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La durabilité sociale dans l'agriculture : un enjeu complexe et nécessaire
La durabilité sociale n'est pas qu'un simple bonus : c'est le ciment qui lie les dimensions écologique et économique. Elle s'intéresse à ceux qui font vivre l’agriculture, en se préoccupant de leurs conditions de vie, de travail, et de la reconnaissance de leur rôle. Que ce soit les chefs d'exploitations ou les employés agricoles.
Aujourd’hui, dans le monde paysan, on travaille souvent au-delà de 55 heures par semaine, avec des disparités importantes, notamment en ce qui concerne les employés agricoles, car les législations varient d’un canton à l’autre. « Il est important d’améliorer les conditions pour éviter un épuisement généralisé et garantir une véritable durabilité sociale », assure Anna Kröplin, collaboratrice dans le domaine de la recherche en sociologie agraire à la Haute école spécialisée bernoise (BFH-HAFL).
Le monde change et les charges de travail excessives pèsent également sur les jeunes chefs d’exploitation. "Ils se trouvent souvent pris en étau entre le besoin de passer plus de temps avec leur famille et la pression constante pour améliorer la productivité", souligne Boris Beuret, président des Producteurs Suisses de Lait (PSL).
Le risque de « socialwashing » : attention aux illusions
Toutefois, alors que la durabilité sociale commence à faire son chemin, le risque de «socialwashing» est réel. Jérémie Forney, professeur d’ethnologie à l'Université de Neuchâtel, met en garde contre la tentation de réduire la durabilité sociale à une série de chiffres ou d’indicateurs : une illusion de progrès sans véritable transformation. « Il ne suffit pas de cocher des cases. La durabilité sociale demande un engagement profond, visant à changer les pratiques, pas seulement à satisfaire les attentes », explique-t-il. Il s’agit de repenser le système, pas de l’habiller d’une nouvelle étiquette.
Une enquête menée par les Producteurs Suisses de Lait (PSL) se penche également sur la qualité de vie des agriculteurs. Pour aller au-delà des constats, un outil d'auto-évaluation a été développé. Il permet aux producteurs de lait d’évaluer différents aspects de leur quotidien, tels que la gestion des conflits familiaux, l'équilibre entre vie privée et professionnelle, ou encore le sentiment d'épuisement.
Pour une agriculture plus inclusive
Autre aspect, l’égalité des sexes. Bien que des avancées aient été réalisées, avec 50 à 60 % des femmes qui sont désormais rémunérées et protégées, les écarts persistent. Les rôles traditionnellement attribués, le travail invisible ou non rémunéré, et les difficultés d’accès aux postes de décision continuent de freiner la véritable parité. Le groupe de recherche en sociologie agraire de la HAFL travaille activement sur ces questions et contribue aux débats politiques pour mieux intégrer ces enjeux dans les politiques agricoles.
Pouvoir prendre de temps pour soi
Au final, les échanges à Berne ont clairement démontré qu'il ne suffira pas d’ajouter la durabilité sociale comme une case à cocher sur la liste des priorités. Il faut une prise de conscience collective et un changement de mentalité, comme l'illustre Anne Chenevard, présidente de la coopérative de lait équitable, Faireswiss : "Les agriculteurs doivent pouvoir s’autoriser à prendre soin d’eux-mêmes. Aujourd'hui, si on s'arrête vingt minutes pour profiter du soleil sur la terrasse, on a de la peine à ne pas culpabiliser", dit-elle en ajoutant: "sans ces moments de répit, l’épuisement guette, mettant en péril non seulement la santé des agriculteurs, mais aussi la viabilité de leurs exploitations."
Pascale Bieri/AGIR