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La crise laitière ne le décourage pas
A Semsales, le nombre de producteurs de lait a fondu comme une motte de beurre au soleil ces dernières années. Comme partout en Suisse. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 13, dont la famille Berthoud, à élever des vaches laitières dans ce petit village du canton de Fribourg. Et à approvisionner la fromagerie en lait pour la fabrication du Gruyère AOP.
Ce matin-là, à 10h, quand nous rencontrons Rémy Berthoud (18 ans), le temps d’un café dans la cuisine familiale en compagnie de sa sœur, Adeline (21 ans), étudiante en Agronomie à la Haute école spécialisée de Zollikofen, et de leur maman Noémie, qui s’affaire à la préparation du repas, la journée a commencé depuis longtemps. Sur l’exploitation, la première traite a lieu à 5h. « L’avantage, c’est qu’on termine tôt. A 18h, tout le monde a fini », explique Noémie. Sauf en cas d’urgence évidemment.
Un planning bien rempli mais qui permet de préserver une certaine qualité de vie. Un facteur important. Car aujourd’hui, en plus de l’aspect économique, les contraintes et les horaires liés aux vaches laitières amènent de nombreux agriculteurs à arrêter la production de lait. Ainsi, quand Rémy ne travaille pas, il fait du foot à un bon niveau, quatre fois par semaine, ou profite de ses amis. « C’est nécessaire, au niveau de l’équilibre, d’avoir une vie en dehors du travail », assure leur maman, qui n’est pas issue du monde agricole et ne travaille pas dans la ferme. Et d’ajouter : « Après, il faut dire que chez nous c’est possible, car trois personnes se partagent le travail ». Avec Adeline qui est là, en renfort, lorsqu’elle n’étudie pas à Zollikofen.
500 tonnes de lait par an
L’exploitation de la famille Berthoud, qui s’étend sur 49 hectares, est exclusivement consacrée à la production laitière, avec 120 à 130 bovins, des Red Holstein. Ce qui représente une septantaine de vaches à la traite, auxquelles s'ajoutent des veaux ou des génisses. Quant à la production, elle s’élève à 500 tonnes de lait par an et place l’exploitation dans la catégorie des gros producteurs de lait (la moyenne suisse étant de 185 tonnes).
Toutefois, les vaches ne sont en aucun cas considérées comme des outils. « Pour nous, ce sont nos collègues de travail », confie Rémy Berthoud. « On est très proches d’elles. On ne les désigne jamais par leur numéro, mais toujours par leur nom. Elles ont leur caractère, leur personnalité. De plus, comme nous produisons du lait pour la fabrication du Gruyère AOP et que nous n’avons pas droit au robot de traite, elles ont toutes l’habitude d’être touchées, au moins au moment de la traite. » Certaines sont plus affectueuses que d’autres. Mais la plupart apprécient les câlins. Tout autant qu’Adeline aime leur en faire.
Un choix pas une obligation
Cet intérêt pour les vaches, la jeune femme et son frère l’ont toujours eu. « Quand on était enfant, on adorait déjà passer du temps avec elles, confie Rémy. On a vite eu des petites responsabilités, tout d’abord avec les veaux qui étaient à notre taille. »
Toutefois, Noémie a toujours été très attentive à ce que ces activités restent un plaisir. « Ils n’ont jamais été obligé de se lever, le matin, pour aller s’occuper des animaux. On n’est plus en 1930 ! Pour moi, un enfant est un enfant, y compris sur une exploitation agricole. Ils ont toujours été libres de leur choix. Idem pour leur métier. C’était primordial pour moi qu’ils fassent ce qu’ils avaient envie et ne se sentent pas obligés de reprendre l’exploitation. »
Adeline a décidé de poursuivre des études, bien qu’en restant dans le secteur agricole, avec pour objectif d’enseigner. Même si, dans le futur, elle imagine s’associer avec son frère, sans pour autant dépendre de la production laitière pour vivre. Quant à Rémy, cela a toujours été une évidence de reprendre l’exploitation. « Je ne me suis jamais vu faire autre chose », assure-t-il. Les vaches, c’est vraiment une passion. Même si ce n'est pas toujours facile. On peut vite être secoué de tous les côtés. Par exemple, quand deux vaches tombent malades en même temps. On voudrait toujours pouvoir les soigner. Malheureusement, parfois économiquement, ça n’est pas possible. De même, on aimerait garder tout le monde. Mais on ne peut pas faire une maison de retraite. »
La raison n’empêche pas les sentiments : « Depuis, tout petit, on a été confronté aux naissances, mais aussi à la mort. Cela ne veut pas dire que ça ne nous fait rien. Il y a des vaches auxquelles nous sommes particulièrement attachés. Et c’est toujours dur quand un petit veau ne survit pas ; quand une vache ne veut plus porter. Mais on ne peut pas s’apitoyer trop longtemps, parce qu’il y en a 60 ou 70 autres qui ont besoin de nous. »
Ne pas prévoir le pire
Comment Rémy voit-il l’avenir ? Comment se projette-il dans 10, 20 ou 30 ans ? « Mon idéal serait de pouvoir continuer comme ça, jusqu’à ma mort, avec plus ou moins le même nombre de vaches. Une ferme de 500m2, ça ne me fait pas rêver. » Pour le reste, le jeune homme reste lucide : « On ne maîtrise pas tous les paramètres. Ça bouge dans tous les sens au niveau de la législation, des exigences, des attentes de la population. On peut se retrouver confrontés, du jour au lendemain, à des obligations qu’on n’aura peut-être pas les moyens financiers d’assumer… »
Après trois années d’apprentissage, le jeune homme a choisi de se consacrer entièrement au travail sur l’exploitation familiale, durant un an, afin de se familiariser avec la facturation et l’ensemble des tâches administratives. Puis, pour avoir un bagage supplémentaire, il reprendra les cours pour passer son brevet agricole.
« Il y a la passion, certes, mais il faut pouvoir vivre. Et je sais que si ça ne devait plus tourner, je devrais arrêter. Aujourd’hui, tout augmente, l’électricité, les machines, l’alimentation pour nos vaches, mais pas le prix du lait. Comme beaucoup d’agriculteurs, je préfèrerais qu’il n’y ait plus de paiements directs mais qu’on nous paie mieux pour notre travail et nos produits, assure Rémy, tout en concluant. « Cela étant, je ne me prends pas trop la tête avec la situation économique. Je ne me lève pas le matin, en me disant, c’est horrible, le lait ne coûte plus rien. Ça ne sert à rien. Je ne veux pas envisager l’idée de devoir arrêter le lait. »
Pascale Bieri/AGIR
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