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Ce charançon n’aura pas notre sucre !
Tout commence un sale matin, le 28 août dernier précisément. Titre du communiqué conjoint du Centre betteravier suisse, de la Fédération suisse des betteraviers, et de Sucre Suisse SA : "Un nouveau ravageur pour les betteraviers suisses". Chez AGIR, nous avions récemment consacré plusieurs articles au redressement de la filière, encouragé par un cours mondial du sucre reparti à la hausse. Et si ce nouveau fléau venait à dégoûter la louable résilience des producteurs ? Le responsable de ce vent de panique n’est pourtant pas un inconnu, mais ses atteintes ont pris de l’ampleur en Suisse cet été.
De la tige aux racines
Le charançon Lixus juncii, c’est un coléoptère, qui peut se nourrir de nombreuses espèces de plantes, blettes, épinards et… betteraves. Il s’est d’abord signalé sur des betteraves porte-graine, dans le Sud de la France et en Italie, et son passage vers les cultures de betteraves sucrières ne remonte qu’à quelques années. Les larves creusent des galeries qui descendent du pétiole jusqu’à la racine. Et le charançon adulte émerge ensuite de la betterave, y laissant un gros trou, porte d’entrée pour des champignons comme le Rhizopus, qui peut entraîner plus de 50 % de pertes, voire une perte de toute la production dans les cas les plus graves.
En ce début octobre, alors qu’a débuté la période d’arrachage, le vice-président de la Fédération des betteraviers, Pierre-Alain Epars, également producteur à Penthalaz, dans le Gros-de-Vaud, se montre partiellement rassuré : "Un mois et demi en arrière, on était très inquiets. Même si on est loin des rendements de l’Est de la Suisse et que les dégâts sont bien là pour les zones qui ont souffert du sec, spécialement de Genève à Neuchâtel, force est de constater que pour le charançon, l’impact est, dans la plupart des cas, largement moindre que ce nous avions redouté à fin août".
Refaire des feuilles abaisse le sucre
En septembre, l’insecte était arrivé au bout de son cycle de développement, ça n’est pas allé plus loin. "Il faut juste relever qu’il a eu davantage de facilité à faire du dégât sur des betteraves fragilisées par un été sec. Et qu’on n’a aucune certitude pour les livraisons aux sucreries, qui s’étalent jusqu’en fin d’année. Pour le bio c’est déjà rentré, à la sucrerie de Frauenfeld, et pour octobre ça ira, mais il faut savoir que la betterave, c’est par temps sec qu’elle est atteinte et qu’elle pourrit."
Reste que ce charançon est maintenant bien installé dans nos régions, faisant craindre une récidive plus grave dès 2024. De quoi détourner les producteurs ? "En août-septembre, nos gens nous ont dit: « Si c’est comme ça, on ne va pas en remettre l’année prochaine »", déplore Pierre-Alain Epars. "Mais maintenant, j’espère qu’ils vont remettre les mêmes surfaces que cette année. Il faudra voir les résultats financiers obtenus, en fonction aussi des teneurs en sucre. Avec l’été sec, les betteraves ont perdu beaucoup de feuilles, puis recréé un nouveau feuillage en fin de saison, ce qui puise dans les réserves et abaisse le taux en sucre de 2 à 3%".
Un cours mondial attractif
Ce qui fait mal au cœur, c’est que la production suisse repart bien. Pas forcément pour le taux de sucre, mais pour la surface cultivée, par l’effet conjugué de variétés plus résistantes et d’une hausse des prix. "On est à CHF 58 la tonne cette année, contre CHF 50 en 2022, CHF 45 en 2021. Et ce sera vraisemblablement CHF 61 en 2024. Cette hausse s’explique par la diminution de la production à l’échelle planétaire, notamment du fait de phénomènes climatiques, El Niño ou autre, chez les très gros producteurs que sont le Brésil, l’Inde ou la Thaïlande."
Pour les producteurs suisses, il y aurait donc encore moyen de tirer son épingle du jeu, à condition de circonscrire le charançon. Mais là aussi, on manque de recul. "Il n’existe pas encore de variété spécifiquement résistante à ce ravageur, et on n’a pas de baguette magique pour sélectionner ça en deux ans", explique Basile Cornamusaz, responsable de l'antenne romande au Centre betteravier suisse, en charge de la recherche appliquée pour la filière. "A l’étranger, ils utilisent des insecticides, mais qui ne sont pas homologués en Suisse. L’un de ces produits, appliqué deux fois, semble être efficace, et sa molécule active s’avère être encore autorisée chez nous, contre le puceron vert vecteur de la jaunisse. Pour 2024, les récents contacts qu’on a eus avec les autorités fédérales nous incitent à penser que les autorisations annuelles resteront les mêmes. Reste à obtenir le feu vert pour appliquer le produit deux fois…" Autre piste, encore plus hypothétique : appliquer un fongicide pour que la pourriture ne se développe pas. "Mais là on part de zéro, puisque cette expérimentation n’a jamais été faite à l’étranger."
Etienne Arrivé/AGIR