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Le nouveau directeur de l’USP évoque les défis à venir
Avec les initiatives sur l’utilisation de pesticides et sur l’élevage intensif, la nouvelle politique agricole à partir de 2022 et les accords de libre-échange, vous entrez en fonction à un moment difficile…
Les thèmes sont désormais extrêmement variés. C'est certainement un défi de prendre la direction de l’USP à un tel moment. Mais je connais bien tous les dossiers. Et c'est passionnant de pouvoir prendre la relève à l’heure où des décisions essentielles pour l’avenir sont en suspens.
L'image des agriculteurs est bonne. Néanmoins, il semble que l'agriculture craigne les décisions concernant les initiatives sur les pesticides.
Nous n'avons pas peur, mais nous sommes plutôt respectueux. Ce sont des questions très émotionnelles et la couverture médiatique actuelle est essentielle. Nous devons donc prendre ces préoccupations au sérieux. Je reste persuadé qu'avec les bons arguments et une bonne campagne, nous réussirons à convaincre et sortirons renforcés de ce débat.
Quelle est l'importance du rôle des agriculteurs dans ce débat ?
La coopération entre les familles agricoles et l’USP est à la base de notre succès. Les agriculteurs sont les ambassadeurs les plus crédibles pour faire valoir les arguments de l'agriculture et leur engagement dans les exploitations. Il est essentiel, en particulier lors des prochains référendums, que chaque famille paysanne contribue à sensibiliser la population.
Bio Suisse ne s’est pas encore prononcé. Dans quelle mesure les agriculteurs biologiques doivent-ils s’impliquer ?
L'initiative pour une eau potable propre toucherait également les exploitations agricoles biologiques. Surtout en ce qui concerne l'alimentation animale, mais aussi dans le domaine de la protection des végétaux. Il est important que Bio Suisse et les exploitations agricoles démontrent que l'initiative sur l'eau potable n'est pas une initiative pour la promotion du bio. C'est une initiative qui touche tous les types de production.
L’Union suisse des paysans décrit ces deux initiatives comme faisant la promotion des importations.
Une étude d'Agroscope concernant l'initiative pour une eau potable propre montre que, en cas d’acceptation, le taux brut d'autosuffisance pourrait chuter à 20 % en raison de la réduction des rendements. La production animale diminuerait également. Le déficit de production devrait alors être importé car le comportement des consommateurs ne changerait pas. Les deux initiatives conduiraient donc à une augmentation des importations. Et ce également en provenance de pays où les normes de production sont très faibles.
L'initiative "Pour une Suisse sans pesticides de synthèse" est plus cohérente et inclut les importations.
Oui, seule l'initiative sur l'eau potable se concentre uniquement sur l'agriculture suisse. Ni les importations ni les autres domaines d'application ne sont concernés. L'initiative n'a pas du tout été réfléchie. La deuxième initiative est au moins cohérente à cet égard. La faille est toutefois le tourisme d'achat qui serait encouragé si elle était acceptée.
En parlant du tourisme d’achat : qu'attend l’USP de la part des responsables de la grande distribution en termes d'engagement sur ces initiatives ?
Nous attendons d'eux qu'ils présentent au moins les conséquences de ces initiatives. D'une part, le commerce de détail serait lui-même affecté. D'autre part, les deux grands détaillants disposent également de leurs propres usines de transformation. L'initiative "Pour une Suisse sans pesticides de synthèse" aurait probablement des conséquences plus drastiques dans les secteurs situés en aval que pour l'agriculture elle-même. Le chocolat produit en Suisse, par exemple, ne serait alors fabriqué qu’avec des composants bio.
Une initiative parlementaire de la Commission économique du Conseil des Etats veut inscrire dans la législation une «trajectoire de réduction pour les risques découlant de l'utilisation de pesticides». Quelle est la position de l’USP à ce sujet?
Nous la soutenons sur le principe. Cette trajectoire de réduction veut inscrire dans la loi l'idée et l'approche du plan d'action national pour la protection des végétaux. Cela rendra ce dernier plus contraignant et augmentera donc sa crédibilité. Nous avons toujours soutenu ce plan d'action et nous avons donc exprimé un avis positif sur l'initiative parlementaire. C’est également une très bonne chose que l'initiative parlementaire ne se limite pas à l'agriculture, mais qu'elle englobe aussi d'autres domaines d'application tels que l'utilisation de produits phytosanitaires par des privés, comme les municipalités ou l'industrie de la construction.
L'utilisation des pesticides est en baisse et diverses nouvelles mesures sont prises. Cela s'est-il produit uniquement sous la pression de l'opinion publique ?
