Main Content
Femmes et agriculture : Mieux s’informer pour faire valoir ses droits !
Faisant suite à la session annuelle de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies qui a abordé, en mars dernier, la question de la situation des agricultrices dans le monde, cette journée de réflexion, émaillée de débats, conférences, ateliers et entretiens, s’est tenue le 16 octobre à l’Institut agricole de Grangeneuve à Posieux. Elle a permis, en particulier, de présenter les résultats d’une étude nationale menée cette année par l’OFAG et Agroscope démontrant que les femmes, même si elles sont, pour la plupart, satisfaites de leur vie en dépit de la charge de travail qu’elles assument, manquent généralement d’informations sur leur statut juridique au sein de l’exploitation. En outre, l’étude met en évidence le fait que les femmes se préoccupent encore trop peu de leur faible couverture sociale, même si un nombre croissant d’entre elles exerce une activité rémunérée. «Il est donc nécessaire pour les femmes, qu’elles soient employées, indépendantes, mariées ou non, de s’informer, de prendre les mesures nécessaires pour clarifier leur situation, leur position et leur rôle au sein de l’exploitation, de prendre le temps de s’informer sur leurs droits et leurs devoirs, de faire valoir leur travail, leur formation et investissements, de se renseigner sur leurs assurances sociales, de préciser leur statut juridique », souligne Michèle Zufferey qui a animé lors de cette journée, sous l’égide d’Agridea, un atelier intitulé «Statut juridique des femmes dans l’agriculture».
Importante charge de travail
«Si vous demandez à une femme ce qu’elle fait sur l’exploitation, elle va d’abord vous répondre pas grand-chose. Puis, elle va vous énumérer la liste de ses tâches», remarque Yvan Droz, chercheur à l’Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève. Les femmes assument en effet des responsabilités très diverses qu’elles n’hésitent pas à conjuguer. Elles sont responsables d’une branche spécifique, comme la vente directe, l’agritourisme ou les soins aux animaux. Elles participent à la bonne marche de l’exploitation par une aide administrative (tenue de la comptabilité), par une aide domestique (ménage et garde des enfants), par un emploi extérieur et par des coups de mains pour les travaux agricoles. Dans tous les cas, elles jouent un rôle central dans l’agriculture.
Selon l’enquête conduite par l’OFAG et Agroscope, les femmes sont de plus en plus nombreuses à assumer une activité rémunérée au sein même de l’exploitation agricole. Pour un quart d’entre elles, ces différentes tâches, comme la vente directe, apportent une contribution financière représentant 10 à 25% du revenu total de l’exploitation. Plus les femmes sont jeunes, plus leur contribution est importante. Cependant, la majorité des femmes continuent à travailler gratuitement, en tant que membre de la famille, ce qui leur vaut d’être assimilées à des personnes non actives. En outre, près de la moitié des paysannes exercent aujourd’hui une activité extra-agricole. Indispensable, ce revenu complémentaire à celui de l’exploitation est passé de 21 à 28% en dix ans.
Pourtant, si les femmes jouent un rôle prépondérant dans les exploitations familiales typiques de l’agriculture suisse, le travail qu’elles fournissent et la place qu’elles occupent ne sont pas encore clairement reconnus à leur juste valeur, que ce soit au niveau de leur statut juridique dans l’exploitation ou de leur couverture sociale.
Le poids de l’héritage
Si environ 14% des certificats de capacité sont obtenus par des femmes lors de ces dernières années, on compte en 2010 seulement 5% des exploitations agricoles dirigées par des femmes. Or l’Office fédéral de la statistique (OFS) a recensé en 2011 pas moins de 40 000 paysannes. Que font donc les autres? Elles travaillent dans l’agriculture au titre de main-d’œuvre familiale, sans apparaître dans les statistiques et sans que leur contribution ne soit valorisée.
