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« En équipe plutôt qu’en concurrence » : Granges-près-Marnand (VD)
« Notre collaboration est basée sur le système
des avantages réciproques et non sur les mouvements financiers ». Joël
Terrin, agriculteur à Grange-près-Marnand (VD) tire un bilan enthousiaste de 18
ans de communauté de culture.
En 1979, les Terrin, père et fils, décident de
quitter bétail et production laitière pour s’orienter vers une agriculture
végétale, notamment la culture du tabac. En 1984, la ferme se lance dans la
production de pommes de terre. Dès 1991 se met en place un système d’échange de
parcelles avec trois agriculteurs de la région. L’objectif est double : utiliser des
sols mieux adaptés aux différentes cultures et respecter au plus près les
exigences des prestations écologiques requises (PER nécessaires pour obtenir
les paiements directs). Il s’agit, pour être aux normes, de travailler au moins
quatre cultures en terres assolées dont moins du quart sont consacrées aux
betteraves, pommes de terre et tabac et moins de la moitié au blé.
Un mariage d’intérêt
Alliance de raison, la communauté agricole de
Granges est un groupement de fermes indépendantes qui possèdent du matériel en
commun et s’entraident pour la culture et l’écoulement de la production.
« Du fait de nos spécialisations respectives, nous avons assez peu de
machines en commun ». Joël Terrin indique néanmoins le semoir et le
pulvérisateur, ainsi que l’achat groupé d’intrants : semences, engrais et
produits phytosanitaires.
Quatre exploitations comme une
Pour préciser les
spécialisations, l’agriculteur présente les quatre exploitations de la rotation
commune en commençant par la
sienne. Il cultive près de 42 ha de terres assolées dont
un peu plus de 38 ha
en terres ouvertes : 30% en pommes de terre, 30% en betteraves sucrières
et 35% en blé. On constate que l’assortiment de cultures est en dessous du
minimum exigé par les normes PER et le pourcentage des surfaces des cultures de
pommes de terre et de betteraves dépasse la règle. Les parcelles de
Stefan Hugi couvrent 39 ha
dont la plus grande partie en prairies temporaires pour nourrir la cinquantaine
de vaches qui produisent le lait pour la fabrication du fromage Le Maréchal. Le
sol sablonneux serait plus favorable aux patates qu’aux prés. Eliane Schnyder,
avec ses 16 ha
(65% d’emblavure et 35% de betteraves sucrières) s’est tournée vers des
activités à but scolaire. Depuis qu’elle a fondé l’association « Vivre à la Ferme » et ses camps
d’école à la ferme, elle a préféré sous-traiter une grande partie des travaux
agricoles. Valentin
Crausaz, quant à lui, s’occupe sur plus de 4 ha de blé (50%), de maïs
(20%), de tabac (16%) et d’orge (7%). Sa rotation est surchargée en céréales.
Les différents handicaps des fermes de la communauté (inadéquation aux normes
PER, qualité de sol mal adaptée, manque de disponibilité pour le travail des
cultures) peuvent être résolus par la mise en commun des parcelles via une
rotation bien étudiée et bien gérée.
Conditions pour un tournus en règle
Chaque culture possédant son propre rythme de
tournus, la rotation ne peut s’improviser. Suite à une prairie, on installera
de la betterave, ensuite du blé et enfin de la pomme de terre. Pour cette
dernière, il est nécessaire de laisser une période d’interculture de 5 ans
minimum. Pour les betteraves, c’est 4 ans. On peut semer des prairies après une
emblavure ou après une culture de pommes de terre précoces. Pour la
planification de la quarantaine de parcelles qui composent la communauté, Joël
Terrin fait de l’art moderne polychrome (genre Vasarely !) sur son tableur
Excel. En ordonnées, on trouve la liste des diverses parcelles et en abscisses
les années jusqu’en 2012. Un tableau des cultures résume la situation.
Echanges de parcelles
Une partie de la prairie temporaire de Stefan va
recevoir les pommes de terre de Joël. En échange, l’éleveur laitier utilisera
le terrain des betteraves du spécialiste de la pomme de terre pour y cultiver
temporairement de la
prairie. Cette dernière se plaira un peu plus sur la terre à
betteraves que sur le sol sablonneux d’où elle vient. En revanche, la terre
sablonneuse fera le bonheur des pommes de terre de Joël. Sur ce modèle, on va
trouver une huitaine d’échanges : emblavure contre zone de patates, parchet
de betteraves contre bout de prairie… Malgré les apparences, c’est bien plus
sophistiqué que l’assolement triennal pratiqué durant le Moyen-âge. Les progrès
agronomiques ont permis d’abandonner la jachère et les légumineuses tout en
augmentant les rendements.
Collaboration entre exploitations
Les membres de la communauté ne se contentent pas de
se passer des parcelles ; contingents, machines et services font aussi
partie des échanges. Ainsi, Eliane et Joël ont troqué leur contingent de lait
contre celui de betteraves de Stefan. Joël fait travailler ses machines
(batteuse, arracheuse, semoir…) pour les autres agriculteurs du groupe. Entre
récoltes, parcelles, services, intrants, arrosages, etc., l’équilibrage des
décomptes fait chauffer l’ordinateur de Joël plusieurs heures par semaine.
Bilan avantageux
Faire tourner une communauté
sans mouvement financier, sans conflit et avec un bénéfice net pour chaque
exploitant, cela semble tenir de la gageure. « Pas vraiment, dans la
mesure où chaque agriculteur reste indépendant et partage peu son travail avec
les autres », pondère Joël Terrin. Avec une rotation bien étudiée, la
qualité et les rendements sont meilleurs. De plus, on rationalise les
investissements. « Ce n’est pas la première fois que les paysans doivent
s’organiser pour affronter une période de crise », remarque le producteur
de Granges. On pourrait ajouter « sans doute pas la dernière », en
supposant que ce modèle bien fonctionnel puisse servir de référence.