L'utilisation de pesticides chimiques de synthèse est en nette diminution. Et ce, avant même que les initiatives ne voient le jour. Au mieux, les initiatives n'ont fait qu'accélérer le rythme des mesures prises par le passé.
On parle beaucoup du chlorothalonil ces derniers temps. Cet ingrédient actif a été utilisé légalement pendant de nombreuses années, et ce n'est qu'une réévaluation qui a conduit aux récentes discussions. Comment les agriculteurs peuvent-ils être jugés responsables pour cela ?
Nous devons souligner que, en ce qui concerne le chlorothalonil, l'agriculture est totalement innocente. Les agriculteurs ont utilisé une substance autorisée de manière tout à fait légale. Il est donc absolument impossible de rejeter la faute sur nous.
Le secteur agricole est immédiatement accusé lorsque de tels incidents se produisent. Quelle est la stratégie de l’USP pour éviter cela?
Nous montrons que nous prenons au sérieux les questions soulevées par ces initiatives et que l'agriculture est déjà en train de mettre en œuvre de nombreuses mesures. L'évolution de l'agriculture est rapide et la tendance va dans la bonne direction. Mais nous devons également préciser que l'agriculture n'est pas la seule responsable.
Une campagne qui précède une votation n'est pas la meilleure façon de mener une discussion objective.
Il est nécessaire, avant la campagne, de transmettre un minimum les connaissances de base et de mettre en évidence les interrelations. C'est la seule façon pour la population d'évaluer correctement les conséquences. Nous avons beaucoup fait pour notre image ces dernières années, mais peut-être trop peu dans le domaine de l'éducation. Nous devrons continuer à le faire après ces votations.
Les exigences de la société sont de plus en plus fortes. Mais la part des produits biologiques est encore relativement faible et, dans certaines régions, il y a même une offre excédentaire. Que pouvons-nous faire pour remédier à cet écart ?
C'est cet écart qui nous préoccupe le plus, nous et les familles d'agriculteurs. D'une part, il y a les revendications politiques et sociales pour plus d'écologie ou plus de bien-être animal. D'autre part, il y a une réalité de marché qui ne reflète pas autant cela. Les consommateurs peuvent exercer une pression sur les produits qui sont en vente libre. L'agriculture a prouvé à maintes reprises qu'elle réagit aux nouvelles tendances du marché et assure l'approvisionnement. Chaque achat détermine le visage de l'agriculture.
Mais le potentiel de frustration est grand si vous passez au bio et que vous devez ensuite livrer de façon conventionnelle à cause d’une offre excédentaire…
C'est le cas. Les familles d'agriculteurs s'adaptent, prennent les préoccupations sociales au sérieux, font des investissements et ne bénéficient ensuite d’aucune valeur ajoutée sur le marché.
Certaines exploitations sont très innovantes et occupent des niches. D'autres se concentrent seulement sur ce qui est nécessaire. L’USP ne devrait-elle pas adopter une approche plus progressiste et, par exemple, proposer la manière dont l'agriculture devrait produire en 2030 ?
Nous devons produire pour satisfaire le marché. Nous ne pouvons pas nous lancer dans des marchés de niche en tant que secteur entier, et être ensuite trop chers ou produire de manière excédentaire. 4 francs sur 5 d’une exploitation proviennent de la vente des produits. Il existe des marchés de niche qui offrent des opportunités. Il y a des segments de vente au détail avec des labels forts sur lesquels nous pouvons nous orienter. Mais il y a toujours la voie classique, notamment les secteurs de la transformation ou de la restauration. Nous devons et voulons également servir ces marchés.
Le rôle de l’USP est considéré comme plutôt restreint. Vous observez les actions de l'Office fédéral de l'agriculture, puis sauvez ce qui peut l'être.
C'est une fausse impression. Nous voulons des conditions-cadres stables. Les réformes agricoles impliquent un important travail d'adaptation. Les exploitations agricoles ont ainsi accès à des ressources qu'il serait préférable d'investir dans le développement de l'innovation.
La politique agricole 22+ apporte de nouvelles exigences. La charge administrative ne risque pas de diminuer.
La révision entraînera un accroissement considérable de la bureaucratie. Il y aura davantage de programmes et, en fin de compte, davantage de travail de bureau. Le principal problème est que la complexité de la politique agricole augmente à chaque réforme. La promesse de réduire la charge administrative n'est pas du tout tenue.
Voyez-vous d'autres problèmes fondamentaux dans la politique agricole ?
