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Les protéines végétales suisses font face à de nombreux obstacles
On les appelle souvent, par excès de langage, «viandes végétales» ou «substituts de viande». Ces alternatives aux protéines animales, élaborées à partir de plantes, connaissent une forte progression en Suisse, avec une croissance de 279% depuis 2018. Cela étant, ces aliments restent des produits de niche, qui représentent environ 3% du marché global. Par ailleurs, la majorité d’entre eux sont importés ou fabriqués à partir de matières premières étrangères.
Toutefois, plusieurs acteurs suisses se sont lancés récemment sur ce marché, dont Protaneo. Créée en 2022 par Feldkost Food AG, IP-Suisse et Groupe Minoteries SA (GMSA), cette société propose des substituts protéinés 100% suisses, «du champ à l’assiette», principalement à base de pois protéagineux et de féveroles. Parmi ses principaux défis: rendre la production compétitive face aux alternatives importées, faire connaître ces produits aux consommateurs, et gérer des coûts de production élevés. Nous en avons parlé avec Valérie Vincent, responsable de l’innovation chez GMSA.
Deux ans après la création de Protaneo, quel bilan tirez-vous?
Valérie Vincent: Nous avons créé Protaneo après avoir identifié une forte demande pour des protéines végétales 100% suisses. Notre objectif est d’offrir des alternatives locales et durables en maîtrisant l’ensemble du processus, de la culture des matières premières à leur transformation en produits finis. Actuellement, après une première année de production effective, notre principale clientèle se trouve du côté de la restauration collective, et les retours sont très positifs. En revanche, même si l’intérêt des grandes entreprises est là, la concrétisation des projets prend du temps.
IP-Suisse a décidé de suspendre l’achat de pois protéagineux pour 2025. Vous avez vu trop grand au départ?
Nous avons eu deux récoltes jusqu’à présent, en 2023 et 2024. Nous avions prévu de grandes surfaces pour couvrir nos besoins en cas de faibles rendements, et cette stratégie s’est révélée utile puisque la récolte 2024 a effectivement été marquée par des rendements plus faibles, comme pour les céréales. Cela étant, nous disposons actuellement de stocks suffisants de pois protéagineux. La suspension d’achat par IP-Suisse vise à éviter que les agriculteurs ne soient contraints de déclasser leurs cultures pour un usage fourrager, ce qui représenterait une perte pour eux. Nous poursuivons cependant avec les féveroles, en augmentant même légèrement les surfaces.
De telles cultures sont intéressantes pour l’agriculture suisse?
Oui, je le pense. Ces cultures offrent aux agriculteurs une opportunité de diversifier leur production et leurs sources de revenus. C'est aussi une culture parfaite pour les rotations nécessaires pour la qualité des sols. Dès le début, de nombreux producteurs se sont montrés intéressés à rejoindre cette filière, au point qu’une liste d’attente a dû être mise en place. Cette année encore, certains étaient déçus de ne pas pouvoir semer, ce qui montre un réel engouement, même si cela reste un marché de niche.
Quels sont les principaux freins au développement des protéines végétales suisses?
Le premier frein, c’est le prix. Les matières premières suisses doivent faire face à la concurrence de produits étrangers bien moins chers. Contrairement à d’autres cultures agricoles, comme les céréales panifiables, les pommes de terre, ou les betteraves sucrières, qui bénéficient de protections douanières pour soutenir les producteurs locaux, les protéines végétales n’ont pas cette protection. Cela nécessiterait une intervention politique, soit pour introduire ces protections, soit pour offrir davantage de soutiens financiers. Depuis janvier 2023, la Confédération accorde une subvention de 1'000 francs par hectare pour les cultures de protéines végétales destinées à l’alimentation humaine, mais les demandes d’augmentation de ce montant ont été rejetées pour le budget 2025. En parallèle, il reste beaucoup à faire en matière de communication. Les produits suisses manquent encore de visibilité, et il faut sensibiliser les consommateurs à leur proximité et à leur qualité. Cependant, nous avons des moyens promotionnels bien plus limités que les grands acteurs étrangers.
Certaines études critiquent les substituts de viande pour leur transformation excessive, ou leur liste d’ingrédients trop longue. Qu’en est-il de vos produits?
C’est une critique fréquente, et nous y sommes attentifs. Chez Protaneo, nos produits sont fabriqués uniquement à partir de pois, de féveroles et de graines comme celles de courge ou de tournesol, sans additifs ni arômes artificiels. Le processus de transformation est également beaucoup plus naturel qu'un bon nombre de produits importés. Les nôtres se présentent sous forme de hachis ou d'émincés végétaux secs, ce qui permet une conservation facile à température ambiante. Pour les particuliers, ces produits sont disponibles en ligne et depuis peu chez un acteur suisse du commerce de détail. Nous collaborons aussi avec le secteur de la restauration collective et explorons d’autres canaux de distribution.
Le marché des protéines végétales a légèrement reculé l’année dernière, Cela vous inquiète-t-il pour l’avenir?
Le marché semble se stabiliser. Les dernières études montrent un léger recul, mais cela ne nous inquiète pas. À notre niveau, nous pensons que cela restera un marché de niche à court terme, mais avec un potentiel de croissance à long terme, surtout avec les objectifs de la Confédération comme celui d’atteindre un taux d’auto-approvisionnement de 50% d’ici 2050 pour les légumineuses.
Voyez-vous ces produits comme des compléments ou des remplaçants de la viande?
L’objectif n’est pas de remplacer la viande, mais d’offrir une alternative de qualité, produite localement. Les consommateurs recherchent de plus en plus de diversité dans leur alimentation. Avec des produits tels que les nôtres, on leur offre cette possibilité, tout en soutenant l’agriculture suisse.
Pascale Bieri/AGIR