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Le lait équitable gagne du terrain
Tous les jours, deux à trois producteurs de lait mettent la clé sous le paillasson, en Suisse. Résultat: en 25 ans, le nombre de détenteurs de vaches laitières a chuté de plus de 50%, passant de 44'000 à 17'164, à la fin de 2023. Anne Chenevard, agricultrice à Corcelles-le-Jorat, dans le canton de Vaud, aurait pu être emportée par cette hémorragie. "Sans le lait équitable, j’aurais sûrement arrêté les vaches, confie-t-elle. Mon étable n’était plus aux normes, mes vaches étaient à l’attache, et la traite, avec des installations vieillissantes, était extrêmement contraignante. Cela ne correspondait plus du tout à la manière dont j’avais envie de travailler."
Une réponse à la crise laitière
Pour contrer la fatalité, Anne Chenevard, ainsi qu’un petit groupe d’éleveurs, ont créé Faireswiss, en 2018. Une coopérative qui rétribue le lait à un prix équitable pour le producteur, soit 1 franc par litre. "Le prix du lait ne cesse de baisser. Aujourd’hui, le lait suisse est payé 65 centimes en moyenne, alors que, selon une étude d’AGRIDEA, le coût de production s’élève à 98 centimes/litre. C’est une aberration! En plus, les paiements directs que reçoivent les producteurs ne suffisent pas à combler le manque à gagner", explique l’agricultrice, qui est également présidente de Faireswiss.
Actuellement, la coopérative écoule 1,5 million de litres de lait par an. On le trouve en brique chez Manor, Aligro, Spar, Pam ou encore Edelweiss, ainsi qu’auprès d’environ 500 épiceries à travers la Suisse. Ce lait équitable est aussi acheté par des collectivités telles que la ville de Lausanne. Et, depuis le 10 avril 2024, il a fait son entrée chez Aldi, dans 96 succursales en Suisse romande, ainsi que dans les cantons de Berne et de Soleure. "Ça a été de longues discussions", confie encore Anne Chenevard, "et je pense que le contexte de la Révolte agricole, qui a suscité un large soutien public, a contribué à influencer positivement la décision d'Aldi d'offrir notre lait équitable."
Une ferme rénovée grâce au lait équitable
Ce nouvel élan arrive après un revers inattendu il y a 3 ans, quand Migros a décidé de sortir le lait équitable de Faireswiss de ses rayons, malgré le succès des ventes. "En février 2021, lorsque nous avons commencé, nous étions présents dans 8 Migros avec 3'000 litres par mois, puis à la fin, nous avions 86 succursales et 50'000 litres par mois. Notre collaboration a cessé parce qu’ils ont voulu nous imposer le label IP-Suisse, alors qu’il n’en avait jamais été question au préalable. Pour certains de nos membres, ce n’était pas possible de répondre aux conditions de ce label, et surtout, il était exclu qu’on se fasse dicter nos règles par la grande distribution."
Aujourd’hui, des discussions sont à nouveau en cours avec le géant orange. "Entre temps, un certain nombre de nos membres sont passés en IP-Suisse", explique Anne Chenevard, qui n’a de cesse de le rappeler: la durabilité en termes d’agriculture passe d’abord par des rentrées financières correctes pour les exploitants. De là peut découler l’amélioration des mesures en termes de bien-être animal et de biodiversité. Cette battante, qui est à la tête d'un domaine familial de 43 hectares, avec 38 vaches, bientôt 48, en est l’exemple: "En améliorant mes revenus, j’ai pu obtenir un prêt pour rénover ma ferme vieillissante et acheter un robot de traite. Aujourd’hui, mes vaches sont en stabulation libre, elles peuvent se déplacer comme elles le souhaitent avec un accès permanent à l’extérieur. Le lait équitable a donc permis d'améliorer ma situation financière, mais aussi le bien-être de mes animaux."
120 producteurs sur liste d’attente
Un discours que les consommateurs entendent. On l’observe à travers le soutien public apporté à la Révolte agricole, et à l’accueil qui est fait au lait équitable de Fairswiss. "Lorsque nous sommes sortis de Migros, nous avons eu peur que les ventes s’effondrent. Mais ça n’a pas été le cas, car beaucoup de personnes ont fait l’effort d’aller le chercher ailleurs, notamment dans les petites épiceries. Je trouve ça formidable", dit encore Anne Chenevard.
Quant aux éleveurs, ils sont nombreux en Suisse à souhaiter rejoindre la coopérative, qui travaille avec Cremo pour la mise en brique. "Aujourd’hui, nous sommes 77 et nous avons une liste d’attente de 120 producteurs, avec des troupeaux allant d’une petite dizaine de vaches à une centaine. Mais avant de les accueillir, nous devons d’abord augmenter notre marché de distribution."
L’espoir d’Anne Chenevard, à court ou moyen terme, serait de pouvoir écouler 9 millions de litres par an. Ce qui représenterait en moyenne un litre de lait Faireswiss par an et par habitant. Ce qui ne parait pas totalement utopique.
Pascale Bieri/AGIR
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