Un des problèmes est que nous faisons une politique purement agricole. Nous devrions nous orienter davantage vers la politique alimentaire. Nous ne devons pas nous contenter de faire tourner les rouages de la politique agricole ; nous devrions avoir une vision plus globale de toute la chaîne de valeur. Cela nous permettrait d'apporter plus de logique et de cohérence politiques, et de ne pas changer ici et là des choses qui ne correspondent pas avec d’autres. À cet égard, la PA22+ n'apporte rien.
Outre la protection des plantes, le changement climatique est également un enjeu majeur pour l'agriculture. Le génie génétique pourrait-il contribuer à la lutte contre la sécheresse et à la conservation des ressources ?
Quelles que soient les méthodes, la sélection végétale et la recherche sont des facteurs clés pour aborder des questions telles que le changement climatique et la protection des plantes. Nous devons utiliser les fonds disponibles pour les technologies qui sont acceptées sur le marché. Mais nous devons aussi passer à la vitesse supérieure, nous devons être plus offensifs dans les domaines de la recherche et de sélection végétale.
Le moratoire sur le génie génétique n'est donc pas ouvert à la discussion ?
Nous n'avons pas, sur le marché à l’heure actuelle, de sélection végétale par génie génétique qui apporte une valeur ajoutée effective. Pour l'instant, les préoccupations se concentrent principalement sur la résistance aux herbicides, dont nous n'avons certainement pas besoin. Il n'existe actuellement aucune sélection végétale par génie génétique qui vise à utiliser moins de ressources et de pesticides. Une fois qu'il y aura une sélection par génie génétique avec une réelle valeur ajoutée, la discussion pourrait changer. En attendant, je suis favorable à l'extension de la directive sur les produits génétiquement modifiés
Vous siégez pour le PLR au Conseil cantonal de Soleure. Pouvez-vous concilier la position favorable au libre-échange de ce parti avec les intérêts des paysans ?
Bien sûr que je peux. Il existe également des cercles importants au sein du PLR qui soutiennent fortement les questions agricoles. Le parti n'est pas contre l'agriculture. Il doit s'agir d'une coopération avec le reste de l'économie. Dans les accords de libre-échange, il est important que les intérêts de tous les secteurs soient sauvegardés. Les accords conclus jusqu'à présent ont démontré que cela est possible.
Le Conseil national est-il la prochaine étape pour vous ?
La question ne se pose pas pour le moment. Les élections nationales sont à peine terminées. La question d'une candidature doit être clarifiée en vue des prochaines élections.
Le Parlement est devenu plus vert lors des élections, aussi du côté des agriculteurs. Comment voyez-vous cette coopération ?
Nous avons toujours eu la volonté de travailler avec des alliances changeantes, sans avoir peur de travailler avec qui que ce soit. Cela continuera d'être le cas à l'avenir. La recette du succès consiste à ne pas s'entêter dans une alliance, mais à travailler ensemble en fonction de la question traitée.
Même au sein de l'Union suisse des paysans, les organisations sont très diverses. L’association peut-elle réellement être là pour tout le monde ?
Oui, nous avons de nombreux intérêts communs. La diversité, les différents types d'exploitations et de branches de production sont une force de l'agriculture suisse. Nous ne voulons pas d'une agriculture uniforme. La diversité n'est donc pas un obstacle, mais une force.
ENCADRE
3 questions courtes
Quel est votre plus grand défi en tant que directeur de l’Unions suisse des paysans ?
Que nous occupions une position forte malgré l'abondance des dossiers. Que nous puissions convaincre avec de bons arguments et une bonne communication sur nos positions. Compte tenu des nombreuses demandes qui sont actuellement faites à l'agriculture, c'est un défi.
Quel est votre message pour les consommateurs ?
Ils sont décisifs pour nous. Les consommateurs suisses ont généralement une grande confiance dans les produits suisses et sont prêts à les payer. Il est important que les consommateurs sachent, au comptoir du magasin, qu'ils ont leur mot à dire sur l'agriculture.
Quel est votre message pour les agriculteurs ?
Je recommande aux familles d'agriculteurs de penser en termes commerciaux et de se concentrer sur le marché. En outre, ils ne devraient pas se laisser troubler par les critiques en ces temps difficiles, mais plutôt se défendre avec confiance et montrer leur fierté face aux nombreuses réalisations opérées par l'agriculture.
Propos recueillis par le LID / Traduction AGIR
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Photo disponnible ici (©USP)
À voir également: interview vidéo de l'ancien directeur de l'USP Jacques Bourgeois le 21 novembre 2019