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L’USP sonde les paysans : « Dire quelles priorités nous sont confiées »
Un nouveau train de réformes devrait entrer en vigueur au niveau suisse en 2030 et transformer la politique agricole en une politique alimentaire : c’est dans ce contexte que vous allez soumettre un questionnaire aux exploitants et exploitantes agricoles courant novembre…
Michelle Wyss : Nous l’avions déjà fait en 2017 en perspective de la PA2022. Et à côté de ce sondage, on a des réunions avec nos commissions permanentes pour discuter de cette future politique agricole. Nous présenterons notre rapport stratégique définitif pour approbation à la session de la Chambre suisse d’agriculture d’avril 2024.
Francis Egger : Les membres de l’USP ne sont pas les familles paysannes directement, mais d’abord les Chambres cantonales d’agriculture, puis les organisations sectorielles, comme les producteurs de lait, de porc, les arboriculteurs, etc. Habituellement c’est à eux qu’on demande un avis, sachant que le dernier mot revient à la Chambre suisse d’agriculture. L’originalité ici, c’est qu’on veut aller jusqu’à l’exploitation agricole. On veut, en quelque sorte, que les membres de nos membres puissent répondre.
Certains imagineront que vous cherchez essentiellement à serrer les rangs, parce que la représentativité de l’USP serait en perte de vitesse ?
FE : Non, pas du tout. Parfois certains s’étonnent que Bio Suisse soit membre de l’USP, et pourtant ils sont là, dans nos groupes de travail et lors de nos séances de la Chambre suisse d’agriculture, et donnent leur avis comme les autres. Il est vrai que nous sommes une union avec une certaine hétérogénéité : le paysan de Glaris n’a pas les mêmes préoccupations et conditions que celui de Genève, celui qui exploite une grande porcherie n’est pas le même qu’un producteur à temps partiel. C’est un peu difficile parfois de mettre tous ces intérêts ensemble. Mais notre enquête a justement pour objectif de clarifier nos positions : on va pouvoir dire quelles priorités nous sont confiées. La dernière fois, la réflexion centrale qui était ressortie, c’était le besoin de stabilité. On veut un système stable parce qu’on investit sur le long terme, avec les aléas de la météo, des animaux, etc. On va bien voir ce qui ressort cette fois ! Et puis on a l’espoir d’avoir des réponses et des propositions innovantes, qui pourraient identifier des priorités propres, soit à des régions, soit à des types d’exploitations. On va mettre en valeur ces résultats-là, et on espère apprendre quelque chose, trouver des solutions qui font consensus.
Aviez-vous constaté un manque de cohérence, ou de réactivité, entre les préoccupations des familles paysannes et les actions de l’USP ?
FE : On sort de votations sur des initiatives populaires que l’on a gagnées, et cela a plutôt renforcé le poids de l’USP. Ensuite, la difficulté c’est d’impliquer les agriculteurs dans le processus politique, et pas uniquement ceux qui sont actifs dans les comités de nos différents membres. Comment les motiver à répondre à cette enquête ? Souvent l’agriculteur réagit quand il a 100 balles de moins dans le porte-monnaie. Mais il faut agir avant tout par anticipation !
Comment ce sondage sera-t-il transmis aux familles concernées ?
MW : Ce sera en ligne, via un lien publié par la presse agricole, sur les réseaux sociaux, dans les newsletters et avec l’aide de nos membres, en particulier des chambres cantonales d’agriculture. Ce ne sera pas un courrier distribué dans les boîtes aux lettres comme nous l’avions fait en 2017.
FE : On s’est posé la question d’écrire à 5'000 adresses en espérant que la moitié nous réponde. Mais si, en discutant à la laiterie par exemple, certains constatent qu’ils n’ont rien reçu, ça ne joue pas. Donc on a pris une option plus ouverte, et pour se prémunir du risque que certaines personnes noyautent notre sondage, à la fin du questionnaire, chacun devra donner son nom, prénom, et la chambre d’agriculture dont l'exploitation sur laquelle il travaille est membre. Et ça, on va le vérifier, mais en le séparant de l’analyse des réponses qui, elle, sera anonymisée. Ce sont les chambres cantonales qui vont procéder aux vérifications, en échange de quoi on leur fournira les statistiques pour leur canton.
