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Patientez encore un mois pour profiter des fraises suisses!
Chaque année, l’histoire se répète. Dès les premières semaines de l’année, les étals des supermarchés sont tapissés de fraises étrangères, alors que la saison en Suisse ne commence qu’en mai. Habituellement, l’attrait des consommateurs pour la reine des baies atteint son apogée à Pâques. «On peut s’insurger des importations, mais on est obligé d’y recourir. La production indigène ne couvre que 30% des besoins du marché», explique Hubert Zufferey, responsable production à la Fruit-Union Suisse (lire encadré).
«Un besoin, vraiment?», questionne Luca Piccin du CEDD-Agro-Eco-Clim, un centre qui a pour vocation d’accompagner et soutenir les régions rurales et les acteurs des filières agricoles du Jura et du Jura bernois dans leur adaptation aux enjeux environnementaux et sociaux contemporains. «A-t-on vraiment besoin de consommer des fraises de janvier à avril? De les manger à la Saint-Valentin ou à Pâques?» Celui qui a fait sa thèse de doctorat sur la commercialisation des fruits et légumes invite à se méfier: «Ce besoin serait-il le même sans la grande distribution? On peut en douter…»
L’autocueillette profite à tous
La Fédération romande des consommateurs (FRC) reçoit régulièrement des plaintes de consommateurs «énervés de trouver des fraises en rayon hors de la saison suisse», confie Sandra Imsand, responsable des enquêtes. L’importation de fraises en hiver n’est pas sans conséquences. «Lorsque les baies indigènes gagnent les étals des supermarchés, les consommateurs sont déjà lassés. Ils y ont eu accès depuis janvier et privilégient d’autres fruits», explique la spécialiste. Elle évoque encore l’impression de la cherté: «Les gens pensent souvent que les fraises suisses sont trop coûteuses en comparaison avec celles issues de l’importation. Mais c’est leur vrai prix, en réalité.»
Pour éviter cette dérive, Luca Piccin espère une «démocratisation de l’autocueillette», une démarche qui rendrait financièrement plus accessible ce fuit. «De plus, c’est gratifiant de cueillir soi-même ses fruits, visiter les paysans, se rendre compte de leur travail». Le chercheur y voit une «solution pertinente profitant à tous». Et de compléter: «Consommer des aliments de saison réduit l’impact environnemental. Si on veut relever les défis climatiques, il faut savoir attendre le bon moment pour acheter ses fruits et légumes. Il est sans doute nécessaire de mettre en place régulièrement des actions de sensibilisation, voire d’éducation dans les écoles.»
Inverser la tendance
Pourquoi est-ce si difficile d’envisager une vente uniquement de saison? «Parce que le consommateur signalera le manque de ce fruit auprès des grandes enseignes. Pour espérer un changement, il faut influencer les habitudes des gens», prétend Hubert Zufferey de la Fruit-Union Suisse. Mais pour la responsable enquête de la FRC, ce n’est pas si évident: «On entend souvent que les quantités de fraises importées répondent à une demande et que c’est au consommateur de modifier son comportement d’achat. Notre grande enquête, publiée en 2021, a montré que le déploiement marketing autour de ce produit est si fort qu’il est difficile de ne pas succomber à l’achat.
Entre actions et promotions, tout est fait par la grande distribution pour pousser à manger cette baie dès le début de l’année.» En janvier dernier, la FRC avait d’ailleurs épinglé Manor Lausanne qui proposait à ses clients une dégustation de fraises. «C’est une aberration. Comment peut-on encore faire cela en 2023?»
Sandra Imsand note toutefois les efforts de certaines enseignes. Aldi, par exemple, s’est engagée à renoncer à vendre des fruits et légumes transportés par avion. L’enseigne s’est aussi engagé depuis deux ans à ne plus faire de publicité pour les fraises en dehors de la saison suisse. Toutefois, la reine des baies restera proposée toute l’année. Migros magazine ne propose plus de recettes de cuisine impliquant ce fruit hors la saison indigène.
La spécialiste de la FRC salue également les campagnes publicitaires des grandes enseignes en matière de développement durable et de responsabilité écologique. Mais déplore le double langage cultivé par les supermarchés: «Ils continuent de proposer en février des barquettes de fraises, parfois en forme de coeur, à l’entrée des magasins… Ils ne manquent pas de les vendre à côté de diverses crèmes incitant évidement l’achat, la préparation de desserts estivaux. Il est temps que la grande distribution arrête enfin ces mises en scène et les promotions de produits importés hors-saison.» Luca Piccin abonde: «Les intermédiaires peuvent inverser la tendance, tout comme ils la créent. Ils doivent prendre leurs responsabilités.»
Kalina Anguelova
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La production indigène reste stable
En 2022, le marché des fraises se montait à 23’210 tonnes. La production indigène a atteint 6710t, ce qui correspond à la moyenne des cinq dernières années, soit 28,9% de la quantité totale (dont la part bio était de 3,9%). Les principaux fournisseurs restent l’Espagne, l’Italie et la Hollande important respectivement 68%, 11% et 9% des fraises. Et comme chaque année, le pic de consommation a été atteint les deux semaines de Pâques. La part de fraises consommées durant cette période correspondait à 11% (2550 t) de la consommation annuelle.
L’année 2022 n’a pas enregistré une augmentation des prix, comme c’était le cas en 2021 avec une hausse de 3 à 4% par rapport à 2020. «On va analyser la situation, si on doit adapter les prix indicatifs à la production au vu du coût actuel entre autres des énergies et des engrais», précise Hubert Zufferey, responsable production à la Fruit-Union Suisse.
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Liens utiles
Membres de l'association romande Marché Paysan qui proposent des fraises en vente directe
https://marchepaysan.ch/category/751-fraises
Lieux de l’autocueillette de fraises proposés par la FRC
www.frc.ch/utile-au-quotidien/autocueillette-de-fraises/
«La vérité sur les fraises d’hiver», une enquête de la FRC dénonçant l’écobilan des fraises importées et les conditions de production de celles-ci, souvent éthiquement problématiques