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L’accueil social à la ferme vise une solide reconnaissance publique
"On a créé des lois pour protéger les agriculteurs, mais qui commencent à dater par rapport aux services qu’ils peuvent fournir à la société." Figure romande du "Care Farming" (littéralement "soin à la ferme"), Jean-Marc Bovay, producteur de céréales, de pommes de terre, mais aussi éleveur de chevaux établi à Démoret (VD), résume bien l’ambition actuelle pour les exploitations pratiquant l’accueil social en Suisse. A travers le pays, elles sont environ 550. Lui qui est également maître socioprofessionnel, diplômé de l’ARPIH d’Yverdon, préside l'association Agriculture sociale Suisse romande, fondée en 2021, et fait partie du comité de la plateforme nationale Green Care Suisse, créée en 2022 et soutenue par l’Office fédéral de l’agriculture.
Travailler la terre c’est prendre part à la vie
Force est de le constater, si aujourd’hui les notions d’agritourisme, de vacances à la ferme, jouissent d’une certaine notoriété, et commencent à se faire un chemin dans nos habitudes de citoyens, on connaît encore bien mal les projets d’insertion menés sur les exploitations. Chaque semaine pourtant, des réfugiés, des enfants en rupture scolaire, des adultes souffrant de dépendances, des malades psychologiques ou psychiatriques, des personnes atteintes de troubles autistiques trouvent à la ferme des activités apaisantes et valorisantes. Ils sont alors encadrés par des institutions, comme Caritas ou Pro Infirmis, avec un suivi médical spécialisé et des objectifs précis. Travailler dans une ferme contribue à les reconnecter au vivant et à la notion de communauté, quand les murs d’une institution ont tendance à vous invisibiliser.
Faire avancer la cause sous la Coupole fédérale
L’un des problèmes en Suisse, c’est que la rémunération de ces prestations est encore très disparate. Alors si Green Care Suisse ambitionne de mettre en réseau les professionnels concernés et les possibilités de placements, ce n’est pas un hasard si l’association est allée chercher, comme coprésidents, deux figures du Conseil national: l’avocat vaudois Raphaël Mahaim (Les Verts) et l’agriculteur argovien Aloïs Huber (UDC), par ailleurs vice-président de l'Union suisse des paysans. Présents à Grangeneuve à l’occasion des 2èmes Rencontres européennes d’agriculture sociale et thérapeutique, ils ont dit leur motivation à faire avancer la cause dans la législation fédérale. Tout en interrogeant constamment la notion de qualité dans les dispositifs d’accueil.
Des prestations à intégrer aux paiements directs?
"En 2017, 78% de la population a souhaité inscrire un article sur la sécurité alimentaire dans la constitution", a relevé Raphaël Mahaim. "Pourquoi ne pas y ajouter le Green Care comme facteur d’inclusion sociale, et de cohésion entre territoires urbains et ruraux?" Il faudrait pour cela une légitimité et de la reconnaissance, un aménagement du territoire plus conciliant pour pouvoir adapter les fermes aux activités d’accueil, et des systèmes de financement adéquats. "Il faut se demander quelle place, dans les paiements directs, pourrait être réservée aux prestations d’agriculture sociale", a poursuivi l’élu vaudois, "pour rémunérer des prestations qui sont d’intérêt général". "Quels soutiens cantonaux sont possibles, suivant quels critères de qualité? Et quelle place entend-on octroyer au Green Care dans la formation agricole et sociale?"
Activités encore accessoires car non-agricoles
Delphine Piccot, conseillère agricole chez Prométerre, l’association vaudoise de promotion des métiers de la terre, a rappelé le cadre juridique relativement restrictif prévu en Suisse. Selon la Loi fédérale sur le droit foncier rural (LDFR), reprise dans les lois cantonales sur l’aménagement du territoire (LAT), les prestations socio-thérapeutiques, tout comme l’agritourisme, ne peuvent être assurées que dans des entreprises agricoles, répondant à des critères stricts comme la surface cultivée ou le temps de travail consacré. Et cela à titre "accessoire", c’est-à-dire sans dépasser 30% du chiffre d’affaires annuel de l’exploitation.
