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"Ces feux sont une question de bon sens"
Des bâtons dans les roues, littéralement. Et ce dans un contexte de volonté partout affichée de simplifier les démarches administratives, il y a de quoi s’offusquer. La pétition ouverte par la Chambre d’agriculture du Jura bernois (CAJB), demandant une révision des règles forestières, a aussitôt rassemblé 500 paraphes. Elle a été remise vendredi 10 janvier, à la ferme Blanchard de Malleray (BE), au chef de la Division forestière du Jura bernois, Rénald Queloz, représentant du conseiller d’Etat bernois Christoph Ammann.
"Nous avons décidé de changer de cap"
"Avant de parler de problème, on va parler de situation", tient à se défendre d’emblée Rénald Queloz. "Dans l’ordonnance fédérale pour la protection de l’air, reprise au plan cantonal dans l’ordonnance sur les forêts, les incinérations sur pâturages boisés sont certes possibles, mais de manière exceptionnelle. Il se trouve que nous en faisions une interprétation très libérale et que, jusqu’à la fin de l’année passée, nous donnions beaucoup d’autorisations. Mais certaines personnes s’en sont émues, auprès du Canton et de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), si bien que nous avons décidé de changer de cap. D’autres cantons tendent à prendre cette même direction, car les possibilités de valoriser le bois dans le chauffage se sont tout de même pas mal développées depuis une quinzaine d’années."
Du vert au rouge foncé
Nombreux à s’être déplacés lors de cette conférence de presse, les exploitants agricoles en appellent au bon sens. "On a toujours brûlé sous l’autorisation de la Bourgeoisie communale", explique Cédric Weibel, de Malleray. "Et c’était à chacun de se montrer responsable. Ces feux sont une question de bon sens et une nécessité pour le bien-être de nos animaux, pour qu’ils ne se blessent pas, entre autres, au contact de ces tas de bois."
Bernard Leuenberger, agriculteur à Champoz, ancien président de la CAJB et d’AGORA, complète: "Dans le Jura bernois, il y a beaucoup de ces pâturages boisés, dont l’herbe doit nourrir notre bétail tout en préservant sa sécurité. Et on se trouve à une altitude où les ronces, chardons et autres poussent facilement. Jusqu’ici, le garde forestier nous remplissait une feuille et c’était ok pour brûler ça sur place. Mais il a suffi qu’une seule personne alimente l’OFEV en protestations pour que la division forestière reçoive des directives de blocage. Du vert on est brutalement passé dans le rouge foncé. Il va falloir faire machine arrière, déjà pour le bien-être de nos animaux, sans compter qu’il est impossible de faire des tas d’épines: quand il y a du vent, tout s’envole. Enfin le taux de boisement d’un pâturage peut nous être décompté, car pas suffisamment utile, au moment de toucher les paiements directs".
Légende urbaine contre risque d’incendie
Si la CAJB veut bien se montrer compréhensive, et qu’elle encourage les agriculteurs à se former aux consignes de sécurité, c’est donc à condition de rester réaliste. "C’est une légende urbaine d’affirmer que tous les buissons et autres déchets boisés de nos pâturages peuvent être transformés en énergie renouvelable", martèle l’actuel président Martin Kohli. "Je peux encore l’accepter quand on projette de prélever jusqu’à 1’000m3 de branches ou plus. Mais souvent nous profitons seulement de la main d’œuvre hivernale pour nettoyer des coins de pâturages, ce qui rend notre paysage aussi attractif qu’il l’est, notamment pour les loisirs." Il en appelle au dialogue avec les agriculteurs, et conclut en renvoyant le risque sanitaire à l’expéditeur: "Les étés sont de plus en plus secs, et il me semble irresponsable d’infliger des tas de bois en veux-tu, en voilà, lesquels, potentiellement, pourraient prendre feu de manière incontrôlable".
Une haute teneur politique
On se retourne alors vers le canton: quelle incidence pourrait avoir le dépôt de cette pétition? Réponse de Rénald Queloz: "L’affaire doit être prise au sérieux, elle a une haute teneur politique, car les bases légales n’ont pas changé, et sont, au départ, restrictives. Je vais donc remettre la pétition au conseiller d’Etat en charge du Département de l’économie, de l’énergie et de l’environnement. Je note qu’une fois de plus, le monde agricole affirme son attachement à cette pratique, qualifiée d’ancestrale, mais il faut aussi admettre le changement, car il y en a dans tous les domaines". Ce à quoi Bernard Leuenberger, répond: "Même si on amène des camions sur les pâturages pour récupérer ce bois, même si au passage cela détériore nos sols et la végétation, il restera toujours du cheni qu’il faudra brûler. Il faut donc trouver un juste milieu".
La pétition demande un cadre simplifié pour l’utilisation des feux dans des conditions sécurisées, "renforcer les bonnes pratiques" pour "préserver cette méthode essentielle". L’UDC affirme, pour sa part, qu’elle déposera, ce printemps, un postulat urgent devant le Grand Conseil bernois, dans l’espoir de supprimer purement et simplement l’obligation d’accord préalable de la Division forestière pour effectuer ce type de travaux.
Etienne Arrivé/AGIR