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Où situer l’agriculture quand on accède au Parlement fédéral ? (partie 2/2)
Commençons par une esquisse générale : qu’est-ce qui devrait, selon vous, caractériser une paysanne ou un paysan suisse heureux?
BT : Pour moi, ce qui compte, c'est qu'à la fin du mois, ils aient de quoi manger, mais aussi qu’ils puissent avoir du temps libre à consacrer à d’autres activités qui comptent pour eux. Il est indéniable que les conditions de travail et de vie des familles du monde agricole sont très rudes. Des retraites dignes, une 13e rente AVS, des primes d’assurance-maladie plafonnées à 10% du revenu sont quelques propositions qui leur seraient favorables.
TS : Heureux, ça veut dire qu'on est content d'avoir la satisfaction du travail, et aussi d'avoir gagné sa vie avec son métier.
Que fait-elle, ou que fait-il, pour la biodiversité?
TS : Les paysans font énormément de choses pour la biodiversité et, en réalité, depuis toujours. Sauf qu’aujourd'hui, on en est beaucoup plus conscients. Quand on a des productions, on regarde toujours quel impact ça a, et clairement, on favorise tout ce qu'on peut pour essayer d'éviter justement cette concurrence avec la nature.
BT : Je pense qu'il y a beaucoup d'agriculteurs qui se lancent dans la production biologique, qui essayent de faire au mieux, ou qui, en tout cas, tendent vers une agriculture biologique ou écologique. En revanche, il y a peut-être encore un pas supplémentaire à faire, parce qu'il y a des enjeux de santé, de santé publique, qui sont liés à l'interdiction des pesticides sur les terrains agricoles. Et pour parvenir à ce but, nous devons les accompagner, pour que ce soit plus facile à mettre en œuvre dans leur quotidien déjà difficile.
Dans le plan de politique agricole PA2030, qui viendra à être débattu devant le Parlement, que faudrait-il ajouter, selon vous, en priorité ?
BT : Il devrait y figurer une mesure de réduction des pesticides et des produits phytosanitaires dans le domaine agricole. Aussi, il faudrait prévoir un accompagnement ou une incitation - qu’elle soit financière ou en personnel supplémentaire - parce que le monde agricole fait aussi face à une pénurie de main-d’œuvre. Cela doit être pris en compte dans la transition écologique que nous devons poursuivre. Ce qu’il faut à mon sens, c'est un accompagnement et des objectifs clairs concernant la réduction des pesticides dans le monde agricole.
TS : Je crois qu'il ne faut pas ajouter dans les demandes. Ce qu'il faut, c'est prendre conscience que c'est important que la nature fasse partie de la durabilité, et que tous ces éléments-là soient ancrés dans le métier d'agriculteur. Mais ce n'est pas nécessaire de faire plus pour ça, c'est juste important que la conscience de l'agriculteur soit toujours à jour. Il faut enlever de l'administratif, et amener plus d'humain. Moi, je dis toujours qu’aujourd'hui l'agriculteur, en matière de politique agricole, il se sent surtout très contrôlé, complètement guidé, et suivi. Et ça, c'est quelque chose qui est très compliqué à vivre. C'est important que, quand quelqu'un arrive pour superviser une l'exploitation, il ne soit pas juste contrôleur, mais qu’il fasse une visite, et puisse juger globalement si les objectifs sont atteints ou non.
On entend beaucoup qu’il faut revoir le système des paiements directs, devenu trop compliqué, ou plus adapté aux enjeux du moment. Mais par quoi le remplacer ? On divise 2,8 milliards de francs par an par 45'000 agriculteurs ?
TS : Ce qu’il faut peut-être rappeler, c’est que les paiements directs, ce n'est pas forcément de l'argent pour les paysans ! C'est de l'argent pour diminuer le prix des produits agricoles, pour qu'on ait une chance d'avoir des produits suisses qui soient concurrentiels. Et c'est quelque chose de crucial. Les paiements directs sont donc très importants pour diriger la politique agricole. Cela étant, l’effet de levier réalisé avec ces paiements directs est énorme, et ça, ça doit être revu.
BT : Je pense qu'il faudrait organiser une table ronde avec les acteurs concernés. J’imagine que ça a été fait à maintes reprises, mais réunir autour de la table les agriculteurs et les politiques permettrait à ces derniers de discuter avec les personnes qui travaillent quotidiennement dans le monde agricole. Cela permettrait de déterminer si les paiements directs sont toujours adaptés au quotidien des agriculteurs, ou s’il faudrait modifier la manière dont ils sont attribués.
Quand vous entendez l’USP nous dire que le salaire horaire moyen d'un paysan en Suisse, c’est 17 francs de l'heure, 59’800 francs par an et par unité de main d'œuvre familiale en 2021, vous répondez quoi ?
BT : Le Parti socialiste se bat justement pour améliorer le pouvoir d'achat des familles, et notamment des familles du milieu agricole. Nous apportons des solutions concrètes, à travers une série de mesures déjà proposée au Parlement, notamment la 13ᵉ rente AVS, le plafonnement de l’assurance-maladie à 10% du revenu, ainsi qu'une série d'autres soutiens. On doit essayer d'aller dans cette direction.
TS : C'est très très inquiétant, très très inquiétant car si c’est une moyenne, et que c'est déjà trop peu, imaginez ce que ceux qui ont encore moins doivent vivre ! Et je crois que ça, ça doit interpeller tout le monde, pas seulement les députés agricoles. Et on doit vraiment se soucier de trouver des moyens pour que les gens puissent gagner leur vie. Ce n'est souvent pas le salaire qui vous fait choisir un métier. C’est plutôt cette envie de produire quelque chose. Mais ça se perd gentiment avec les paiements directs, car si on dit à tout le monde qu’il faut faire de la jachère pour gagner sa vie, alors je ne crois pas que ça fasse envie aux jeunes.
