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L’amande de Suisse, spécialité inattendue du XXIe siècle?
Quels sont les principaux pays producteurs d’amande dans le monde? Deux-trois mots sur un clavier, je clique, réponse : "Sur les 3'214'522 tonnes d'amande produites par an, les États-Unis d'Amérique sont très loin devant avec 2'002'742 tonnes, tout spécialement produites dans la Central Valley en Californie. L'Espagne arrive en deuxième position avec 202'339 tonnes. La Suisse ne produit pas d'amande". Toute la Suisse? Non! Avec le changement climatique, ces pics de chaleurs et de sécheresse de plus en plus fréquents, certains tentent à nouveau l’expérience en pionniers, avec quelques dizaines d’arbres tout au plus. Et en Valais, d'anciennes poches de production ont même laissé des noms de lieux-dits, tels Mandolaire ou Amandoley.
Pionniers en demande de préconisations
Des chercheurs d’Agroscope leur viennent en renfort depuis 2020, car faute de pratique, de nombreuses inconnues subsistent. A la suite d’une pré-étude financée par la fondation agricole bâloise Sur-la-Croix, décision fut prise de planter 27 variétés dans les terres argileuses de la station d’essai de Breitenhof, à Wintersigen (BL). C’est sur ce verger expérimental que nous reçoit Julien Kambor, collaborateur technico-scientifique chez Agroscope. Lui travaille à 80% dans la recherche sur les insectes en arboriculture, et consacre un 20% à ce projet d’amandiers. "Le projet est parti de l’idée que nous avons déjà ici beaucoup de cerisiers et d’arbres fruitiers à hautes tiges, mais qui sont de moins en moins exploités entre autres à cause de la Drosophila suzukii."
Contrer le moucheron asiatique
Egalement appelée moucheron asiatique, cette espèce de mouche d’Asie du Sud-Est, redoutable ravageur qui n’est arrivé en Europe que dans les années 2010, apprécie la fraîcheur et l’humidité, et dépose ses œufs dans les fruits parfaitement mûrs, que ce soient des cerises, des prunes, ou encore des myrtilles, des mûres ou des fraises. En attendant mieux, ce sont les filets de protection à mailles fines qui semblent les plus efficaces contre ses attaques. "Dès lors, des agriculteurs se sont demandé si les amandiers ne pouvaient pas être une alternative, en tout cas dans les vergers hautes tiges, qui sont difficiles à exploiter de façon intensive. Mais évidemment il faut que nous trouvions des variétés robustes et qui fonctionnent avec nos conditions environnementales."
Terre viticole, terre d’amandiers?
Depuis 2020, Agroscope mène ses observations à travers la Suisse, chez une vingtaine de producteurs, mais profite donc de son site de Breitenhof pour un comparatif pur et dur. "Il faut savoir qu’on est ici à la périphérie d’une région de vignes. Et on dit que là où la vigne s’adapte bien, les amandiers aussi. Cela reste à prouver, car ici nous avons un sol assez lourd, et qui n’est théoriquement pas optimal pour l’amandier." La plupart des 27 variétés testées poussent pourtant déjà avec vigueur, et ont donné une première petite récolte en 2023. C'est le cas des arbres de Stefan Germann, qui cultive depuis vingt ans une septantaine d’amandiers, en Bio Bourgeon, à Törbel, dans le Milibach intérieur en Valais. A Breitenhof, les autres spécimens sont aussi bien espagnols que français, italiens ou américains.
Résister au gel et aux monilioses
A côté de leur croissance et de leur forme, l’équipe de Julien Kambor enregistre les périodes de floraison. "L'année dernière, une majorité de variétés a fleuri fin mars, entre les abricotiers et les cerisiers. Mais cela varie énormément, entre le mois de février et la mi-avril. Ensuite, s’il y a des dégâts liés au gel, on prélève des fleurs, pour voir jusqu’à quel point elles sont abîmées." Le gel, voilà bien sûr l’un des deux périls naturels principaux pour une culture suisse. L’autre, ce sont les maladies fongiques : "Essentiellement les monilioses, qui attaquent aussi les abricotiers et tous les autres fruits à noyau. Ce sont des champignons qui infectent les fleurs, spécialement quand il pleut beaucoup durant la floraison. Cela provoque la chute des fleurs, qui ne développent pas de fruits. Des fongicides existent, mais à ce stade, aucun n’est homologué en Suisse pour les amandiers, car c’est une culture trop rare. Pour notre part, on cherche donc à déterminer quelles variétés seraient les moins sensibles à ces monilioses".
Des arbres encore jeunes
Le financement initial de l’étude prend fin cette année, Agroscope prévoit donc de publier ses données fin 2024 ou début 2025. "Mais il sera encore trop tôt pour avoir des certitudes. Les arbres étant encore très jeunes, la floraison n’est pas massive. Un amandier atteint sa productivité maximale environ 5 ans après avoir été planté, on ne pourra donc pas faire de recommandations définitives." Au moins les arbres sont-ils là désormais, prêts à délivrer d’autres enseignements.
Un appui pour les pollinisateurs
"Il se pourrait que des amandiers fleurissants tôt soient intéressants comme appui pour les abeilles sauvages, lesquelles volent quand la température est plus basse que pour les abeilles mellifères. Et puis il y a l’aspect touristique: est-ce que les amandiers en fleurs pourraient être un aimant touristique à cette période, comme c’est le cas dans le sud de l’Allemagne, dans la région viticole du Palatinat?" Un sentier de randonnée des amandiers s'y étend sur 100 kilomètres. "Les amandiers y fleurissent de façon superbe, mais ne produisent que des amandes amères, qui ne se mangent pas." Pas à une contradiction près, ce Prunus dulcis, puisque ce sont les amandiers à petites fleurs dont on récolte le plus massivement les fruits.
Etienne Arrivé/AGIR