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Cette bactérie tue cruellement, alors que le vaccin existe
Deux vaches et deux veaux tués avant d’avoir eu le temps d’intervenir, et ce n’était pas, cette fois, la faute aux loups. Les bêtes de son grand-père avaient pourtant arpenté cet alpage de Trélasse, près de Saint-Cergue (VD), dès 1957, sans jamais y rencontrer de problème particulier. Et depuis lors, la famille de Marc Ravenel ne s’était jamais pensé concernée. Mais le charbon symptomatique y a ressurgi, sans pitié, "comme il peut le faire même après un sommeil d’un siècle", dixit son vétérinaire, Frédéric Telfser.
Une micro-blessure suffit
Au terme d’une année très humide, sans doute aussi du fait des sangliers qui avaient largement retourné la terre, les spores de cette bactérie ont ensuite profité d’une toute petite blessure chez l’animal (ça peut être la lésion d’une muqueuse lors du changement de dents) pour s’introduire dans les corps et provoquer une réaction en chaîne, de la fièvre au spasme puis à la mort. Au final, précise le médecin, "la viande et le sang ne deviennent pas noirs comme avec l’anthrax dû à la bactérie Bacillus anthracis, également appelé fièvre charbonneuse ou maladie du charbon, mais la toxine colore quand même de noir la rate des animaux".
Pour être décelé, encore faut-il autopsier
Maladie des pâturages, présente dans le monde entier, le charbon symptomatique n’est décelé, chaque année, que sur quelques animaux en Suisse. Décelé car, pour en être certain, il faut que la viande soit analysée. Or, quand une seule bête meurt, les causes peuvent être nombreuses, et les démarches, onéreuses, sont rarement entreprises. Le charbon symptomatique ne se transmet pas d’un animal à l’autre, et encore moins à l’homme contrairement à l’anthrax – ce dernier n’ayant été identifié en Suisse qu’en de rarissimes occasions, de l’ordre d’un animal atteint tous les 25 ans.
On n’enterre plus sur l’alpage
Pour ce qui est du charbon symptomatique, selon l’Office fédéral des affaires vétérinaires, les régions à risques sont en principe l’Oberland bernois, les Alpes fribourgeoises, le Jura ainsi que les cantons de Schwytz, de Lucerne, de Saint-Gall, de Vaud et du Valais. Longtemps inscrit à l’Ordonnance fédérale sur les épizooties, il a considérablement reculé depuis le 19e siècle, grâce à l’efficacité des vaccins préventifs, et aussi à l’abandon de la pratique des clos d’équarrissage directement sur l’alpage (on enterrait les carcasses sur place, mais le germe passait alors dans le sol).
Points communs avec la langue bleue
Le risque ayant fortement diminué, le vaccin n’est plus obligatoire depuis des décennies, et il n’est plus pris en charge. Voilà un point commun avec le virus de la langue bleue, principal sujet de préoccupation pour les éleveurs depuis l’été dernier. Sans entrer dans les détails, cette désormais fameuse fièvre catarrhale ovine (FCO), transmise aux ruminants par des moucherons piqueurs, est potentiellement mortelle, surtout chez les moutons. Elle n’est pas contagieuse, n'affecte ni les humains ni les aliments, mais a déjà entraîné des pertes économiques significatives pour une majorité d’éleveurs.
Tout ou presque à la charge des éleveurs
C’est la fièvre et le stress qui affaiblissent alors considérablement la productivité des bêtes, des vaches laitières en particulier. Mais seules les bêtes mortes sont en général indemnisées par les caisses cantonales contre les épizooties – ce qui n’est plus le cas pour le charbon symptomatique. Ici aussi, aucun frais vétérinaire n’est pris en charge, pas plus que le vaccin, lequel n’est plus obligatoire en Suisse depuis 2011. Enfin, s’il fallait en rajouter, notez que l’homologation en Suisse du vaccin contre le sérotype BTV-3 de la maladie de la langue bleue, variante la plus dangereuse et la plus identifiée en 2024, faisait encore défaut. L'Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires a certes procédé à une dérogation tardive, mais ce n’est qu’en décembre que les Chambres fédérales se sont mises d'accord, à la fois pour qu’une base légale soit créée et pour libérer 10 millions de francs pour permettre l'achat de ces vaccins.
Charbon symptomatique non couvert
Refermons ici la parenthèse langue bleue, pour conclure sur notre charbon symptomatique, dont le vaccin est, lui, bien rôdé depuis le 19e siècle. Dans les régions qui ont identifié des cas, il est recommandé de vacciner le bétail bovin. Il s’agit désormais d’une "épizootie à surveiller" (et non plus "à combattre" comme pour la langue bleue), ce qui signifie que les animaux touchés doivent être obligatoirement annoncés, mais qu’ils ne peuvent pas faire l’objet d’une indemnité. "Dans ces conditions", explique le vétérinaire Frédéric Telfser, "un seul animal perdu coûte bien plus cher que la vaccination préventive de l’ensemble du troupeau. Sans compter que les éleveurs peuvent ainsi continuer d’utiliser leurs pâturages habituels. Pour ceux qui partent l’été en altitude, le choix est vite fait."
Vacciner c’est gagner
Pour notre éleveur de Trélex, la mort de ses 4 bêtes a représenté une perte d’environ 15'000 francs. Et il a décidé de vacciner son troupeau au printemps, histoire de retourner à l’alpage sans stress. Ou plutôt: sans ce stress-là, car, par trois fois en 2024 pour Marc Ravenel, le loup a aussi fait des dégâts.
Etienne Arrivé/AGIR