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Le marché du porc à la recherche d’un équilibre durable
Peut-être vous en souvenez-vous. Fin 2022, l’exportation de 7'000 tonnes de viande de porc vers l’Allemagne, à perte pour les producteurs, avait fait les gros titres des médias. En parallèle, 5'000 tonnes supplémentaires avaient dû être stockées dans des entrepôts frigorifiques, en raison d’une surproduction massive. Aujourd’hui, la crise est résolue. Mais Olivier Pittet, invité permanent du comité de Suisseporcs Romandie, reste prudent: "On n’est pas à l’abri que cela recommence prochainement". Explications.
Un marché totalement libre
Le marché du porc est un cas particulier dans le paysage agricole suisse. Entièrement dérégulé, il repose exclusivement sur les lois de l'offre et de la demande, sans intervention de l'Etat ni quotas imposés par la filière. "D'ailleurs, le marché du porc suisse est souvent cité, à titre d’exemple comme modèle des marchés libres, dans les universités spécialisées en économie, comme celle de Saint-Gall", relève Olivier Pittet.
Dans ce système, les producteurs décident seuls combien de porcs ils souhaitent élever, en se basant sur les prix du marché. Si la demande dépasse l’offre, les prix augmentent, incitant les éleveurs à accroître leurs volumes. À l’inverse, lorsque le marché est saturé, les prix chutent brutalement, forçant certains exploitants à réduire leur activité ou à vendre à perte. "L’offre et la demande se régulent naturellement, mais ce système crée aussi des cycles récurrents de surproduction et des crises", explique encore le représentant de Suisseporcs.
2022: une crise révélatrice
Ce phénomène s’est illustré en 2022. En début d’année, des prix élevés avaient poussé les éleveurs à augmenter leur production. Mais en l’espace de quelques mois, le marché s’est retrouvé saturé, provoquant des pertes considérables pour l’ensemble de la filière.
Deux mesures ont alors été prises pour limiter l’impact de cette crise. D’un côté, 7'000 tonnes de viande ont donc été exportées vers l’Allemagne. Toutefois, le coût de production, bien plus élevé en Suisse, environ 4,470 CHF/kg, face aux 1,70 €/kg en Europe, a rendu ces exportations déficitaires. De l’autre, 5'000 tonnes ont été congelées, un répit temporaire mais coûteux destiné à désengorger le marché local.
Ces ajustements démontrent les limites du système: entre la décision d’augmenter les volumes et leur arrivée sur le marché, il s’écoule près d’un an, le temps de gestation des truies et d’engraissement des porcelets. Ce décalage complique également toute adaptation rapide en cas de surproduction.
Des cycles de plus en plus courts
Ces cycles économiques sont récurrents sur le marché du porc suisse. Jusqu’à ces dernières années, ils étaient d’environ 7 ans, "mais ils ont tendance à se raccourcir vers des périodes plus courtes, oscillant entre trois et quatre ans", explique encore Olivier Pittet.
Deux facteurs expliquent notamment cette accélération. Les progrès génétiques, d’abord, augmentent la productivité des truies, avec un gain annuel moyen de 0,1 porcelet par truie. À l’échelle nationale, cela représente des milliers de porcelets supplémentaires. Ensuite, les producteurs réagissent plus rapidement aux variations de prix. Toutefois, le décalage structurel entre décision et production continue d’alimenter des saturations de marché.
Des mesures pour stabiliser la filière
Pour tenter de limiter ces déséquilibres, plusieurs mesures ont été mises en place. Suisseporcs utilise un outil appelé baromètre des truies, qui permet aux éleveurs d’évaluer l’état du marché. Lorsqu’un seuil critique est atteint, les éleveurs sont encouragés à réduire les saillies. Cependant, cette approche repose sur une participation volontaire et reste parfois sous-utilisée, notamment par les petites exploitations.
En 2024, un système de fixation des prix des porcelets a également été instauré. Il s’appuie sur trois critères: l’offre et la demande actuelles, une prévision sur 100 jours (le temps moyen d’engraissement) et une répartition équitable des marges entre engraisseurs et éleveurs. Ce dispositif a permis d’atténuer les fluctuations les plus extrêmes, mais il ne peut empêcher complètement les crises.
Une autre piste concernerait la réduction des capacités de production. Suisseporcs avait proposé d’inciter financièrement les éleveurs proches de la retraite à cesser leur activité, dans l’objectif de réduire les volumes de manière durable. Pour l’instant, cette mesure n’a pas été retenue.
2025: l’incertitude persiste
En ce début d’année, les prix semblent stabilisés, mais la prudence reste de mise. "Si les producteurs ne limitent pas leurs volumes, une nouvelle crise est inévitable", avertit Olivier Pittet.
En parallèle, Suisseporcs continue de promouvoir la viande suisse auprès des consommateurs. Les standards élevés de qualité et de bien-être animal constituent des arguments solides pour justifier un prix supérieur. Toutefois, convaincre le grand public de privilégier des produits locaux demeure un défi.
Pascale Bieri/AGIR
Article à venir: "Le porc, maillon fort de l’agriculture"