérer l’herbe sous le rang. Elle coupe
et soulève légèrement les mottes avec une irrégularité qui freine et absorbe
l’eau de la pente de manière à éviter l’érosion. « Le gazon n’est pas
idéal pour la biodynamie, alors on travaille un tiers de la parcelle, voire un
rang sur deux. C’est un compromis. L’herbe haute a une mauvaise influence sur
le vin. La trop forte concurrence amène des faux goûts ».
Le
producteur d’Echichens fait aussi remarquer l’influence stimulante de sa
pratique viticole particulière sur la vie et le monde vivant. Les analyses
effectuées par l’Institut de recherches en agriculture biologique (Fibl) ont
confirmé le grouillement d’organismes, bien présents dans les terres en
biodynamie.
« Minéralité »
revient souvent dans les propos du vigneron lorsqu’il doit qualifier la
particularité des vins issus des parchets biodynamiques. « Comme cette
technique freine la vigueur du cep, celui-ci est obligé de puiser au plus
profond du sol. C’est sans doute ce qui peut expliquer cette fabuleuse
minéralité ». Le terroir s’exprimant beaucoup sur le chasselas, il est
aisé de ressentir la différence en comparant les surfaces bio et intégrées de
la même zone.
Cultiver
des cépages identiques sur des parcelles dont la pratique n’est pas la même,
ceci sur le même domaine, n’est-ce pas un problème? «Cela interdit
l’utilisation d’un quelconque label bio (Demeter, notamment), voire la mention
sur l’étiquette. Nous avons décidé de produire deux gammes de vins, l’une pour
la consommation courante, l’autre pour la gastronomie.»
Michel
Cruchon reste cependant convaincu par la formule biodynamique dans laquelle il
se perfectionne chaque année. « Le résultat sur le produit fini est
incomparable. L’enrichissement de la profession, notamment par les échanges
entre collègues pratiquant ces méthodes, est stimulant. Le succès auprès des
consommateurs motive grandement. Les méthodes biologiques, comme les produits
du terroir, vont durer… Si le développement durable ne dure pas, il faut
s’inquiéter !»
Encadré
Rudolf Steiner (1861-1925) est le fondateur de l’anthroposophie.
Scientifique de formation (Ecole polytechnique de Vienne), il l’est aussi dans
sa démarche, complétée de visions philosophiques (celles de Goethe surtout),
spirituelles et cosmiques.
L’anthroposophie et son prolongement agricole la biodynamie, étudie le lien qui unit
l’homme, les plantes, la terre, les planètes et le cosmos tout entier.
« Intuitive, analogique, proche de la magie, de l’alchimie
et de l’observation des astres, et donc pré-scientifique à bien des égards, la
pensée sur laquelle repose la biodynamie l’est indéniablement et elle le
revendique pleinement. Mais ce serait une grave erreur de l’assimiler à une
forme de superstition », avertit le biodynamicien français Luc Boussard
Photos
en haute qualité disponibles à l’Agence d’information agricole romande (AGIR)
info[at]agirinfo.com