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Pleins feux sur les marchés à la ferme !
Consécutivement à la crise du Covid-19, et alors que les marchés alimentaires ont été en grande partie supprimés pour des raisons de sécurité, les producteurs affiliés à l'Association romande Marché Paysan ne comptent en effet pas leur temps ni leurs efforts pour satisfaire leurs chalands habituels qui ont fait le choix, depuis longtemps déjà, de la proximité et de la saisonnalité. Par ailleurs, ils sont confrontés à un nouveau défi, celui de répondre à la demande massive de nouveaux consommateurs qui ont décidé, en cette période troublée, d'éviter au maximum de fréquenter les enseignes de la grande distribution.
Notons que, si certains cantons et villes ont décidé de réouvrir, sous certaines conditions, les marchés en ville, beaucoup de producteurs font cependant le choix de maintenir sur leur exploitation un service renforcé à la clientèle.
Entretien croisé avec la présidente de l'Association romande Marché Paysan, Caroline Steiner et de Laurence Epars, secrétaire, et témoignage de deux producteurs
AGIR - En cette période de crise, les marchés à la ferme et les libres-services sont de plus en plus fréquentés par le grand public, est-ce exact?
Caroline Steiner - Oui, nous devons faire face à une affluence massive des consommateurs.
Laurence Epars – Sur certains marchés à la ferme, il y a des files d'attente jusqu'au milieu du village. On n'avait jamais vu ça! Les gens nous disent se sentir plus en sécurité que dans les supermarchés et ont davantage confiance dans les produits de proximité.
Les premiers temps, beaucoup de personnes venaient pour constituer des provisions. Aujourd'hui, plusieurs producteurs constatent aussi que les gens viennent régulièrement, voir tous les jours, s'approvisionner chez eux car ça leur fait une sortie et une occasion d'échanger. On vient parfois pour 1 kilo de pommes, et quelques légumes...
En cette période de confinement, et en discutant avec nos clients on remarque aussi que l'alimentation, les plats cuisinés à la maison, retrouvent une place importante dans l'organisation de la journée. Nos membres vendent par exemple énormément de farine car les gens recommencent à faire leur pain du jour et leur tresse du dimanche.
Comment s'organisent les producteurs pour répondre à cette demande?
Caroline Steiner - Les producteurs de légumes qui faisaient les marchés en ville ont généralement allongé leurs horaires d’ouverture de marché à la ferme. D’autres doivent trouver du personnel pour faire face à l’augmentation des ventes. Certains d'entre eux encore, notamment les vignerons, proposent des services de livraison à domicile ou vendent seulement sur commande ou sur rendez-vous.
Laurence Epars – Les producteurs qui vendaient leurs produits sur les marchés en ville et qui n'ont pas la possibilité d'organiser un local de vente se focalisent par exemple sur les livraisons, préparent des paniers sur commande.
Alors que les marchés de ville et les restaurants sont fermés, quels sont les problèmes qu'ils rencontrent le plus fréquemment pour s'en sortir aussi bien du point de vue logistique que financier?
Caroline Steiner - Un des principaux problèmes à régler est le manque de temps et de bras car davantage de ventes signifie aussi plus de manutention. Il est difficile de suivre dans l’approvisionnement des produits car l’explosion de la demande est plus forte que l’offre prévue. Il faut par conséquent anticiper les quantités, ce qui n'est pas toujours facile.
Et parallèlement à cela, les producteurs doivent appliquer les normes de sécurités mises en place par la Confédération, que ce soit les distances à respecter, les précautions à prendre lorsqu’on manipule la marchandise, l'hygiène des lieux. Et ces normes doivent être respectées aussi bien par les producteurs, leurs employés que par la clientèle.
Laurence Epars – Un problème, c'est le temps consacré à la vente directe qui a beaucoup augmenté. Concernant les normes d'hygiène, je dirais que la plupart des producteurs n'ont pas attendu la crise du coronavirus pour manipuler la marchandise avec des gants. Du gel hydroalcoolique est à disposition, un nombre limité de clients et une distance à respecter entre les clients ont été imposés. En revanche, beaucoup d'entre eux constatent que certains consommateurs font moins attention qu'eux et n'hésitent pas à toucher la marchandise, allant parfois jusqu'à ouvrir les boîtes d'oeufs pour les compter! Nous devons donc être vigilants et ne pas hésiter à les rappeler de temps en temps à l'ordre.