Si, pour les exploitations motivées, il apparait aujourd’hui presque toujours nécessaire de "bricoler" (sic) pour trouver des arrangements acceptables, le représentant du canton de Vaud, Pascal Hottinger, directeur général de l'agriculture, viticulture et des affaires vétérinaires, a aussi défendu l’implication financière d’entreprises privées.
L’insertion concerne toutes les entreprises
Selon sa propre expérience chez Nespresso, "le Care Farming est peut-être plus compétitif que certaines ONG du social, car vous faites de l’intégration sociale en milieu rural". "On me dit qu’un prisonnier coûte entre 100 et 150'000 francs par an à la collectivité. On doit faire mieux que ça, et cela passe par la valorisation de ce que vous pouvez offrir." Abondant dans le même sens, le conseiller d’Etat fribourgeois Didier Castella, à la tête du dicastère de l’agriculture, des institutions et des forêts, a souligné que ces initiatives "intéressent jusqu’au Forum économique mondial". Il en appelle au privé "car l’Etat n’a pas forcément les moyens de tout financer". Occasion pour lui de tout de même mentionner l’ouverture, cette année, d’une école enfantine bilingue français-allemand à la ferme de la Faye, à Granges-Paccot.
Le modèle d’affaire néerlandais
Enfin, puisque ces rencontres étaient européennes, avec des témoignages français, italiens ou irlandais, c’est l’exemple néerlandais qui a beaucoup été mis en avant. Maurice van Valkenburg, CEO de la coopérative de prestations sociales SZZ, qui appuie près d’un millier de fermes dans le sud des Pays-Bas (pour la gestion administrative de leurs prestations, leur certification qualité, la formation, la gestion des risques et la communication), a esquissé les rouages de son système de santé public-privé, très réglementé, cité en exemple à travers l’Europe. Sans trop entrer dans les détails, on retiendra qu'aux Pays-Bas maladies et soins de longue durée sont pris en charge par les impôts, tandis que les soins spécialisés sont gérés par les entreprises de santé privées, le tout en collaboration étroite avec les communes. Dans ce cadre, le "Care Farming" s’y est considérablement professionnalisé depuis 50 ans, avec désormais "quelque 15'000 employés" – même si la part du bénévolat reste importante. Maurice van Valkenburg a résumé: "Au final, vous allez voir vos services municipaux, ils vous donnent une liste des prestations possibles, dont des Care Farms, et à vous de faire votre choix. Ou alors vous pouvez découvrir ces choix en visitant notre site internet".
Démarche entrepreneuriale encouragée
Cette valeur sociale ajoutée, deux professeurs de la Haute école de travail social (HES-SO) de Fribourg, Emmanuel Fridez et Benoit Renevey, ont aussi plaidé pour qu’elle soit, en quelque sorte, décomplexée: "Il ne faut pas hésiter à entrer dans une démarche entrepreneuriale, vos prestations peuvent très bien ne pas être gratuites, et vous pouvez vendre le produit de vos ateliers, d’autant plus que vos éventuels bénéfices se doivent d’être en partie réinvestis en faveur de cette mission sociale. Certes, une aide financière est sollicitée envers l’État, mais il faut essayer de ne pas trop en dépendre". En d’autres termes, au-delà de la mise en réseau déjà engagée, il s’agit donc de faire savoir aux politiques et au grand public que l’on fait du bon boulot, que des prestations de qualité fonctionnent. La présence d’équipes de réinsertion socio-professionnelle dans l'arrière-pays contribue, de surcroît, à la redynamisation des zones rurales, tandis que des vocations et des porteurs de projets, parmi la nouvelle génération d’éducateurs et de personnel soignant ou paramédical, mériteraient certainement d’être encouragés.
Etienne Arrivé/AGIR
Plus d'information: greencareschweiz.ch/fr