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Pour l'ADN des loups, direction Lausanne
Quand on lit "analyse des carcasses à Berne", on ne s’imagine pas du tout que le registre des loups ayant transité par la Suisse, c’est ici, à Lausanne, que vous le tenez à jour.
Oui, on omet à chaque fois de spécifier qu’il y a seulement l’autopsie à Berne, qui sert à déterminer les conditions de la mort de l’animal ou son état de santé, mais que, chaque fois, un échantillon de tissu est envoyé dans mon labo, le seul en Suisse pour ces analyses génétiques. Nous avons un mandat de l’Office fédéral de l’environnement depuis 1999, qui portait sur 300 à 400 échantillons par année jusqu’en 2020, et qui est monté à 2'000 au maximum depuis.
Concrètement, qu’est-ce qui vous est envoyé ?
Un échantillon biologique anonyme, qui peut être un bout de muscle, de 2 cm3, relativement facile à analyser car il contient beaucoup d’ADN en excellent état de conservation. Cependant il faut tout de suite préciser que l’on s’est spécialisé dans les analyses dites non invasives, ce qui est très avantageux avec un certain nombre d’espèces presque invisibles, dont le loup. On travaille alors avec le KORA (NDLR : Fondation suisse basée à Ittigen BE, qui joue un rôle consultatif en observant l’impact des grands prédateurs sur notre paysage), qui coordonne l’échantillonnage sur le terrain avec les autorités cantonales. Ces dernières ne doivent ni capturer ni même observer les animaux, seulement en prélever des échantillons déposés lors de leur passage, déjections, poils, salive sur des supports, etc. L’ADN est alors très dégradé, y compris par les conditions environnementales. C’est donc plus compliqué, plus long, avec une marge d’erreur plus importante pour les profils ADN, car il y a une part d’interprétation plus grande.
Plus de loups tirés, ce sont plus de carcasses à analyser. Quelle est la part de ces analyses-là par rapport au reste de vos activités "non invasives" ?
Cela reste tout à fait anecdotique. Même s’il y en a évidemment beaucoup plus qu’il y a dix ans, c'est infime en comparaison des 2'000 échantillons envoyés. Et puis je le répète, ce sont des analyses plus simples pour nous.
C’est l’occasion de relever que la précision de vos analyses non invasives ne cesse d’être améliorée. Vous êtes passés de 6 à 22 marqueurs génétiques, via un séquençage ADN de nouvelle génération, et vous avez ainsi repris, depuis deux ans, l’entier de votre base de données sur les loups sur la période 1999-2021. Quels enseignements en avez-vous tirés ?
C’est un labo universitaire, pas un labo lucratif, donc le fait d’améliorer nos méthodes est un but en soi. Pour faire simple, on est passé de l’analyse des tailles des marqueurs ADN à l’analyse de leur séquence ADN, ce qui nous permet un plus grand débit des analyses, d’analyser un grand nombre d'échantillons tout en étant beaucoup plus précis. On peut aussi automatiser toute une partie du processus, ce qui nous permet de nous en sortir en étant seulement 3 techniciens à temps partiel et moi-même. En augmentant le nombre de marqueurs, on a pu corriger d’anciens profils ADN de mauvaise qualité basés sur un nombre limité de marqueurs, ou préciser leur sexe. L’interprétation des résultats est plus aisée.
De façon générale, que peut-on dire des loups analysés en Suisse, cette année ou les précédentes ? Y a-t-il des constantes depuis 1998, des nouveautés ?
Avec l’augmentation des marqueurs génétiques, vous pouvez faire des analyses statistiques en utilisant les profils ADN, être plus précis sur leur nombre, déterminer les croisements entre les loups et des chiens, ou regarder la parenté entre les individus. En revanche ça ne nous renseigne que partiellement sur le nombre de meutes. Notre registre est partagé avec le KORA pour la localisation et l’évaluation des déplacements des individus, et en confirmant des liens de parenté on confirme alors la présence d’une meute. Mais pour ça, il faut beaucoup de travail sur le terrain. Et garder en tête que ces loups se ressemblent beaucoup à la base, car ils proviennent tous d’Italie et d’une population qui était elle-même pratiquement éteinte, donc avec peu de diversité génétique.
Au vu de l’augmentation très conséquente du nombre d’animaux observés, on parle d’abattre ici ou là une meute entière, pour envoyer un signal fort au reste de l’espèce, et être plus efficace dans la protection des animaux de rente. Dans ce contexte, les analyses non invasives gardent-elles leur pertinence ?
Absolument. La seule chose que ça changerait pour nous, c’est de vérifier les apparentements au sein de la meute. Mais au-delà, ce qui me paraît le plus passionnant, c’est de progresser dans nos méthodes, de développer des analyses génétiques à la limite de la détection. Imaginez qu'actuellement nous en sommes à déterminer toutes les traces d’ADN dans l’eau d’une rivière, d’un étang, ou dans le sol, avec des protocoles toujours plus fins. On saurait ainsi déterminer quels poissons, quelles plantes vivent là, l’oiseau qui s’est posé dedans, etc. Le loup a permis à notre labo de se spécialiser là-dedans, et d’aller vers des sujets de recherche passionnants : faire des inventaires de biodiversité, par exemple dans un échantillon de sol, avec tout ce que ça implique aujourd’hui.
Propos recueillis par Etienne Arrivé/AGIR