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La hausse du prix du gaz fait des ravages chez un maraîcher genevois
Alexandre Cudet, co-dirige avec Patrice Brestaz, une exploitation de six hectares de tomates cerises en grappes à Veyrier dans la campagne genevoise. L’hyper-spécialisation est une démarche plutôt rare dans le milieu. «On s’est concentré sur un seul légume afin d’être plus performant à tous les niveaux. On essaye de valoriser au mieux le produit et de diminuer au maximum les coûts de production», explique le maraîcher.
Les Serres des Marais, ce sont 60 employés en saison qui récoltent 8 mois par année et produisent 10 tonnes de tomates par jour. 30 à 40% des coûts de production sont imputés à la main-d’oeuvre. 15 à 20%, à l’énergie. «La tomate est gourmande en chaleur. On doit maintenir des températures avoisinant 15 à 18°C, poursuit Alexandre Cudet. La phase de déshumidification est particulièrement coûteuse en énergie. Mais, c’est le prix à payer pour bannir l’utilisation de pesticides de synthèse. «En poussant, la plante produit de l’humidité. Une partie de l’énergie est ainsi utilisée pour assainir l’environnement afin d’éviter le développement de maladies fongiques dues à la condensation.»
Sa facture de gaz double
Outre la hausse générale des prix, cette année, sur les fournitures, les engrais ou encore le transport, la crise énergétique met à rude épreuve les maraîchers. Le contrat de gaz des Serres des Marais est arrivé à échéance en septembre. Cette exploitation est la première à tomber dans le tarif régulé du gaz, c’est-à-dire le tarif public dans le canton. «Pour l’heure, il est impossible de renégocier notre contrat car les prix du gaz et du mazout sont extrêmement élevés. Cela nous reviendrait encore plus cher.» Alexandre Cudet a ainsi vu sa facture de gaz doubler. Ses coûts énergétiques avoisinent ceux de la main-d’oeuvre. «C’est si énorme, qu’on s’est sérieusement demandé si on ne devait pas arrêter notre activité. Pour finir, on s’est dit qu'il était plus risqué de disparaître du marché et d’y revenir une année plus tard, tant il est devenu concurrentiel.»
En Suisse, le prix de vente des fruits et légumes écoulés n’est pas corrélé au coût de production, mais suit l’offre et la demande au quotidien. Alors, comment l'exploitant va-t-il répercuter les surcoûts énergétiques? «C’est la grande interrogation. On aura une année difficile devant nous et certainement déficitaire. Pour l’heure, on a pu s’arranger avec nos partenaires économiques pour décaler nos échéances financières.»
L’heure est donc à l’économie d’énergie. Comment la gère-t-on au sein d’une serre en verre? «Ce n’est pas la construction la plus étanche qui existe. C’est pourquoi, on a installé des écrans qu’on peut déployer durant la nuit, par exemple, le long des parois et aussi au niveau du plafond pour limiter les perditions de chaleur, à l’image d’un rideau devant une fenêtre pour mieux isoler. La journée, on les lève afin de laisser passer la lumière et créer cet effet de réchauffement naturel par le soleil.»
Un marché européen en crise
Si en Suisse la situation est difficile, ailleurs c’est pire selon Alexandre Cudet: «Au niveau européen, de nombreuses entreprises n’arrivent plus à entrer dans leurs frais. Aux Pays-Bas, on parle de 500 hectares de tomates en moins, des décalages au niveau des plantations et des récoltes. On se dirige vers un déséquilibre du marché européen avec une baisse de la production de tomates en hiver.»
Actuellement, le Conseil fédéral n’a pas prévu d’aides financières en lien avec la hausse des coûts de l’énergie pour les entreprises. Une donne qu’il faut changer? «Il faudrait en premier que le politique comprenne nos défis et la dure réalité de notre situation. Ensuite, la grande distribution doit rester ouverte à payer correctement la vraie valeur d’un produit.» Pour entrer dans ses frais, le maraîcher estime qu’il doit toucher 50 centimes de plus par kilos en 2023. «Ce ne sont pas des montants inconsidérés. Si on augmente nos prix, ce n’est pas pour s’enrichir, mais pour couvrir nos coûts de production. Mais, dans un contexte inflationniste généralisé, on verra si nos clients feront des efforts dans ce sens.» Le maraîcher est en revanche persuadé que le consommateur est prêt à payer la vraie valeur d’un produit. «Pour autant que la grande distribution mette mieux en valeur les légumes locaux sur les étalages. C’est essentiel.»
Zéro émission nette de gaz à effet de serre
Aux défis évoqués précédemment s’ajoute celui de l’Union maraîchère suisse (UMS), à savoir des serres chauffées à 80% (charge de base + chauffage pour sécher) sans combustibles fossiles d’ici 2030; et à 100% (aussi charge de pointe, lutte contre le gel, fumure CO2) d’ici 2040. Une stratégie réaliste? Pour Alexandre Cudet, «cela reste très difficile de trouver des solutions durables pour nos chauffages que ce soit maintenant, pour répondre à Migros, ou en 2030/2040 pour répondre aux exigences de la profession, bien que ayons encore un peu de temps pour nous adapter. C'est bien les 20% finaux qui nous posent le plus de problèmes. C'est dans ces 20% que nous puisons les énergies de pointe pour parer à une situation extrême comme un coup de froid subit, un froid prolongé sur une longue période, etc…» Et de compléter: «Pour moi, la difficulté la plus grande, à terme, est d'avoir une cohérence vis-à-vis des importations de légumes. La production actuelle en Europe est complètement déphasée avec ce qu'on nous demande en Suisse. Si on arrive à avoir cette cohérence alors les prix vont s'adapter et nous pourrons financer de nouvelles installations pour adapter nos outils de travail.»
Kalina Anguelova/AGIR
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Suite de la série:
(2/4) Des maraîchers devront abandonner les serres au profit de cultures en champs
(3/4) Le prix des poussines va grimper l'année prochaine
(4/4) Baisse de l'exportation de fromage en 2022