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Le cheval en majesté, au Haras national d’Avenches
Commençons par bien distinguer ce Haras de l’Institut équestre national (IENA) qui vous fait face. Vous êtes une entité publique, un centre de compétences de la Confédération, quand eux développent des prestations à titre privé.
Inès Lamon: Oui le Haras national suisse s'appelait auparavant Haras fédéral. Il a changé de nom en 1998, après sa restructuration et la privatisation de ses 142 hectares d’exploitation agricole, désormais utilisés par le centre hippique pluridisciplinaire IENA, pour la valorisation du sport-loisir équestre, des courses PMU et autres concours. De notre côté, c’est en 2011 que le Haras national, suite à une mobilisation contre sa fermeture, a été rattaché à Agroscope, dans le domaine de compétence Animaux, produits d’origine animale et Haras national suisse. On assure en particulier tout ce qui concerne la préservation de la race franches-montagnes, sa diversité génétique, la mise à disposition des étalons sélectionnés, et puis l’on mène des travaux de recherche, principalement en collaboration avec les hautes écoles, et on encourage l’échange de connaissances concernant la détention et l’utilisation des équidés. On fait un peu tout ce sur quoi les privés ne s’engagent pas.
Le 20 janvier, comme chaque année à pareille époque, votre institution a ouvert une période de "test en station" pour les futurs étalons franches-montagnes, tous âgés de 3 ans. C’est la 2nde phase de sélection, la 1ère étant effectuée depuis début janvier par la Fédération suisse du franches-montagnes (FSFM). Parlez-nous de cette période particulière sur le calendrier du Haras national.
La sélection des étalons présents au test en station se fait par la Fédération suisse du franches-montagnes, qui nous donne ensuite le mandat de les former. C'est une période qui nous réjouit beaucoup, qui apporte une belle reconnaissance aux collaborateurs du Haras, cavaliers, atteleurs, employés d’écuries. Durant 40 jours, il y a des entraînements à l'équitation et à l'attelage, pour une finale, en public, le 1ᵉʳ mars. Nous avons au total une quinzaine de personnes impliquées tous les matins pour vraiment s'occuper de tout. De 7h à 17h, les 16 étalons présélectionnés sont entraînés, séparés en des groupes de deux ou trois, puis ils passent l’après-midi au parc avant d’être toilettés et brossés. C'est très standardisé, c'est très rigoureux aussi, et puis ça met une belle ambiance aussi d'avoir le contact avec les éleveurs, qui peuvent passer voir leurs chevaux.
Le restant de l'année est beaucoup plus calme?
Disons que nous hébergeons quand même 50 étalons franches-montagnes, dont certains partent, entre février et juillet, vers nos trois stations de Saignelégier dans le Jura, de Gohl en Emmental et de Haag dans le canton de St-Gall. Là-bas, on s’occupe de la reproduction et des entraînements, pour pouvoir présenter ces chevaux à des manifestations et des concours. Quant aux étalons qui restent ici, on en fait le même usage, mais ils sont de surcroît utilisés pour la formation de nos quatre apprentis. Sachant qu’on a trois ateliers ici: maréchal ferrant (également 3 apprentis), charron, sellier. On a une grande palette de métiers, avec un groupe de recherche équidé, avec des biologistes, agronomes, des vétérinaires aussi, pour un total de 40-45 personnes sur le Haras, en comptant les étudiants qui participent à certaines phases de projets. On tourne avec un budget d’environ 5 millions de francs, qui n’est pas uniquement de l’argent public puisque la recherche fonctionne aussi avec des fonds tiers, venus d’institutions ou de fondations.
Certains se sont étonnés du faible nombre de candidats étalons que vous testez cette année, ce qui limite aussi le nombre de ventes pour les éleveurs.
La remarque part principalement des économies de la Confédération l'année passée, quand on avait acheté un seul étalon, contre quatre ou cinq parfois. Cela a créé quelques remous. Toujours par mesures d'économie, on va réduire notre cheptel à 45 étalons d'ici 2030, et on souhaite conserver quelques éléments plus matures, qui permettent soit de former les jeunes apprentis, soit de former les jeunes chevaux également, par exemple lors des tests en station. Il est important d’avoir un bon équilibre entre jeunes et plus âgés dans notre cheptel. Les chevaux plus expérimentés contribuent à stabiliser les jeunes, et puis ils sont utiles pour la recherche, car on peut par exemple les mettre en groupe. L’espérance de vie d’un franches-montagnes est d’une trentaine d’années, c'est une race très saine, très robuste, et très docile.
Et les juments?
