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Nouvelles farines animales : « Le but, on ne peut pas l’atteindre »
« Moi je dirais que j’ai deux cœurs : je comprends l’idée de valoriser ces précieuses protéines animales disponibles, mais de l’autre côté je vois toutes les embûches que ça pose, en premier lieu en terme d’acceptation par les clients. » Peter Stadelmann nous dit ça sans agacement, avec le sourire tranquille d’un vieux de la vieille dans son secteur, celui de la fabrication d’aliments pour animaux de rente.
Une innovation aux herbes alpines
Trente-sept ans qu’il travaille pour les aliments FORS, de la marque Kunz Kunath AG, entreprise basée à Burgdorf (BE) dont il est le directeur général depuis 2003. Il a plaisir à expliquer les innovations de sa gamme, par exemple cette collaboration qui a abouti à la création de la filière Porcs aux herbes en 2017 (les porcs y sont engraissés à l’aide d’un aliment enrichi avec un mélange de 12 herbes différentes, toutes de l’arc alpin, qui ont principalement des propriétés antioxydantes).
Mais quand il s’agit de discuter de la prochaine reprise du droit européen dans la législation suisse, afin de limiter le gaspillage et de pouvoir à nouveau nourrir notre volaille avec des farines de porc, et nos porcs avec des farines de volaille, il est beaucoup plus circonspect. « J’ai bien connu le temps des polémiques, avec la crise de la vache folle. On a vu tous les problèmes que nous causaient les farines carnées. Dans notre association de fabricants, la VSF, on a donc discuté de cet éventuel retour, et on a choisi de rester très neutre. Car on voit le but, mais on ne peut pas l’atteindre. »
« La Suisse est trop petite pour faire ça »
S’en suit la même énumération d’obstacles, déjà évoqués par les éleveurs Daniel Schwager et Gaël Monnerat dans notre article précédent : obligation de fabriquer de la nourriture issue d’une seule souche, soit porc soit volaille, sans jamais les mixer, et en excluant toute trace de résidus de bovins. Or, en Suisse, aucun moulin ne fonctionne comme ça. « Mais même en admettant qu’il y ait davantage de moulins et qu’ils soient spécifiquement dédiés, poursuit Peter Stadelmann, cela pose ensuite un problème logistique : l’acheminement de la matière première et les tournées des livreurs, qui seraient totalement modifiés. Nous considérons que la Suisse est trop petite pour faire ça. »
Pas possible dans les exploitations mixtes
Doit-on alors imaginer que ces néo-farines animales seront importées ? Peut-être, mais dans une large majorité des cas, cela ne pourra même pas être envisagé. « Il y a la question de leur prix, qui serait plus cher en tout cas pour une fabrication suisse. Mais surtout, pour que l’utilisation de ces protéines animales soit autorisée, il faut que les exploitations concernées n’élèvent qu’une seule catégorie d’animaux, ce afin d’éviter tout mélange accidentel ou intentionnel. Et de nouveau, en Suisse, selon l’OFAG, seules 4,8% des exploitations détiennent exclusivement de la volaille, et 9,6% exclusivement des porcs, soit 28,7% de l’effectif porcin. »
Et puis, comme les éleveurs rencontrés, Peter Stadelmann érige le principe de précaution en priorité absolue : « Le professeur Adriano Aguzzi, spécialiste de la question à l’université de Zürich, nous dit que, chez les bovins, un seul prion pathogène peut aboutir à un milliard de prions en l’espace de six mois. Alors la moindre erreur dans la chaîne de fabrication pourrait avoir des conséquences, et on nous dirait que les fabricants n’ont rien appris des crises passées. »
Traçabilité du soja européen
Encore un argument ? Selon le directeur de Kunz Kunath AG, les fameux tourteaux de sojas actuellement importés par son entreprise le sont « à 99% en provenance de l’UE, et sans OGM, en vertu d’un réseau de traçabilité qui existe depuis 13 ans ». « Et puis l’animal, c’est comme un sportif. Permettez-moi de vous dire que l’on voit la différence, si on lui donne un bon aliment ou un moins bon. Aujourd’hui, on en sait tellement sur la digestion, sur la prévention des maladies, on utilise des prébiotiques, des probiotiques… tout a changé depuis 20 ans ! Un quart de nos produits sont des sous-produits de l’alimentation humaine, comme le son, qui est l’enveloppe extérieure dure qui protège les grains de céréales, que l’on récupère et que l’estomac de l’animal peut utiliser grâce à sa haute teneur en fibres. Ainsi on peut estimer que l’on apporte quelque chose pour la nature. En tout et pour tout, on pense qualité, puis encore qualité, et toujours sécurité. »
Rappelons que la mise en consultation des modifications d’ordonnance pour cette réautorisation en Suisse, à des conditions très strictes, court jusqu’au 15 décembre.
Etienne Arrivé/AGIR
> Pour accéder à la première partie de notre dossier, suivez ce lien
> Toutes les infos sur la filière Porc aux herbes sur le site kraeuterschwein.ch/fr