Comment acceptez-vous que notre société, qui consacre, hors période d’inflation, une part toujours moindre de son budget à l’alimentation, en réclame politiquement toujours plus, en termes de normes, à la paysannerie, et ce avec des budgets agricoles, au mieux, stables depuis 20 ans ?
TS : Oui, c'est difficile à accepter. Et d'un autre côté, je comprends aussi le porte-monnaie des gens : au bout d'un moment, on a plein de factures qui sont obligatoires, et à la fin du mois, on doit aller acheter quelque chose. Donc c'est très compliqué. Mais c'est vrai aussi qu'on ne peut pas augmenter toujours les normes, la qualité ou plutôt la façon de produire, sans finalement en payer le prix. Et ça, c'est vraiment une contradiction.
BT : C’est un questionnement légitime, qui ne se limite pas au milieu agricole. D'autres familles aux revenus modestes subissent de plein fouet cette crise de l'inflation, et nous devons proposer des solutions pour l’ensemble de la société. Cette question de la complexité grandissante du travail au quotidien, avec l’augmentation des normes sécuritaires, peut être en partie généralisée dans tous les domaines, notamment dans celui des transports. On sait que cela vient complexifier le travail des individus.
Seuls 2,3 % de la population active, en Suisse, travaillent dans l'agriculture, générant seulement 1 % du PIB du pays. Pourtant, après ces élections fédérales, on a maintenant 40 sièges sur 246 sous la Coupole occupés par des représentants du monde agricole. Est-ce que c'est, selon vous, anormal ?
BT : Relevons que ce n'est pas parce qu'une personne vient du monde agricole qu'elle ne peut pas défendre, aussi, un autre domaine. Et inversement, une personne qui ne vient pas du monde agricole peut souhaiter défendre aussi ces familles-là.
TS : Je pense que les agriculteurs sont souvent des gens qui sont très engagés dans la société, et automatiquement, ça aide beaucoup à faire de la politique. Les agriculteurs sont des gens qui sont très ancrés dans leur région, et, ça aussi, c'est un avantage pour être élu politiquement. Donc, au-delà de la question d'être agriculteur ou pas, je crois surtout que les gens ont voté pour des citoyens qui sont ancrés dans leur société, tout près des gens, et c'est ça qui a fait la différence.
Quand, dans le canton de Neuchâtel, le directeur de la Chambre d’agriculture et de viticulture, Yann Huguelit, regrette l’élection d’un socialiste et d’une verte au Conseil des États, en affirmant « qu’il sera désormais difficile, voire impossible, d’obtenir des votes favorables à l’agriculture », que lui répondez-vous ?
BT : Personnellement, je n'y crois pas. Il y a aussi des personnes qui défendent le domaine agricole indépendamment de leur couleur politique. Il faut essayer de sortir de ce genre de clivage. Cela dépend de la personne élue, et puis des enjeux, qui sont aussi propres à chaque canton. Je viens d'une région, le Nord vaudois, où il y a une majorité de terrains agricoles et maraichers. Il y a aussi de grandes zones maraîchères, et c'est effectivement important de prendre en considération le monde agricole et ses complexités. C’est uniquement en prenant en considération les difficultés rencontrées par ces personnes-là que nous parviendrons à une société juste et solidaire.
Chaque fois qu’une campagne de votation pour une initiative populaire fédérale commence, on a l’impression que les longs débats menés à son sujet sous la Coupole bernoise s’effacent, et qu’il faut tout reprendre à zéro auprès de la population. Expérience faite pendant 4 ans ou davantage, est-ce que vous trouvez ça frustrant ?
BT : Je pense qu'il y a parfois une discordance entre la réalité du terrain et les lois qui sont votées au niveau fédéral. Peut-être que progressivement, nous remarquons cette distanciation entre le vécu du terrain et ce qui se décide au niveau du Parlement. En l'occurrence, concernant les dernières initiatives touchant le monde agricole, nous constatons que la population souhaite préserver l’environnement, et que le monde agricole doit faire partie intégrante de ces réflexions.
TS : Moi je crois que, dans les cantons, on regarde essentiellement l’intitulé de l’initiative, puis on cherche à savoir quels ont été ces débats à Berne, quelles ont été les positions du parti, auxquelles on se réfère pour savoir comment argumenter pour ou contre. Et je dirais qu’on s’intéresse aussi aux arguments des opposants, pour pouvoir les défaire et rassurer les gens sur notre position.
Enfin, que dites-vous aux chasseurs valaisans formés pour prêter main forte aux garde-faune de leur canton, afin de réguler le nombre de meutes de loups suivant les directives de l’Office fédéral de l’environnement ? Sont-ils des bienfaiteurs de la paysannerie ?
BT : Je préfère ne pas m'exprimer sur ce sujet, étant donné que je ne le maîtrise pas encore. Mais j’écoute volontiers les avis des personnes expérimentées !
TS : Moi, je crois que c’est au-delà de la question de la paysannerie, il ne faut pas voir ça comme ça. Pour moi, ce sont des gens qui rendent service à l'État, parce que l'État doit s'occuper de ce problème. Et on est bien content d'avoir des gens qui s'engagent pour répondre à cette demande.
Propos recueillis par Etienne Arrivé/AGIR
> Retrouvez ici, en vidéo ou par écrit, les réponses de deux parlementaires réélus en tête par leurs cantons respectifs, le conseiller national UDC fribourgeois Pierre-André Page et le conseiller aux États socialiste neuchâtelois Baptiste Hurni.