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La montagne, refuge des fromageries traditionnelles
Il est à peine 7 heures du matin lorsque les premiers agriculteurs arrivent à la fromagerie du Cerneux-Péquignot, dans les montagnes neuchâteloises. Comme chaque jour depuis plus de vingt ans, Olivier Baudois, le fromager, les attend pour la livraison du lait. Un rendez-vous immuable qui rythme la vie de ce village situé à 1100 mètres d'altitude. Et qui se répétera en fin d'après-midi, conformément aux exigences strictes de l'AOP Gruyère qui impose deux livraisons quotidiennes de lait frais, contribuant à garantir la qualité du fromage. Et ce, 7 jours sur 7, invariablement.
"Le lait doit être réceptionné avant qu’il se soit refroidi", explique Olivier Baudois, venu de Fribourg en 2003 avec sa famille pour reprendre la fromagerie du village. Une décision qu’il n’a jamais regrettée. Et un métier qu'il exerce toujours avec la même passion. Tout récemment, cet artisan a reçu le prix du meilleur Gruyère AOP neuchâtelois 2024, une distinction qui s'ajoute à une série de succès, dont une médaille d'or obtenue aux États-Unis en 2012, ainsi que plusieurs autres prix. "Ça fait évidemment plaisir, mais le plus important, c’est que ces prix contribuent à faire rayonner la filière du Gruyère AOP", dit-il.
La crise laitière et ses répercussions sur les fromageries
La fromagerie d’Olivier Baudois produit chaque année 200 000 kilos de Gruyère AOP, ce qui représente environ 2 200 000 kilos de lait. Des chiffres restés stables malgré une crise persistante sur le marché du lait, où chaque jour, un à deux producteurs en Suisse mettent la clé sous la porte. Leur nombre a chuté de plus de 50% en 25 ans, passant de 44'000 à 17'164 à la fin de 2023.
"Produire du lait est très astreignant pour les agriculteurs. Beaucoup choisissent de se tourner vers des activités plus rémunératrices, comme les grandes cultures. S’ajoute à cela, de plus en plus de bureaucratie et de contrôles divers, ce qui ne motive pas forcément la jeune génération", observe Olivier Baudois. La raréfaction des éleveurs de vaches laitières a également des répercussions en cascades. Elle met, notamment, en danger les fromageries qui dépendent de l'approvisionnement local en lait. "Lorsqu'un producteur arrête son activité, c'est toute la chaîne qui est fragilisée. Retrouver un nouveau fournisseur de lait est souvent très compliqué, d'autant que les règles strictes de l'AOP imposent que le lait provienne d'une zone géographique précise", ajoute le fromager.
Les atouts uniques des montagnes pour le lait AOP
Toutefois, les régions de montagne sont moins affectées par cette hémorragie que les plaines. En altitude, les conditions géographiques limitent les alternatives agricoles, comme la culture de céréales, et l’élevage laitier reste une nécessité pour les agriculteurs locaux. Par ailleurs, ces contraintes géographiques s'avèrent paradoxalement être un atout. Les pâturages alpins, riches en flore diversifiée, jouent en effet un rôle essentiel dans la qualité du lait produit. Les herbes naturelles, dont se nourrissent les vaches, donne au lait des arômes uniques qui se retrouvent dans les fromages AOP comme le Gruyère. "Ces prairies et cette biodiversité apportent une valeur ajoutée considérable au lait de montagne, qui permet à nos fromages de se distinguer", souligne Olivier Baudois.
Ainsi, grâce à cette spécialisation et à la valorisation du lait destiné aux fromages AOP, les producteurs continuent de livrer leurs fromageries locales. Avec un prix du lait payé entre 95 et 98 centimes le kilo, ce qui est nettement au-dessus du prix du lait pour l’industrie, souvent payé entre 55 et 60 centimes.
Par ailleurs, le modèle coopératif, largement répandu dans ces régions, permet aux petits producteurs de mutualiser les ressources et de garantir un approvisionnement régulier, assurant ainsi la stabilité de la production fromagère. "Je suis locataire de la fromagerie, qui appartient à la Société de Fromagerie forte de 12 agriculteurs. J’achète leur lait pour produire mon fromage, ainsi qu’un peu de beurre et de yaourts, que je vends à mon tour", explique Olivier Baudois. Concrètement, toute sa production de Gruyère entre dans la filière de l’AOP, et 4% peuvent être vendus sur place.
Pascale Bieri/AGIR
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