Trois quarts des femmes disent être copropriétaires ou coexploitantes de l’exploitation, mais elles se basent uniquement sur leur engagement financier et sur leur collaboration de longue date au sein de l’exploitation pour revendiquer leur statut. Or, bien souvent et malgré leur investissement, seul leur mari figure au registre foncier…
Accéder délibérément à ces fiefs essentiellement masculins n’est pas chose aisée. Sandra Contzen, de la Haute école des sciences agronomiques, forestières et alimentaires HAFL, à Zollikofen (BE) précise que le nombre limité de femmes à la tête d’une exploitation en Suisse soulève le problème de la succession et de la tradition patrilinéaire caractérisant la cession d’une ferme. Car, même si le principe d’égalité entre hommes et femmes est inscrit dans la loi, une exploitation se transmet généralement encore et toujours de père en fils. Les hommes se projettent donc dès leur plus jeune âge dans leur futur rôle de chef d’exploitation. Les femmes arrivent sur une exploitation à l’âge adulte, majoritairement par mariage et bien souvent sans formation agricole. Certaines d’entre elles acquièrent par la suite le brevet de paysanne. Le contexte culturel, sociologique et structurel explique, aujourd’hui encore, que la transmission de son exploitation à une fille n’est pas toujours facile à accepter. «Au Québec et en Franche-Comté, cette situation est considérée comme plutôt normale. En Suisse, il s’agit d’une notion relativement neuve», remarque Yvan Droz.
Prise en compte des revenus
Près de 80% des femmes se constituent leur propre assurance sociale au moyen d’un emploi à l’extérieur, de la gestion autonome d’une branche de production ou d’une activité salariée dans l’exploitation, fait ressortir l’enquête de l’OFAG et d’Agroscope. Cependant, comme elles ne travaillent souvent qu’à temps partiel, le niveau de couverture est modeste.
Ainsi, dans les statistiques agricoles et dans les rapports officiels, le rôle de la femme est quasi invisible. Autre problème: on considère les familles paysannes comme une entité et le revenu de l’épouse, même gagné à l’extérieur, est noyé dans le revenu agricole. Un manque de visibilité, un manque de clarté, et dès lors, un statut social qui présente des lacunes et peine à s’améliorer.
Cette situation fait bondir Christine Bühler, paysanne à Tavannes et présidente de l’Union suisse des paysannes et femmes rurales (USPF). «La paysanne n’a pas seulement le droit de travailler le plus possible», insiste-t-elle. «Les femmes ont un statut, car bien souvent elles sont coexploitantes du domaine. Elles doivent le saisir! Il leur donne des droits en cas de problème. Il y a un gros travail d’information à faire.»
Information et action
Sous quel régime sommes-nous mariés? Comment suis-je couverte en cas d’accident, de décès ou de divorce? Comment assurer la pérennité de mon exploitation en cas de problème? Quels seront mes revenus au moment de la retraite? Ces questions sont présentes, récurrentes, les femmes savent que c’est important d’y réfléchir, et d’y répondre le plus clairement et le plus rapidement possible. Mais elles savent aussi que la mise en conformité des statuts n’est que rarement concrétisée. Les premiers résultats du programme national de recherche «Genre, génération et égalité», présentés par Yvan Droz, le confirment d’ailleurs. «Dans les familles paysannes, on a conscience d’une fragilité juridique, mais rien n’est fait pour modifier la situation», remarque le chercheur.
Dominique Kohli, sous-directeur de l’OFAG, s’est dit déstabilisé par les enseignements de la journée. Il a assuré qu’ils ne resteront pas lettre morte. Quoi qu’il en soit, cette conférence nationale riche en informations, réflexions et témoignages, est un coup de projecteur essentiel sur le rôle déterminant des femmes dans l’agriculture en Suisse, sur la force de travail qu’elles incarnent et les défis à relever.
Élise Frioud - Agri
Armande Reymond - AGIR
Plus d'infos sur :