Main Content
Impacts de l'Accord de libre-échange du fromage : les avis divergent !
Dix ans après l’entrée en vigueur de l’accord sur les produits agricoles signé entre la Suisse et l’Union européenne, l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) a mandaté l’entreprise bâloise BAKBASEL pour tirer un bilan de son impact sur le marché suisse du fromage.
Exportations en hausse
« La suppression des droits de douane et des contingents tarifaires ont, dès leur introduction progressive en juin 2002, stimulé nettement le commerce extérieur de fromages », indique l’étude. Ainsi de 1990 à 2003, les exportations – exprimées en francs suisses – étaient en baisse constante de 1,7% par an, passant de 563 à 449 millions de francs. Dès l’ouverture des marchés en 2003, les conditions-cadres se sont améliorées et ont provoqué une hausse des exportations de 2% par an en valeur (+76 millions de francs de 2003 à 2011) et de 2,4% par an en tonnes (+ 10'171 tonnes de 2003 à 2011). « Mais c’est grâce à la prime de 15 cts/kg pour le lait transformé en fromage, soit 30 millions versés par la Confédération, que les exportations ont pu atteindre le volume actuel », souligne David Rüetschi, secrétaire général de l’ASSAF-Suisse. Et celui-ci de s’inquiéter de la récente proposition du Conseil fédéral de supprimer les 30 millions de contributions pour la garde d’animaux consommant des fourrages grossiers (UGBFG) destinées aux vaches laitières pour financer cette prime.
Les importations aussi…
Si l’augmentation des exportations représente un point positif pour la branche fromagère suisse, il n’en va pas de même côté importations avec l’entrée en force des produits européens dans notre pays. Alors qu’en 1990, la balance commerciale affichait un solde positif de 35'500 tonnes entre les exportations et les importations, elle n’était plus que de 11'000 tonnes en 2011. En cause, la croissance des importations dès 2005 soit, en tonnes : +6,5 % par an contre +1,4 % de 1990 à 2004 et en francs : +3,8 % par an contre +1,4 % auparavant.
Perte de parts de marché
Conséquence directe de l’augmentation des importations, la perte de parts de marché pour les fromages suisses. Une situation qui inquiète Philippe Bardet, directeur de l’Interprofession du Gruyère AOC : « La concurrence indigène est déjà vive et l’augmentation de la pression des produits européens ne cesse de nous faire perdre du terrain. Beaucoup de fromages importés ont remplacé le Gruyère AOC dans l’industrie hôtelière et alimentaire, ce qui représente une perte sèche d’environ 1'000 tonnes par an. Nous avons quasiment disparu dans certains secteurs, comme celui du fromage râpé industriel ».
Un avis corroboré par une étude mandatée par l’ASSAF-Suisse et publiée en août 2012 : les producteurs ont perdu des parts de marché depuis 2007 et, de plus, les prix à l’exportation ont nettement baissé. Alors que la tonne de fromage vendue à l’exportation rapportait 9'786 francs en 2007, sa valeur ne se montait plus qu’à 7'760 francs en 2011.
Plus de fromages… mais lesquels ?
Pour en revenir à l’étude mandatée par l’OFAG, celle-ci met encore dans la colonne des points positifs de l’accord l’augmentation de la diversité et de la consommation de fromage en Suisse. Cette dernière est en effet passée de 19,1 kg en 2000 à 21,4 kg en 2011.
Un bémol pourtant : « Les consommateurs ont effectivement une plus grande palette de fromages à choix mais les produits importés sont avant tout des fromages industriels et fabriqués avec du lait d’ensilage », précise David Rüetschi, secrétaire général de l’ASSAF-Suisse, dans un récent communiqué.
Et celui-ci d’évoquer, dans la foulée, le marché laitier : « En mentionnant que le prix payé aux producteurs de lait ne devrait pas tomber au niveau des pays de l’UE, l’étude conclut qu’ils ont profité du libre-échange… C’est une ironie au vu de la situation catastrophique dans laquelle se trouve le marché laitier suisse », souligne-t-il. Un constat partagé par Philippe Bardet : « L’augmentation de la concurrence implique une énorme pression sur le prix du lait qui est l’une des premières victimes de cette libéralisation du marché », commente-t-il.
Un autre bilan
Si les acteurs de la branche saluent globalement les bons résultats des exportations de fromages suisses de ces dernières années, ils jugent que cette situation est principalement la résultante de la bonne adaptation du marché fromager suisse à une situation délicate. L’Accord de libre-échange a ouvert les frontières, laissé entrer la concurrence étrangère et supprimé des aides fédérales à l’exportation… autant de difficultés auxquelles les producteurs de fromage ont dû faire face.
Au final, seuls les efforts importants déployés dans la promotion et la communication auprès du grand public suisse et étranger et surtout la qualité des fromages suisses ont permis de limiter les dégâts. « Nous devons continuer coûte-que-coûte à expliquer aux consommateurs suisses et étrangers que le prix des fromages suisses découle de leur fabrication artisanale garante de bon goût et de qualité maximale », souligne Manuela Sonderegger, porte-parole de Switzerland Cheese Marketing (SCM).
VB/AGIR
Cet accord nous a obligés à nous réveiller !
Pascal Monneron
Gérant de l’Interprofession du Vacherin Mont-d’Or AOC
« Avec près de 560 tonnes produites par an, le Vacherin Mont-d’Or AOC est une petite spécialité. La suppression des subventions fédérales à l'exportation (CHF 1.50/kg) relatives à la mise en place progressive de l’Accord de libre-échange dès le 1er juin 2002 nous a ainsi clairement posé problème. De 2003 à 2008, nos exportations se sont effondrées de presque moitié, passant de 65 à 35 tonnes. Mais cela nous a obligés à nous réveiller. Nous avons beaucoup développé notre marketing et notre visibilité auprès des consommateurs afin de nous appuyer sur une clientèle suisse fidèle. Sur ce point nous avons la chance d’avoir le soutien des deux grands distributeurs qui font confiance à la qualité du Vacherin Mont-d’Or AOC (ndlr. Les deux tiers de la production leur sont destinés) et ce, malgré l’augmentation de la concurrence des fromages à pâte molle étrangers.
Pour le Vacherin Mont-d’Or AOC, la suppression des droits de douane dès le 1er juin 2007 est un point positif. Notre fromage présentant une durée de vie limitée de 20 à 25 jours, les délais découlant des procédures administratives et du temps de livraison représentaient un réel problème. Depuis, la livraison, par exemple à Paris, est passée de 6 à 2 jours. Ce gain de temps représente un très gros avantage pour nous, la France est, en effet, notre plus gros client avec près de 40 tonnes exportées la saison dernière.
Une nouvelle dynamique dans le marketing et la communication, le maintien de la qualité, le soutien des gros distributeurs et la suppression des droits de douane ont, au final, permis au Vacherin Mont-d’Or AOC de relancer ses exportations qui ont atteint en 2011-2012 près de 50 tonnes. »
Propos recueilli par Vincent Bailly - AGIR