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Quand un éleveur passionné abandonne le lait
Il y a quelques années, Johan Viret posait fièrement aux côtés de sa vache « Ragusa » pour la campagne d’affichage « Paysans suisses. D’ici, avec passion » de l’USP (Union suisse des paysans). C’était en 2018, six ans après avoir repris l’exploitation familiale et investi dans la construction d’un nouveau bâtiment pour ses 40 vaches laitières, avec le souci de pouvoir leur apporter tout le bien-être moderne.
Début 2024, coup de tonnerre. Le jeune agriculteur (35 ans) décide, comme déjà bien d’autres avant lui, d’abandonner la production laitière pour diverses raisons, tant personnelles que financières. Et de se séparer de toutes ses vaches. Nous l’avons retrouvé dans son exploitation à Villars-Tiercelin (VD), en compagnie de Lucky, son inséparable bouvier bernois, moins amer que soulagé par ce choix : « C’était ça, ou je ne finissais pas l’année », confie-t-il. En ajoutant qu’il murissait cette décision depuis quelque temps déjà.
Payer correctement le prix du lait
« On nous dit qu’il faut travailler de manière extensive (ndlr : pratiques qui reposent sur des techniques respectueuses de l'environnement et dont l’objectif n’est pas de chercher à augmenter la productivité à tout prix), mais le système actuel fait que si on ne produit pas et qu’on n’élève pas de manière de plus en plus intensive, on ne s’en sort pas », assure Johan Viret.
Avec une production laitière de 180 tonnes de lait par an, Johan Viret se situait dans la moyenne suisse. Une production moyenne qui est toutefois en augmentation constante, puisqu’elle est passée de 138 tonnes en 2012 à 185 tonnes par exploitation, 10 ans plus tard. Soit 34% d’augmentation en 10 ans. Une courbe ascendante que le jeune éleveur ne se voyait pas suivre.
« Je suis seul sur mon exploitation, et je ne pourrais pas avoir davantage de bêtes. Pour que des structures telles que la mienne puissent survivre, il faudrait qu’on nous paie correctement le prix du lait. Les gens croient qu’on vit grâce aux paiements directs, mais ils ne couvrent qu’une petite partie des rentrées dont on a besoin pour tourner. »
Des coups durs qui s’accumulent
Les factures qui s’accumulent, la charge de travail, et plusieurs coups durs au cours de ces dernières années ont donc eu raison de la passion de Johan Viret pour ses vaches. « En 2020, j’ai déjà failli tout abandonner. Mes vaches et génisses ont été contaminées par klebsiella, des bactéries résistantes aux antibiotiques. J’ai dû abattre un tiers du troupeau, dont « Ragusa ». Ça a été très dur. » L’année dernière, un problème de saillie décale dans le temps les vêlages et donc la production laitière de ses vaches, ce qui ne lui permet pas d’honorer le contrat, avec quota mensuel, qu’il a auprès de son acheteur, les laiteries Mooh. Un imprévu qui s’est soldé par des malus qui ont mis à mal sa trésorerie.
« On est constamment sur le fil du rasoir. Ce n’est pas une vie. L’année dernière, je suis allé travailler dans une entreprise de génie civil. J’ai gagné davantage, durant deux semaines, de nuit, qu’en travaillant durant un mois, 7 jours sur 7, sur mon exploitation, avec au final, juste de quoi payer les factures », confie encore Johan Viret. Il ajoute : « Il ne faut pas tout baser sur l’argent. Et ce n’est pas mon cas. Mais il faut quand même pouvoir vivre… J’aimerais également avoir un peu plus de temps pour moi, pour fonder une famille, avoir des enfants, et partir de temps en temps. Depuis que j’ai repris l’exploitation, j’ai pris une fois des vacances, durant deux semaines. »
Intérêt pour les machines et les cultures
En fin d’année dernière, l’envoi d’un sms par une amie proche lui disant « tu me fais peur ! », lui fait l’effet d’un électrochoc. La baisse de 2 centimes sur le prix du lait en début d’année, avec en parallèle l’augmentation des tarifs du transporteur qui vient récupérer le lait un jour sur deux, de 24 à 32 francs par course, a provoqué le déclic final !
Aujourd’hui, Johan Viret confie qu’il se sent plus léger. Il a trouvé des repreneurs pour son robot de traite et pour ses vaches laitières. Il a même choisi de rester propriétaire d’une d’entre elles, une descendante de « Ragusa » dont il est particulièrement proche. « Elle ne sera plus chez moi, mais je veux continuer à prendre les décisions qui la concernent. »
S’il renonce aux vaches laitières, le jeune agriculteur n’abandonne pas pour autant le métier. Sur les 35 hectares de son exploitation, il va augmenter ses surfaces de cultures, notamment celles de betterave sucrière. « J’aime beaucoup les cultures et les machines, donc cela me conviendra bien. » Mais comme il n’envisage sa ferme sans animaux, il aura également certainement quelques vaches mères et des veaux d’engraissement.
Pascale Bieri/AGIR