Votre objectif de représentativité, vous le fixez à 5% de la population d’exploitants agricoles, soit environ 2'500 réponses valides. Pourquoi ce chiffre ?
FE : C’est le chiffre que nous ont donné nos statisticiens pour avoir des résultats significatifs. Et si on en a davantage, on sera contents. Et puis il faudra que les échantillons soient eux-mêmes significatifs, par exemple pour les zones de montagne, un type de production ou un autre, en espérant avoir une bonne représentation de tous les cantons et de tous les types d’exploitations, y compris par exemple dans les cultures spéciales.
Et histoire de stimuler cette participation, on pourra participer à un tirage au sort et gagner des prix…
FE : Oui, le premier prix est un bon pour un hôtel de bien-être au choix d'une valeur de 1’000 francs. Et en plus d'autres beaux prix d'une valeur totale de 4’000 francs, on a l’idée de proposer un repas avec le président et le directeur de l’USP, et une visite du Palais fédéral (rires)… Pas sûr qu’ils soient tous ravis, surtout s’ils ont d’autres idées politiques ! Plus sérieusement, c’est en tout cas une petite incitation et une façon de les remercier. Mais pour participer au tirage au sort, il faudra qu’ils nous donnent leur email.
Passons aux enseignements de ce sondage : quelles sont, selon vous, les tendances majeures à éclaircir ?
FE : L’agriculture, c’est complexe. Et cette complexité ne va probablement pas diminuer. Mais dans cette complexité, il faut mettre certaines priorités, et savoir où l’on se situe pour éviter des conflits d’objectifs. Ici on demande, par exemple, quelles devraient être les trois priorités de la PA2030. On soumet 9 propositions, dont, par exemple, le fait de réduire l’empreinte écologique de l’agriculture, ou encore améliorer le revenu des familles paysannes. La priorisation choisie sera intéressante à analyser. On ne fera pas comme le fameux sondage Gulliver, mené par la Confédération lors de l’expo 1964 à Lausanne, et dont on n’a jamais vu les résultats tant ils étaient différents de ce que les commanditaires espéraient.
Sur quels aspects risquez-vous d’être très surpris ?
FE : Il faut déjà, à travers la première partie des questions, que l’on voit à qui l’on a affaire, sans être trop intrusifs : localisation, dimension de l’exploitation, niveau de formation, orientation, cahier des charges suivi, etc. Ces aspects statistiques, on ne peut les obtenir sans l’accord de l’agriculteur, et il s’agissait de déterminer jusqu’à quel niveau de détail on voulait aller. Puis on leur demande comment ils voient le futur de leur entreprise. Par exemple, une succession est-elle déjà assurée ? Parce que vous avez une autre vision sur la politique agricole si vous savez que dans 5 ans c’est fini. Alors que si votre fils ou votre fille est là, archi-motivé(e), ça change tout. On leur demande comment ils voient l’avenir de leurs branches de productions : veulent-il la renforcer, la diminuer, ou la supprimer ? Il sera ainsi très important d’entendre les producteurs de lait. Il se pourrait que, dans quelques années, ce soit terminé. Et que ce soit irréversible, du fait de tous les frais que ça implique. Je pense qu’aucun répondant ne dira qu’il veut se lancer dans le lait, certains voudront continuer à se développer, d’autres réduire ou arrêter. Et sur 500, si on en a 100 qui disent qu’ils veulent arrêter, là on aura un problème ! Dernier aspect de l’enquête : les exploitants sont appelés à nous dire ce qu’ils souhaitent comme future politique agricole. Il y a toute une série de propositions, il faut dire si l’on est d’accord ou pas, et ce sont les pourcentages qui nous renseigneront. C’est un sondage ambitieux !
Il est aussi question du renforcement de la sélection végétale et animale à l’aide du génie génétique…
FE : Oui, les réponses seront hyper intéressantes, car on arrive au terme d’un moratoire sur les OGM et c’est un sujet très controversé. On verra si la base soutient la tendance à une certaine ouverture que l’USP développe actuellement.
