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La forêt jardinée dévoile son tapis vert
Les pas de Claude-André Montandon crépitent sous la neige, ce lundi-là. Dans le bois situé au-dessus du village de Couvet (NE), l’homme lève soudain le regard vers le ciel. « C’est une vraie cathédrale, s’émerveille-t-il à la vue du plus grand sapin blanc de Suisse qui mesure 58 mètres de hauteur. « J’ai un immense respect pour cet arbre. Depuis près de 300 ans, il a tout vécu : les sécheresses, les tempêtes et les orages », poursuit celui qui travaille comme chef du Service forestier de la Commune de Val-de-Travers.
Avec la fusion des neuf anciennes communes de la région en 2009, le Neuchâtelois gère désormais près de 2200 hectares de forêts avec une possibilité de coupe de 15 000 m3 par an. Selon lui, la nouvelle structure de l’administration communale a passablement modifié le paysage forestier et offert une meilleure synergie entre les différents partenaires de la chaîne du bois.
Un propriétaire pour chaque parcelle boisée
La commune fusionnée est membre de ForêtSuisse. Fondée en 1921, l’association défend les intérêts de 250 000 propriétaires et exploitants forestiers (lire encadré). Avec une superficie d’environ 1,32 million d’hectares, la forêt suisse recouvre un tiers du pays. En principe accessible à tout le monde, on oublie parfois que chaque parcelle boisée a un propriétaire, privé ou public.
Selon l’association faîtière, la proportion entre forêts publiques et privées varie d’un canton à l’autre. Dans les cantons de Vaud et du Valais, les forêts sont majoritairement publiques, tandis que près de la moitié sont en mains privées dans les cantons de Fribourg et de Neuchâtel. Dans la région du Val-de-Travers, on compte 500 propriétaires privés. De nombreuses familles possèdent des propriétés forestières qui sont ensuite transmises à la descendance. « Il y a un véritable patrimoine boisé », souligne Claude-André Montandon.
Des conditions de croissance favorables
Si la région est très productive, c’est parce que les conditions de croissance y sont très favorables, à l’image du magnifique sapin président qui surplombe la forêt. La Commune de Val-de-Travers dispose d’un budget forestier de 1,5 million de francs. Une trentaine de bâtiments communaux bénéficient du chauffage à distance avec les sous-produits du bois. En juin 2020, le Conseil général a accepté une extension pour un crédit de près de 14 millions de francs.
La localité vend pour plus d’un million de francs de bois par année. Les petites scieries du vallon n’ont pas une capacité d’absorption assez grande pour transformer le bois. C’est pourquoi, depuis plus de vingt ans, 80% de la production de résineux est exportée de l’autre côté de la frontière, dans la région de Pontarlier.
Une tradition qui remonte au XIXe siècle
Les étendues forestières de la région de Val-de-Travers sont connues à travers le monde. « Des professeurs de sylviculture mexicains sont venus admirer notre forêt qui est l’exemple typique d’une forêt jardinée durable », explique le technicien.
Pour comprendre le développement de cette méthode forestière, il faut remonter aux travaux d’Henry Biolley (1858-1939), un ingénieur forestier franco-suisse installé dans le Val-de-Travers. Dans l’un de ses inventaires forestiers, il explique qu’une forêt jardinée est toujours vivante. « Tous les états successifs dans le temps se trouvent réunis au même instant sur une seule et même surface […] on y rencontre toutes les grosseurs, de la plantule à celle du vétéran », écrit-il en 1881.
