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Promotion de la biodiversité : « On pourrait faire moins, mais mieux ! »
Les mesures mises en place pour la promotion de la biodiversité ont-elles atteint leurs objectifs ?
Elles ont permis de stabiliser l’érosion de la biodiversité, résultant de l’exploitation intensive de l’agriculture d’après-guerre, dans bien des domaines. En prenant certains indicateurs, on voit des améliorations ponctuelles et l’on a réussi à récupérer certaines espèces. Cela étant, d’autres continuent à diminuer. Ce qui signifie que les mesures mises en place ne sont pas suffisamment ciblées pour permettre à ces espèces de s’en sortir.
Comprenez-vous que les agriculteurs en aient assez qu’on leur demande de faire toujours plus ?
Absolument. Quand on vous demande de dédier 7% de vos surfaces à la promotion de la biodiversité, et que, non seulement vous l’avez fait, mais que vous avez largement dépassé ce seuil en atteignant 19%, c’est très frustrant et décourageant d’entendre dire que les objectifs ne sont toujours pas atteints.
Cela veut dire que l’agriculture devrait encore mettre davantage de surface à disposition ?
L’agriculture a déjà fait beaucoup pour la biodiversité. Bien plus que la forêt où il y a encore un fort potentiel d'amélioration en termes de biodiversité, et évidemment que la zone urbaine où les mesures prises pour cette dernière sont extrêmement faibles. Si on veut maintenir la capacité de l’agriculture à nourrir la population, on ne peut pas continuer à perdre des terres agricoles. Je pense même qu’on pourrait redescendre à 15% de SPB. Mais, en revanche, il faudrait améliorer la qualité de ces surfaces. On est en Suisse, avec peu de superficie. On doit faire mieux avec ce que l’on a, afin de pouvoir répondre à toutes les attentes de la population : produire des aliments, du paysage de qualité, de la biodiversité de qualité, de l’eau de qualité… Je pense que c’est possible. Mais c’est un faux discours de dire que c’est en doublant les surfaces qu’on va y arriver. C’est plus de qualité qu’il faut viser.
Qu’entendez-vous par qualité ?
Certaines surfaces n’ont pas beaucoup d’intérêt pour la biodiversité. Par exemple, mettre un talus ombragé en SPB ou une surface isolée au milieu des grandes cultures n’apporte pas grand-chose. La qualité est insuffisante pour que la biodiversité s’y installe. Le véritable enjeu ne se situe pas au niveau de la quantité, mais bien de la qualité de la surface, par exemple en augmentant la diversité floristique ou en ajoutant des petites structures (buissons, tas d’épierrage, de branches, etc.). A partir de là, dire qu’on vise cette qualité, mais sur moins de surfaces, devient plus audible pour un agriculteur. Lui annoncer qu’il pourra récupérer en contrepartie des bonnes terres cultivables, qu’il avait consacrées jusque-là à la biodiversité, tout en passant de 19% de SPB à 15%, c’est plus motivant.
On oppose constamment agriculture et biodiversité, mais les deux sont aussi complémentaires…
Absolument, quand on veut faire de la biodiversité, il ne faut pas saucissonner les thèmes. Faire des patches ou des bandes fleuries dans des champs de blé pour attirer des alouettes et produire sans se soucier de la biodiversité sur le reste de l’exploitation, ça ne sert à rien… La biodiversité ne se cantonne pas dans les coins qu’on lui réserve. Elle est présente sur l’ensemble de l’exploitation. Les champs de colza ou les engrais verts qui permettent aux lièvres de passer l’hiver contribuent à la biodiversité, même s’ils ne sont pas en SPB. Et si l’on prend les prairies maigres dans le canton de Neuchâtel, qui sont splendides, riches en orchidées, il faut être conscient que sans un agriculteur qui y mène du bétail ou qui va les faucher, elles vont se refermer. La forêt revient, avec une biodiversité beaucoup plus pauvre.
Pour en revenir à la qualité, comment pourrait-on l’améliorer ? En rajoutant des directives?
Non, il faudrait plutôt simplifier ces réglementations. La biodiversité a horreur de ce qui est cadré et normé. Elle aime le fouillis, le désordre. On peut prendre l’exemple de ce qu’on appelle « les prairies du 15 juin ». Afin de toucher des paiements directs pour ces prairies dites extensives, où l'on trouve beaucoup de fleurs, les agriculteurs doivent répondre à un certain nombre d’exigences, dont celle de ne pas mettre d’engrais et de ne pas faucher avant le 15 juin en plaine. Cela signifie que s’il fait beau ce jour-là et les deux ou trois suivants, tout le monde va faucher en même temps. D’un point de vue écologique, c’est une catastrophe. C’est l’équivalent à l’échelle des insectes de la destruction de la forêt tropicale en Amazonie. On enlève tout d’un coup. Des hectares et des hectares de biotopes, avec des papillons, des sauterelles, disparaissent en même temps… On est dans un système rigide, uniforme, pour que cela soit plus simple à comprendre et à contrôler par des inspecteurs. Mais très néfaste pour la biodiversité.
On ne fait pas assez confiance aux agriculteurs ?
Clairement. On craint toujours que les gens profitent du système. Alors certes, comme dans tous les secteurs, il y a des tricheurs, mais c’est un tout petit pourcentage. Ce serait plus constructif de laisser davantage de latitude aux agriculteurs, en basant le système sur la confiance et la responsabilité individuelle. Ce sont eux qui connaissent leurs exploitations. Il faudrait également, en termes de biodiversité, qu’ils puissent se fixer des objectifs mesurables et observables par eux-mêmes. La motivation est un facteur essentiel pour faire avancer les choses.
Mais comment les agriculteurs peuvent-il savoir ce qui est vraiment nécessaire en termes de biodiversité ?
C’est effectivement un problème. Si on veut sortir de cette logique de quantité de surfaces pour privilégier la qualité, il faut impérativement développer et financer le conseil, ciblé sur chaque exploitation. Mais jusque-là, les chambres fédérales n’ont jamais voulu entrer en matière.
Propos recueillis par Pascale Bieri/AGIR