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Loup et bétail : un parc de nuit pour protéger les veaux
«C’était une nouveauté. D’habitude, c’est plutôt du menu bétail, ovins ou caprins, qui est visé.» Conseiller agricole à Proconseil (fliliale de Prométerre, la chambre vaudoise d’agriculture), responsable de l’estivage, Jean-François Dupertuis a vu son été 2020 bousculé: pour la première fois en Suisse, une attaque de loups contre un troupeau de bovins a été démontrée.
L’épisode s’est produit au petit matin du 23 juillet 2020, sur les hauts de Marchissy, dans la région du col du Marchairuz, sur l’alpage de La Rionde-Dessus. Les faits ont pu être filmés par les caméras thermiques de la Fondation Jean-Marc Landry, mandatée par le canton de Vaud pour étudier les interactions entre bétail et meutes. «Juste après les faits, l’éleveur de vaches allaitantes Guy Humbert m’a informé de ce qui s’était passé, raconte Jean-François Dupertuis. Je suis alors allé voir sur le terrain. Mes fonctions de préposé cantonal à la protection des troupeaux me chargent de soutenir et de conseiller les professionnels.»
Des images indéniables
Les images en attestent: quatre loups sont arrivés au milieu du troupeau et l’un d’entre eux a attrapé, à plusieurs reprises, un veau par le jarret. «Trop souvent, les éleveurs ne sont pas pris au sérieux lorsqu’ils racontent ce type d’événement en accusant le loup. Là, c’est indéniable», observe le conseiller.
Vu de Berne, où l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) est chargé de la problématique du loup, on considère qu’il y a surtout un risque pour les nouveaux-nés. «Là, la cible a été une bête de sept mois déjà costaude, difficile à attraper. Cela n’a apparemment pas fait peur au prédateur, probablement dopé par le fait d’être en meute.»
La réunion de spécialistes qui s’est tenue le matin même a rapidement conclu qu’il fallait réagir en mettant en place des mesures pour protéger le bétail. L’Office fédéral de l’environnement (OFEV) estime qu’il suffirait d’éviter les mises-bas au pâturage et de faire en sorte qu’elles aient lieu à l’étable en y rapatriant les vaches proches du terme, ainsi que les petits veaux. «Facile à dire, lâche Jean-François Dupertuis. Dans les faits, c’est compliqué: à une semaine près, on ne sait pas quand vêle une mère, qui a plutôt tendance à se cacher dans cette phase. Nous avons donc réfléchi à d’autres mesures.»
Enclos monté de toute pièce
Très difficile de clôturer électriquement tout un alpage, trop onéreux aussi. En revanche, pourquoi ne pas créer un parc protégé pour la pâture de nuit, lorsque les attaques se produisent? En quelques jours, l’idée a fait son chemin, le terrain a été étudié (relief, accessibilité à l’eau) et le matériel nécessaire inventorié. «Monter ainsi de toute pièce un tel enclos peut paraître simple, commente le préposé; il s’agit cependant de penser à de nombreux éléments, comme le fait de pouvoir distribuer des aliments permettant de déplacer plus facilement les bêtes pour aller dans le parc à l’approche de la nuit. Ce n’est normalement pas possible, donc nous avons dû demander l’autorisation à la Direction de l’agriculture. Nous avons également établi un tracé de clôture compatible avec la topographie et la géologie, complexes en montagne.»
Il a fallu également convaincre les autres membres du syndicat d’élevage, inquiets du travail et des coûts d’un tel projet. Le Canton ayant accepté de prendre en charge les frais de l’opération, la décision d’aller de l’avant a pu être prise le 5 août. «C’est la première fois en Suisse, à ma connaissance, qu’une telle démarche se concrétisait», souligne Jean-François Dupertuis.
«S’il y a une faille, le loup la trouve»
Le véritable travail de terrain a alors commencé. Le conseiller s’y est complètement impliqué, alors que le troupeau, en attendant son parc de nuit, était protégé par un kit d’urgence composé d’un filet, d’une batterie et d’effaroucheurs lumineux permettant de dévier les loups et s’ajoutant à la surveillance déjà en place de la Fondation. «J’ai fait plusieurs nuits avec l’équipe, mais je n’ai rien vu.»
Une surface a été calculée pour que le bétail puisse y pâturer toute la fin de la saison, sur la base d’une étude sur le potentiel en herbe. Et pour clôturer ce périmètre, les prescriptions de l’OFEV ont été respectées: cinq fils, le plus haut à 1,30 mètre et le plus bas à moins de 20 cm du sol. Placés en général à 4 ou 5 m de distance, les piquets se sont parfois retrouvés écartés de 80 cm à cause du terrain accidenté. «Il fallait être précis: s’il y a une faille, le loup la trouve!»
Plusieurs hommes ont travaillé sans relâche durant trois jours pour réaliser le parc. Ils l’ont achevé le 28 août, soit plus d’un mois après l’attaque. Si l’ensemble a été démonté après le départ du troupeau, le 8 octobre, le matériel a été laissé sur place: au printemps prochain, il appartiendra au syndicat de décider s’il renouvelle l’opération, peut-être aussi pour d’autres éleveurs.
«Le loup est là, il s’agit de s’adapter»
Pour Guy Humbert comme pour Jean-François Dupertuis, l’expérience s’est révélée riche et intense. «Nous avons pu montrer qu’en cas de coup dur ou de danger nous sommes là, ce qui a été apprécié je crois, retient le conseiller. Nous avons aussi pris conscience de la complexité de la problématique. Certes, lorsqu’il sent le danger, le troupeau s’organise pour se protéger, mais cela ne suffit parfois pas.» L’incidence sur les animaux a également été observée: «Les bêtes étaient plus agressives durant toute cette période, sentant la présence du prédateur.» Cette situation a ainsi permis de passer des connaissances théoriques à la réalité du terrain.
L’an prochain, il appartiendra aux professionnels sur le terrain de décider de la méthode à adopter. «Ils auront le choix entre un tel dispositif, sans doute perfectible mais au moins expérimenté, et une gestion plus fine des mise-bas», estime Jean-François Dupertuis, qui précise à nouveau que cet autre moyen de protéger les veaux reste complexe à réaliser. «N’oublions pas non plus qu’en l’occurrence, la victime avait déjà sept mois». Et de conclure: «On peut certainement faire mieux. Si l’on peut inciter les bêtes à revenir à l’étable le soir, c’est plus facile. Mais je reste convaincu qu’avec différentes adaptations et en commençant dès le premier jour à l’alpage, ce système est une solution. Le loup est là, il s’agit de s’adapter!»
Article paru dans Prométerre MAG (Prométerre, Association vaudoise de promotion des métiers de la terre