Avez-vous dû beaucoup transformer vos espaces de vente pour répondre aux consignes de sécurité sanitaire?
Caroline Steiner - Afin de se conformer aux distances de sécurité, on a dû repenser la circulation des clients dans les locaux de vente et mettre en place des systèmes pour limiter le nombre de personnes présentes à la fois dans les locaux, ce qui demande plus de temps que d’habitude pour servir les gens.
J’ajouterais que le paiement par Twint ou par carte est privilégié dans la mesure du possible pour éviter de manipuler de l'argent et limiter au maximum le contact direct.
Laurence Epars - Pour les libres-services, quelques règles concernant les consignes de sécurité sanitaire ont été édictées. Pour le paiement, Twint est vivement recommandé.
Avez-vous pu nouer une collaboration avec la grande distribution ou certains magasins de proximité pour écouler une partie de votre marchandise?
Caroline Steiner - Peut-être que certains membres de Marché Paysan collaborent avec les magasins de proximité. Mais en général le but de la vente directe est de ne pas passer par un intermédiaire pour vendre des produits. En effet, beaucoup de nos membres travaillent en réseau et ont déjà l’habitude de compléter la sélection des produits dans leur point de vente avec des denrées d’autres membre de l’association.
Laurence Epars – En matière d'achalandage nos producteurs sont très complémentaires, cela même au niveau interrégional. Notre réseau interne d'échanges de produits fonctionne bien et c'est l'occasion pour les membres de se connaître, d'échanger et de promouvoir leurs produits.
Comment voyez-vous l'avenir ?
Caroline Steiner - Dans l’immédiat, cette crise et les changements d’habitude d’achat des consommateurs permettent de faire mieux connaître encore les marchés à la ferme. On espère qu’après la crise, une fois que la vie et le travail auront repris normalement, les consommateurs n’oublieront pas les points de vente directe.
Les grandes surfaces et supermarchés achètent env. 80% de la production de denrées suisses, que ce soit au niveau des fruits et légumes, de la viande, des produits laitiers ou encore des céréales. Il faudrait revoir totalement la façon d’écouler les produits si on voulait tout vendre en direct à la ferme et éviter ainsi de passer par les supermarchés. C'est un gros sujet de réflexion !
Laurence Epars – Il faut être confiant. Je souhaite que les personnes qui ont découvert nos points de vente nous restent fidèles et continuent à faire confiance aux agriculteurs de notre pays.
Deux témoignages de producteurs
Au marché MBlondel – L'Esprit du Fruit, à Crissier (VD), Valentin Blondel nous explique qu'un nouvel espace de vente a été spécialement créé à l'air libre pour permettre aux clients de faire leur marché à la ferme en toute sécurité. Les horaires ont par ailleurs été étendus. « Nous avons élaboré un système de parcours avec une entrée et une sortie. Les gens font la queue d'un seul côté et ne se croisent pas. Cette logistique fonctionne bien. Nous avons aussi augmenté la quantité et le choix de nos produits. Nous avons par exemple plus de légumes, pareil pour la viande et le fromage. Nous avons également pris de la farine. L'objectif est que les gens puissent faire chez nous leurs courses pour la semaine. Au niveau des consignes de sécurité, nous avons toujours été très stricts. Par exemple, les gens ne touchent pas la nourriture. C'est nous qui les servons.»
Au Marché Cuendet, à Bremblens (VD), la réorganisation a été totale. Alors qu'en temps normal la quasi majorité de la production était écoulée sur les marchés de ville, en particulier celui de Lausanne, et destinée aux restaurants, il a fallu passer par d'autres canaux de diffusion en densifiant notamment le service des paniers et en développant le marché à la ferme. Pour répondre à la demande croissante des consommateurs, et tandis que la confection et livraison des paniers tournent à plein régime, les horaires d'ouverture du marché ont été considérablement étendus. Un immense effort a été mis dans la communication, souligne aussi Mathieu Cuendet. Ces mesures exceptionnelles ont également nécessité la mise en place d'une énorme logistique au niveau des collaborateurs qui ont été spécialement et rapidement formés pour l'occasion.
Propos recueillis par Armande Reymond / AGIR