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“Demain, des outils comme celui-ci réaliseront de nombreuses tâches agricoles”
Alors que le monde vit confiné, les agriculteurs continuent d’expérimenter pour améliorer leurs pratiques. C’est le cas de Josef Meyer à Jussy dans la campagne genevoise, sur le Domaine Château du Crest. Également président de la Fédération suisse des betteraviers, il teste actuellement le FarmDroid FD20, un robot venu du Danemark permettant de semer et désherber de manière autonome grâce à l’énergie solaire. Cofinancé à parts égales par l’industrie sucrière, la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires (HAFL) à Zollikofen et un investissement privé, le projet pourrait améliorer grandement certaines cultures dont la betterave, en facilitant le travail en bio et en réduisant drastiquement l'utilisation de produits phytosanitaires dans les productions en conventionnel. Interview.
Pour quelle-s raison-s utilisez-vous ce robot actuellement?
Premièrement, je ne suis pas seulement agriculteur-viticulteur, je suis également président de la Fédération suisse des betteraviers. Actuellement, ce secteur est quelque peu en crise et il doit chercher de nouvelles solutions pour l’avenir. Nous devons absolument produire à moindre frais, mais aussi en diminuant les impacts sur l’environnement, avec moins d’énergie, moins d’impact sur le sol et puis, bien sûr, moins de produits phytosanitaires car des initiatives demandent clairement que l’agriculture suisse devienne plus écologique. Il n’y a pas de miracle, nous devons aller de l’avant sur ces points. Et ce type d’outil permet d’aller dans cette direction.
Concrètement, comment fonctionne cette innovation?
Cette machine fonctionne grâce à l’énergie solaire. En premier lieu, elle sème les betteraves et enregistre dans sa mémoire l’endroit précis où est posé chaque grain. Nous posons 110’000 grains à l’hectare et la machine connaît exactement les emplacements de chacun d’entre eux. Une fois cette étape terminée, le robot va commencer à désherber. Le fait de connaître l’emplacement de chaque grain va lui permettre de sarcler autour des plantes. Au début, quand celles-ci sont petites, la machine va sarcler tout près, à 2 cm, puis, plus tard, quand la plante va grandir, elle va s’éloigner à peut-être 4 ou 5 cm de l’endroit où a été posé le grain.
Et c’est efficace?
Cette machine est encore proche du prototype. Il n’y en a que 20 qui ont été construites cette année, et cela pour travailler dans plusieurs pays en Europe. Le robot est utilisable pour de la betterave, des oignons et du colza. Il va continuer à se développer, mais il est nécessaire de réaliser les premières expériences sur quelques cultures. Nous avons décidé de commencer ces expérimentations sur la betterave, là où une évolution technique nous semble à l’heure actuelle la plus urgente.
Il y a deux robots en Suisse?
Oui, par surprise, il y a une deuxième machine actuellement en Suisse. Chaque pays a sa spécificité, ses manières de faire, des grandeurs de parcelles différentes. Nous, par exemple, nous avons beaucoup d’obstacles dans nos parcelles, tels des arbres isolés. Nous sommes donc enchantés que ces expériences puissent aussi se faire ailleurs en Suisse, pour finalement voir si ces machines fonctionnent aussi dans les conditions typiques de notre pays. Le robot est originaire du Danemark. Là-bas, les parcelles sont beaucoup plus grandes et, en général, carrées. Chez nous, cela est plutôt rare. Il y a toujours une courbe d’un côté, des arbres, etc. Les types de terre aussi sont différents. Le fait qu’il y ait deux expériences parallèles en Suisse est donc une très bonne chose.
Êtes-vous satisfaits des premiers résultats?
Nous sommes ravis, que ce soit pour la manière de travailler, la fiabilité ou encore l’adaptation de la technologie à toutes les difficultés rencontrées spécifiquement chez nous que je viens de citer. Tout n’est bien sûr pas encore au point, mais les résultats sont très encourageants.
Les responsables de la machine sont également très disponibles. Nous pouvons les appeler à n’importe quel moment, leur expliquer le problème, et ils peuvent intervenir directement à distance sur notre machine. Tout cela prend évidemment du temps, et donc l’efficacité n’est pas encore très grande, mais sur ces deux semaines passées, depuis les débuts de l’utilisation de la machine, les progrès réalisés sont énormes. Une année ou deux seront encore nécessaires pour perfectionner l’outil, mais nous sommes sur le bon chemin.
Comment est financé ce projet?
Il s’agit d’un cofinancement. Un tiers provient de la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires (HAFL) à Zollikofen. Ils sont responsables du suivi et de l’évaluation de la machine, que nous obtenons en variant les procédés, avec le robot ou sans, et cela sur différentes parcelles. Un autre tiers est financé par l’industrie sucrière dans le but d’en faire profiter l’ensemble des betteraviers suisses. Enfin, le dernier tiers provient d’un investissement privé.
Ce type de technologie pourrait-il faire évoluer le secteur de la betterave vers plus de bio, un domaine où il est encore à la peine?
Il y a 4 ans, nous avions 7 hectares de bio en Suisse. Nous nous sommes fixés de doubler ce chiffre tous les ans car il y a clairement une demande pour le sucre bio suisse. Cette année, nous allons semer 150 hectares! Donc nous sommes ravis de cette évolution. Toutefois, dans le secteur du bio, on évalue entre 50 et 150 le nombre d’heures de travail nécessaires à l’hectare, ce qui n’est clairement pas supportable à long terme. Nous devons absolument trouver des moyens pour réduire ce chiffre à un maximum de 50 heures. Ce robot pourrait effectivement aider à cela. Mais pas que pour le bio. Dans les cultures conventionnelles, nous nous sommes aussi fixés l’objectif de réduire l'utilisation de produits phytosanitaires à son minimum.
Mon rêve serait qu’il y ait une installation sur cette machine permettant de traiter une petite surface de 3 ou 4 cm autour de la graine semée afin de désherber chimiquement, c'est-à-dire pour la partie que nous n’arriverons jamais à désherber mécaniquement. Et que l’on nous autorise encore à désherber cette petite surface. Avec une telle utilisation, nous n’utiliserions peut-être plus que 5% du désherbant employé dans les cultures conventionnelles aujourd’hui.
Et est-ce que c’est abordable pour un agriculteur?
Avec seulement 10 robots produits annuellement, les frais sont trop importants pour qu’un seul agriculteur puisse l’acheter. Aujourd’hui, une machine comme celle-là coûte près de 100’000 fr. Mais je suis persuadé que, si les essais sont concluants, la machine pourra être produite en plus grand nombre, car la demande est énorme. Le prix pourrait alors baisser autour de 40 à 50’000 fr. Deux ou trois agriculteurs, dans un village, pourraient alors acheter ce type d’engin et travailler ensemble. Pour un agriculteur seul, il faut quand même avoir une surface assez importante ou plusieurs cultures compatibles avec la technologie.
Mais il faut aussi regarder un petit peu plus loin. L'automatisation des tâches que l’on voit dans beaucoup d’autres métiers va devenir de plus en plus fréquente dans le monde agricole. Demain, des outils comme cela, petits et légers, autonomes et qui utilisent l’énergie solaire, vont réaliser énormément de tâches agricoles, mais aussi viticoles ou encore dans le domaine de l’arboriculture.
Propos de Josef Meyer recueillis par Loïc Delacour / AGIR
Lien vidéo: https://www.youtube.com/watch?v=J3wQEBsrWiw