Je retiens aussi une question qui peut surprendre : « La production d’électricité ou de chaleur doit-elle devenir une nouvelle branche de production dans l’agriculture ? »
FE : Oui, il y a d’une part le biogaz, et puis on a ces grands débats sur le photovoltaïque agricole… Je me rends compte que c’est un problème très important, avec de grands groupes électriques qui mettent une pression énorme. En Suisse, on ne peut pas dire à la fois qu’il faut nourrir les gens et puis mettre des panneaux solaires n’importe où. D’autant que des paiements directs sont conditionnés aussi à la prestation d’entretien du paysage.
Au-delà, s’agit-il de vous faire une idée du rôle que l’on attend des politiciens dans la définition de la PA 2030 ? Par exemple, concernant les revenus agricoles ou les préoccupations environnementales, doivent-ils mettre la pression sur d’autres acteurs (les distributeurs, d’autres secteurs de l’industrie) ?
MW : La PA2030, ce n’est plus juste une politique agricole, mais une politique qui s’inscrit dans un système agro-alimentaire durable, ce qui signifie que c’est aussi de la responsabilité des autres acteurs dans cette chaîne de valeur. Pour tout ce qui concerne l’environnement et la durabilité, ce n’est pas l’agriculture seule qui doit évoluer.
FE : On a aussi pris contact avec les régions voisines : la France, l’Allemagne, l’Autriche et le Tyrol italien. Parce que ça ne sert à rien de mener une politique si on a nos voisins qui vont dans l’autre sens ! Et puis on parle de la politique agricole pour 2030, on a le temps, c’est un long processus, et c’est donc une chance de pouvoir se prononcer ! Ce qui ne veut pas dire que durant ces 6 ans il ne va rien se passer, mais ce sondage sera une composante de notre stratégie. Il va peser, avec une certaine hauteur de vue, en gardant à l’esprit que ce sera « ce que veulent les paysans ».
Justement, la limite de ces consultations, du point de vue des personnes consultées, c’est souvent d’être écoutées sans que cela ne soit suivi d’effets. Que répondez-vous à cela ?
MW : Les résultats figureront dans notre rapport stratégique, qui sera présenté au printemps 2024. On y consacrera un chapitre, suivant les 4 axes retenus pour la PA2030 : une production indigène diversifiée atteignant au moins le niveau d’autosuffisance actuel, la réduction de l’empreinte écologique, des perspectives économiques et sociales positives, et une réduction de la charge administrative. Nos questions se réfèrent toutes à l’un de ces sujets. Sachant qu’ensuite, notre rapport stratégique sera notre base pour les négociations avec l’Office fédéral de l’agriculture et avec le Parlement. Ces réponses de notre base seront donc énormément valorisées.
FE : Il y a 3 objectifs. D’abord, nos positionnements correspondent-ils aux attentes de la base ? Le 2e objectif c’est de renforcer nos positions, en pouvant argumenter sur nos priorités devant le conseiller fédéral. Et puis après, il y a un objectif pédagogique vis-à-vis des agriculteurs, on veut leur dire : passez donc une demi-heure là-dessus, plutôt que de dire uniquement que ça ne va pas. Et que voulez-vous : par exemple une politique basée sur des mesures, ou sur des objectifs ? Certains disent qu’il faudrait faire un « reset » des paiements directs, mais on les remplace par quoi ? Ces 2,8 milliards, vous voulez qu’on les distribue comment ? On tire au sort ? On divise par 45'000 ? On doit être crédible ! Et le système est complexe, donc nos prises de positions seront peut-être mieux comprises par suite de cette enquête.
Les résultats seront-ils communiqués au grand public, et quand?
MW : Le sondage est mené tout le mois de novembre, puis il y aura une analyse des résultats d’ici début janvier, d’abord pour une communication interne, puis plus largement vers mars-avril.
FE : Il y aura un communiqué résumant les grands enseignements, puis ça va se faire en plusieurs temps. Après une vulgarisation dans les grandes lignes pour le grand public, il y aura des informations plus spécifiques que l’on va communiquer à chacune de nos chambres d’agriculture. Enfin il y aura d’autres éléments, très stratégiques, qui seront discutés en interne, et qui auront valeur d’outils de travail.
Propos recueillis par Etienne Arrivé/AGIR
Pour répondre au sondage, QR code dans l'illustration, ou en suivant ce lien: umfrage.sbv-usp.ch/index.php/496852