« À l’époque, c’était un visionnaire », considère Claude-André Montandon. Grâce à lui, les autorités communales ont stoppé les coupes rases en monoculture et fait fructifier différentes essences comme le sapin blanc, l’épicéa, le hêtre et l’érable. « En forêt jardinée, on privilégie l’arbre en tant qu’individu. Cette division forestière permet d’accueillir tant de sapins de telles grosseurs, tant de feuillus et tant de résineux, ajoute le garde-forestier. Ainsi, on maintient la structure de la forêt. »
Ancrée dans la culture neuchâteloise
Selon Paolo Camin, chef du département Économie et connaissance de ForêtSuisse, la forêt jardinée est ancrée dans la culture neuchâteloise. On peut la trouver dans d’autres régions comme les Grisons, mais elle est difficilement adaptable à toutes les forêts suisses. « C’est une forme de sylviculture proche de la nature qui permet une gestion durable tout en conservant une couverture forestière continue. Elle exige un suivi régulier fait par des professionnels qualifiés », explique Paolo Camin. En comparaison à une forêt gérée avec le principe de la coupe progressive et avec la mécanisation des exploitations, ce type de sylviculture exige un investissement plus important ainsi qu’une bonne desserte forestière que le seul revenu de la vente du bois ne permet plus de garantir. La valorisation des autres prestations de ces forêts (p. ex. : protection contre les dangers naturels, filtrage de l’eau, détente et biodiversité), ainsi que le captage en CO2 sont donc fondamentaux.
Face aux changements climatiques
Depuis quelques années, Claude-André Montandon observe avec attention et une certaine tristesse les phénomènes climatiques et les maladies comme le bostryche, auxquels sont confrontées les forêts. « Le déficit hydrique accroît le stress des arbres, observe-t-il. Ici, nous nous trouvons encore dans une région privilégiée, car les températures sont plus fraîches et la pluviométrie plus régulière que dans d’autres régions. » Durant la période de végétation – la phase de croissance – les arbres ont besoin d’énormément d’eau. « Si on enlève ces capacités, un grand nombre d’arbres va sécher », craint le Neuchâtelois. En complexifiant la forêt dans sa composition et dans sa structure, le garde-forestier est persuadé qu’elle sera plus riche et résistante pour les générations futures.
Encadrés
Un siècle consacré à la défense des forêts
Fondée en 1921, l’association ForêtSuisse – initialement Economie forestière Suisse – s’engage pour les propriétaires et les exploitants forestiers. Fondée en 1921, elle défend les intérêts de quelque 250 000 propriétaires, privés et publics, et promeut les conditions-cadres pour une gestion de la forêt qui soit économiquement viable et durable pour assurer sa vitalité.
La faîtière apporte son soutien pour la commercialisation du bois et offre d’autres prestations forestières. Elle propose des formations de base et encourage la formation continue. Ses membres sont les associations cantonales et régionales de l’économie forestière, les cantons et les propriétaires individuels. Son siège est situé à Soleure et emploie une trentaine de collaboratrices et collaborateurs.
Motion validée par le Conseil national
La semaine dernière, le Conseil national a tacitement accepté la motion du conseiller aux États Daniel Fässler (Le Centre / AI) pour garantir un entretien et une exploitation durable des forêts. Ce texte demande que le Conseil fédéral verse une contribution financière de 25 millions de francs pour une période de quatre ans pour encourager les soins sylvicoles, les coupes de sécurité et le reboisement. Selon le quatrième Inventaire forestier national (IFN4), les effets des changements climatiques tels que les ouragans, la sécheresse et les attaques de bostryches ont déjà mis à mal la forêt et placent les propriétaires forestiers face à de grands défis. « La forêt nous garantit des prestations fondamentales comme par exemple la protection contre les dangers naturels, le filtrage de l’eau et la production de bois. Il y a un réel besoin et des attentes de la population pour garantir l’état de santé des forêts », estime Paolo Camin. Avec l’évolution du marché du bois, la situation des propriétaires forestiers s’est également détériorée et certains d’entre eux ne sont plus en mesure d’entretenir les forêts et de faire face aux défis climatiques. Cette aide financière incitera les propriétaires à exploiter la forêt de manière durable afin d’adapter les peuplements forestiers pour qu’ils puissent remplir leurs fonctions protectrices, économiques et sociales.
Texte : Valérie Beauverd / AGIR
Crédit photo : ForêtSuisse