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Ce qui fait le succès des fermes pédagogiques
La ferme se transforme régulièrement en outil pédagogique. Tout au long de l’année, Sophie Boudry accueille des écoliers au sein de l’exploitation familiale agricole, à Ecoteaux (VD), pour les familiariser et les sensibiliser à l’alimentation et à l’agriculture durable. Une activité qu’elle pratique depuis qu’elle a intégré le projet d’apprentissage extrascolaire L’école à la ferme (ÉàF), en 2018. Année après année, ce projet attire de plus en plus de monde. Au point qu’un record a été atteint en 2022: plus de 60’000 élèves ont participé à des offres ÉàF dans plus de 400 exploitations partenaires dans toute la Suisse.
Pléthore d'ateliers pratiques
Comment les ruminants transforment-ils l’herbe en lait? Quelle différence entre prairie naturelle et artificielle? Comment composer la ration fourragère d’un bovin en hiver? Comment savoir si un œuf est encore frais? Quelles sont les auxiliaires qui tiennent à l’écart des hôtes indésirables des fruits et légumes du potager? C’est à ce type de questions, et encore bien d’autres, que Sophie tente de répondre au travers d’ateliers pratiques faisant appel aux cinq sens. Ces activités pédagogiques sont adaptées au Plan d’études romand (PER), et sont aussi en adéquation avec une éducation en vue d’un développement durable (EDD). Les élèves, de l’école enfantine à l’école secondaire, pratiquent ainsi en dehors de la salle de classe de nombreuses matières scolaires comme les sciences de la nature, les sciences humaines, les mathématiques ou encore le français.
"En tant qu’agricultrice de cœur, j’ai l’impression que la population est souvent déconnectée du monde paysan, ne comprenant pas toujours les enjeux de notre agriculture, ignorant souvent les difficultés de notre métier". Sur le domaine familial, Sophie aide son mari, avec 50 hectares répartis entre blé, orge, colza et maïs. Quant à leur cheptel, il compte environ 30 têtes de vaches laitières, plus la relève, de trois races: des Red Holstein, des Holstein et des Swiss Fleckvieh. En plus des bovins, ils élèvent aussi des poules, des lapins et différentes races de chèvres.
L’accueil d’écoliers ne s’improvise pas
"Les fermes ne se prêtent pas toujours à des activités avec des enfants. Alors, il faut aménager l’espace et garantir leur sécurité. Tout un encadrement et un accompagnement sont nécessaires. Les agriculteurs doivent aussi prendre le temps pour échanger avec les enseignants, écouter leurs besoins spécifiques. Enfin, il faut avoir une certaine patience et une pédagogie certaine pour transmettre son savoir-faire, ce n’est pas donné à tout le monde", souligne la responsable cantonale du projet ÉàF Yaël Dumauthioz, également conseillère en économie familiale chez ProConseil.
Sophie, elle, a créé sa propre salle de classe au domaine pour gagner en efficacité. Elle s’étonne parfois de la méconnaissance des élèves: "Certains enfants confondent mes chèvres avec mes vaches. D’autres pensent qu’une vache à corne est un taureau. Il arrive aussi que des bambins ignorent qu’on puisse produire du fromage à partir de lait de vache, de chèvre ou encore de brebis." Et d’ajouter: "En éduquant les jeunes à l’agriculture, on sensibilise également les parents. J’ai d’ailleurs des retours très positifs de ces derniers. On améliore aussi l’image des agriculteurs auprès du grand public."
Depuis deux ans, Sophie a aussi intégré le comité ÉàF Vaud en qualité de trésorière. Passionnée, elle participe activement à la promotion du projet dans le but d’attirer davantage d’agriculteurs vaudois. Actuellement, ils sont 27. "Les prestataires sont assez bien répartis sur l’ensemble du Canton, mais leur nombre doit augmenter pour pouvoir accueillir l’ensemble des classes vaudoises", précise Yaël Dumauthioz.
L’importance du suivi
Au fond, est-ce facile d’expliquer à un enfant ce qu’est une alimentation durable? "Les modules pédagogiques développés par ÉàF permettent d’étudier et d’approfondir ce thème. On rend par exemple les écoliers attentifs au fait que favoriser les aliments de saison dont la production est locale permet de limiter les transports. Une agriculture de proximité est aussi synonyme d’aliments plus frais et durables. Elle met ainsi en valeur les circuits courts et limite l’empreinte carbone", explique Sophie.
"Accueillir des écoliers, c’est bien. Leur permettre de revenir régulièrement c’est mieux. Semer, entretenir, récolter, transformer, cuisiner, puis manger… C’est important d’avoir un suivi pour garantir un réel apprentissage. Actuellement, les enfants ont une journée obligatoire dans leur cursus scolaire. Avec L'école à la ferme, on aimerait qu’ils revisitent les différentes exploitations tous les deux ans. Cela obligerait aussi les écoliers plus âgés à venir. Avec eux, on peut discuter d’environnement, d’économie, de social… Approfondir ces trois axes du développement durable. Leur faire prendre conscience des conditions d’une agriculture durable, comment à la fois préserver la nature, satisfaire les consommateurs et respecter les producteurs."
Vers une visite bisannuelle
Céline Dutoit-Crisinel, enseignante et responsable durabilité à l'établissement primaire et secondaire de Bercher - Plateau du Jorat, souligne également l’importance du suivi: "En revenant à plusieurs reprises au sein d’une ferme, il y a un vrai apprentissage sur l’année. Les élèves peuvent voir l’exploitation aux différentes saisons, c’est très enrichissant. Une journée, ce n’est pas suffisant pour approfondir les nombreux thèmes possibles. La découverte et l'acclimatation au lieu sont des points importants, avant d'aborder plus précisément un sujet."
Soutenue par sa direction et l’ASIRE (Association intercommunale de la Région d’Echallens), cette enseignante a développé un projet en collaboration avec une agricultrice de la région, Caroline Gschwind. Cette année, 24 classes de son établissement visitent régulièrement l’une des huit fermes faisant partie de leur projet, pour la plupart prestataires de L'école à la ferme. "On a créé des box contenant du matériel didactique d’une journée type abordant différents thèmes, toujours en adéquation avec le PER. Si tout est prêt en amont, ils sont plus sereins à l’idée d’ouvrir leurs portes aux écoliers."
"Il y a énormément d’objectifs du PER qu’on peut travailler en dehors d’une salle de classe, et si de plus en plus d'enseignants pratiquent l'école en plein air, d'autres sont encore hésitants à cette idée", précise Céline Dutoit-Crisinel. "C’est beau de voir la transformation de certains élèves. Ceux qui sont parfois difficiles à gérer en classe deviennent attentifs et intéressés à l’extérieur."
Kalina Anguelova / AGIR