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Enfin du solide pour le vin suisse
Alors que la colère agricole continue de s’exprimer et attend toujours d'obtenir gain de cause, vous nous annoncez du mieux pour le secteur viticole.
Jacques Bourgeois : Oui, c’était une semaine importante, voire historique, pour la viticulture suisse, puisque les trois objets soumis au Conseil des Etats ont passé la rampe avec une majorité confortable. On parle ici de l’inscription dans la loi d’un nouveau montant pour la promotion des vins suisses, et d’avancées pour deux dossiers plus techniques et dont nous aurons l’occasion de reparler, à savoir l’introduction d’un volume de "réserve climatique" pour les AOC en cas d’année difficile comme 2021 avec le mildiou, et d'autre part la suppression du délai de dix ans pour la reconstitution des surfaces viticoles quand celles-ci ont été arrachées. C’était important dans le contexte des accords de libre-échange futurs. Il y a l’éventuel accord avec le Mercosur, comme une épée de Damoclès pour nous avec de grands pays producteurs comme l’Argentine, et puis il y a l’accord avec le Chili, renouvelé fin janvier, et qui prévoit une concession de 15'000 hectolitres sans droits de douane. Ces accords permettent certes d’exporter plus facilement nos produits laitiers, nos fromages, mais, pour nous, cela suppose que nous ayons les moyens de nous défendre sur le marché indigène, d’où l’ancrage nécessaire de cette enveloppe fédérale de promotion de nos vins.
Que répondez-vous à ceux qui pointeraient une inégalité de traitement vis-à-vis des autres secteurs agricoles ?
Philippe Herminjard: La viticulture n’a jamais demandé d’aide spécifique depuis la fin du siècle dernier. Depuis la réunification des contingents en 2001, on doit considérer que notre secteur est libéralisé, sans réel frein aux importations. Vingt-trois ans après, il nous apparaît totalement légitime d’obtenir enfin ce soutien, sachant que la promotion de nos produits est le seul instrument dont nous disposons.
JB : Pour le reste, j’aimerais souligner que l’on est dans le même bateau que le monde agricole dans son ensemble. Nous aussi souffrons de surcharge administrative, et de contrôles excessifs. Nous aussi devons nous adapter à des directives qui changent tous les 4 ans. Et nous aussi réclamons des augmentations dans les prix à la production, car les producteurs de raisin, en particulier, ne sont pas rémunérés convenablement. La révolte paysanne, on en est absolument solidaire.
Suite aux feux verts des deux chambres, cette enveloppe va donc officiellement passer de 2,8 à 9 millions de francs annuels, à quoi s’ajoute, comme condition sine qua non, une enveloppe similaire de 9 millions investie par la branche elle-même.
JB : Oui, cela fait deux ans que l’on bataillait, contre l’avis du Conseil fédéral, pour obtenir ce montant dans les discussions budgétaires. On y était parvenu les deux fois, mais désormais c’est au Conseil fédéral lui-même de mettre en application cette modification de loi, sous réserve de critères "de qualité et de durabilité". On est donc sur la bonne voie, sur du long terme. Je rappelle aussi que, sur les deux autres dossiers que j’ai mentionnés, on est loin d’être au bout du processus, qui dure déjà depuis plusieurs années.
Vous dites qu’il ne s’agit pas d’augmenter la consommation de vin, qui est en baisse régulière - ce dont on peut se féliciter en termes de santé publique, mais bien de la rapatrier vers des productions indigènes. Actuellement, les vins espagnols et italiens écrasent la concurrence, en particulier en Suisse alémanique.
JB : Oui, c’est une pression générale. Nationalement, on a perdu des parts de marché, pour atteindre 30 à 35% face à deux tiers d’importation. Et l’objectif, c’est de repasser la barre des 40% (ndlr: l'enveloppe entérinée cette semaine est prévue jusqu'à ce que la production indigène atteigne ces 40%). Alors d’une part, les médailles obtenues lors des concours internationaux prouvent que l’on a d’excellents vins dans ce pays, et, d’autre part, quand je traverse, comme ce matin en train, les paysages du Lavaux, on réalise à quel point la vigne a modelé notre patrimoine touristique. A vous d’en tenir compte en achetant une bouteille de vin indigène, en pensant aux vigneronnes et vignerons qui l’ont élaboré. Enfin, j’ajouterai que le vin est bon pour la santé si l’on n’en abuse pas. Comme pour toute bonne chose, c’est une question d’équilibre qui concerne tout un chacun.
La promotion des vins suisses est assurée par Swiss Wine Promotion, qui cherche à faire tomber les préjugés, les clivages entre régions, et engage des initiatives nationales comme récemment ce label gastronomique accordé aux restaurants en fonction de la part qu’ils réservent sur leur carte aux vins suisses. Avec désormais cette enveloppe budgétaire sécurisée, quelles améliorations vous paraissent-elles souhaitables ?
PH : Beaucoup de choses sont déjà faites par SWP, et qui vont dans le bon sens. Toutes les bonnes idées régionales sont bonnes à reprendre, si elles peuvent profiter à d’autres, comme par exemple ces "tavolatas" en Valais pour réunir les consommateurs en plein air. En tout cas, avec 18 millions de francs par an, ils ont maintenant la garantie nécessaire pour des projets marketing de plus long terme. Et on constate déjà l’impact sur les ventes des partenariats signés avec la grande distribution. Nos vins sont un peu plus chers que ceux importés, mais on constate que des actions de dégustation, avec la présence de vignerons en magasin, ou des reportages de découverte de nos vins dans les journaux des distributeurs, agissent sur les comportements d’achat.
Il faut dire que ça va aussi dans le sens de l’époque…
PH : Bien sûr que le "consommer local" a la cote, et dans la restauration GastroSuisse y voit aussi un intérêt pour mettre en valeur leurs recettes de cuisine. Avec des vins valaisans en Valais ou grisons aux Grisons, ça démontre une plus-value remarquable, aussi du point de vue de la variété des crus pour des petites régions.
JB : Aujourd’hui on tire tous à la même corde, ce qui n’était peut-être pas toujours le cas. Chacun prend conscience de l’importance de consommer local, que ce soit par inquiétude climatique ou pour moult autres raisons, toutes valables.
Propos recueillis par Etienne Arrivé/AGIR