On en a 20, que l’on récupère à bon prix, entre 1’000 et 2’000 francs, souvent parce qu’elles ne peuvent plus être utilisées pour le sport, et finiraient autrement à la boucherie. C’est un troupeau qui est utilisé pour la recherche. Ainsi, en ce moment, elles sont à St-Aubin (FR), pour un projet sur la stabilisation du sol en zone agricole. On teste des plaques afin de trouver la meilleure option. C’est un projet en partenariat avec l’ETH Zürich, une fondation et le site Agroscope Reckenholz (ZH), en réponse au conflit sur l’aménagement du territoire et la protection des animaux. Les chevaux doivent pouvoir sortir, mais sans abîmer le terrain, en particulier lors des années pluvieuses. Donc il y a des analyses de sols qui ont été faites à intervalles réguliers, c’est prévu sur deux ans et demi, sur un terrain qui appartient au canton de Fribourg et qui doit pouvoir, par la suite, conserver ses qualités pour l’agriculture.
La gérante de la Fédération suisse du franches-montagnes, Pauline Queloz, expliquait récemment que cette unique race considérée comme indigène en Suisse ne disposait aujourd’hui que de 11 lignées paternelles, et que certaines risquent de disparaître car peu utilisées par les éleveurs. Elle pense en particulier aux chevaux plus massifs, délaissés au profit justement des lignées sportives.
Le cheval et l'élevage s'orientent souvent en fonction de l'utilisation finale. Et c'est clair qu'on recherche souvent des chevaux moins massifs. Cela dit, il y a quand même une tendance à revenir aux travaux de débardage, pour évacuer les troncs d’arbres en forêt, ça revient très à la mode et il y a même des concours. Et puis il n’y a pas seulement l'aspect sportif à prendre en compte, mais aussi l'aspect caractère, qui est vraiment une marque de fabrique pour le franches-montagnes. Pour nous, le but est vraiment de garder toute la diversité génétique de la race, et d’ailleurs nous conservons, en semence congelée, tous les étalons qui sont passés par le Haras. De même, pour écarter tous les risques liés à de la consanguinité (baisse de fertilité, maladies), nos généticiens ont développé le logiciel "Poulain virtuel", qui permet de mesurer virtuellement les conséquences de tel ou tel accouplement, et aller dans une direction qui fasse sens, au-delà de la seule lignée paternelle, pour toute la race. Il faut savoir qu’avec 1'700 à 2'000 naissances par année, le franches-montagnes représente plus de la moitié des naissances de poulains en Suisse.
Les agriculteurs encore propriétaires de chevaux sont-ils suffisamment soutenus? Ont-ils encore de bonnes raisons de continuer au 21e siècle?
De bonnes raisons certainement. Beaucoup d'agriculteurs ont transformé leur étable en écurie, et en ont fait une pension pour chevaux. Pour eux, c’est un revenu stable, chaque mois, qui n'est pas dépendant de la météo, et je suis convaincue qu'ils peuvent faire les choses très bien si le cadre pour les pensionnaires est très clair. Certaines exploitations du Jura ou en Suisse allemande utilisent tout de même encore leurs chevaux pour certains travaux des champs, et pour du débardage en forêt. Et enfin le cheval garde ce côté sympathique, qui crée du lien, qui entre dans pas mal d’activités touristiques: des tours en calèches, des chars fondue, etc. Il aide à ramener la population plus près de l'agriculture.
Le Haras national entretient-il lui-même du contact avec les exploitations agricoles?
Oui, pour certains projets de recherche. Il y a deux ans, on s’est intéressé aux allures du franches-montagnes, comment il trotte, comment il marche, son amplitude, sa cadence. Nos experts s’étaient rendus sur place, chez des particuliers, en disposant des capteurs sur les chevaux.
Quant à ce Haras, à l'horizon 2050, comment envisagez-vous son utilité, ses domaines de recherche?
2050 ça fait loin, et en même temps nos missions ont été ancrées dans l’ordonnance sur l’élevage récemment, en 2022. On peut considérer qu’il y en a trois: maintien de la diversité de la race franches-montagnes, recherche, et échange de connaissances. Ce sont des objectifs qui gagnent à être implémentés dans la filière équine, laquelle se pose beaucoup de questions sur le bien-être animal. On peut ici soutenir les agriculteurs, et contribuer à réunir toutes les forces, toutes les fédérations, autour de cet objectif. En tant qu’exploitation modèle, il est important pour nous également d’optimiser continuellement la détention de chevaux en leur offrant toujours le meilleur et un des défis est de trouver un peu plus de terrains pour cela.
Propos recueillis par Etienne Arrivé/AGIR