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Réduire le stress, grâce à l’abattage à la ferme
Réussir à rencontrer Sébastien Delay est un vrai challenge. Ce jeune agriculteur de Baulmes (VD) qui a fondé l’entreprise « Transeb » en 2020, saute d’une urgence à l’autre, avec à peine le temps de dormir, puisqu’il intervient 24 heures sur 24. Dans un premier temps, ce jeune vaudois de 29 ans proposait uniquement des services de transport d’urgence, de type ambulancier. Puis, il a ajouté des prestations d’abattage à la ferme. Que ce soit, suite à un accident quand il n’y a plus rien à faire, ou lors d’un rendez-vous programmé de mise à mort sur l’exploitation, puisque depuis juillet 2020, il est possible de le faire, de sorte à limiter le stress de l’animal.
Dérogation obtenue
« Il y a un an et demi, j’ai fait la demande auprès du canton de Vaud pour avoir l’autorisation d’abattre des animaux dans des exploitations agricoles », confie Sébastien Delay. « En principe, c’est réservé aux bouchers. Mais, comme j’avais déjà une société de transports d’urgence, j’ai obtenu une dérogation et j’ai pu suivre la formation nécessaire. » Depuis, le jeune entrepreneur s’est équipé d’une seconde remorque et d’un treuil pour déplacer les bêtes abattues.
Aujourd’hui, il effectue en moyenne cinq transports par jour dans toute la Suisse romande, avec des déplacements jusqu’au Tierspital à Berne, ainsi qu’en France. A cela s’ajoute désormais 6 ou 7 abattages d’urgence par semaine. « C’était la suite logique, explique-t-il. Quand on m’appelle pour une urgence et que l’animal ne peut pas être déplacé en raison de ses blessures, c’est important de pouvoir intervenir rapidement afin de ne pas prolonger inutilement ses souffrances ». Et d’ajouter : « Pour moi, ce que je fais aujourd’hui a vraiment un sens. Mais si on m’avait dit quand j’étais enfant, qu’un jour je tuerais des animaux, je n’y aurais pas cru… J’adore les animaux ! C’est pour ça, notamment, que j’ai choisi le métier d’agriculteur. »
Trajet jusqu’à l’abattoir doublé
Dans le Jura bernois, Jérémy Oppliger, un jeune boucher à la tête de l’entreprise J.Oppliger SARL, pratique lui aussi quotidiennement l’abattage à la ferme. « Avec mon équipe, il est courant d’intervenir entre 20 et 25 par semaine dans un rayon moyen de 35 minutes autour de notre abattoir à Moutier ». Pourquoi ce périmètre ? Parce que la législation suisse stipulait que tous les animaux abattus devaient être éviscérés dans un local officiel dans les trois quarts d’heures suivant leur mise à mort.
Depuis le 1er février 2024, ce laps de temps a doublé. Il est désormais de 90 minutes. Mais le jeune boucher n’entend pas élargir son champ d’action, préférant privilégier les services de proximité ainsi qu’une étoite collaboration avec Sébastien Delay pour les transports plus éloignés.
« Abattre un animal n’est pas anodin, confie encore Jérémy Oppliger. Pour moi, il est essentiel de pouvoir le faire dans le respect et le calme. Quand un bovin est blessé, il est forcément stressé. C’est important de ne pas en rajouter. »
De son côté, Sébastien Delay peut désormais compter sur des collaborateurs en cas de besoin afin de répondre efficacement et qualitativement à l’augmentation de la demande. Puis, en cas d’abattage sur une exploitation, il achemine les bêtes vers les abattoirs d’Orbe et de Moutier.
Abattages programmés
En Suisse, la législation sur le bien-être animal interdit de transporter un animal de boucherie sévèrement blessé. Ce qui implique qu’en cas d’accident, l’animal doit d’abord être examiné par un vétérinaire qui déterminera s’il est soignable et/ou transportable. Si ce n’est pas le cas, il sera étourdi sur place, dans la stabulation ou au pré.
A côté des abattages d’urgence, il est également possible, depuis trois et demi, de mettre à mort des animaux pour la boucherie, de manière programmée. On appelle parfois cela « abattage bien-être ». Et, évidemment, cette pratique est soumise à une réglementation stricte, avec des exigences à remplir au niveau des emplacements et des équipements nécessaires. Seuls les exploitants ayant obtenu une autorisation cantonale peuvent donc y avoir recours.
Ceci fait, le jour J, un vétérinaire devra examiner l’animal, avant la mise à mort, pour s’assurer qu’il est en bonne santé, et qu’il n’a pas de traces d’antibiotiques ou d’autres substances dans le sang. Ce qui le rendrait impropre à la consommation.
Le bovin est ensuite étourdi avec un pistolet d'abattage. Ce qui se passe souvent dans une cage de contention, où il aura préalablement été entrainé à rentrer sans stress, par exemple pour les soins des onglons.
Jérémy Oppliger préfère, pour sa part, opérer à distance par arme à feu, alors que l’animal se trouve par exemple dans la cour de l’exploitation. « De cette manière, il ne se rend compte de rien. Il n’y a pas de stress. Ce qui est l’objectif premier de l’abattage à la ferme. »
Moins de stress mesuré
S’ensuit une véritable course contre la montre. Avec, tout d'abord, la saignée du bovin qui doit intervenir dans les 60 secondes suivant l'étourdissement. Puis l’acheminement de la carcasse vers l’abattoir pour la suite des étapes jusqu'à l'éviscération qui doivent être exécutées dans les 90 minutes. Si ce laps devaient être dépassées ou en cas de doute, des analyses bactériologiques pourront déterminer si la viande est bien propre à la consommation humaine.
En général, dans le cadre d’abattage programmé sur l’exploitation, la viande est d’excellente qualité, avec des teneurs dans le sang faibles en cortisol, lactate et en glucose, des paramètres indiquant le stress. Une étude du FIBL a d’ailleurs démontré que le niveau de stress mesuré chez les animaux abattus sur l’exploitation est largement inférieur à celui des animaux mis à mort en abattoir. Les exploitants qui font ce choix d’abattage à la ferme valorisent en principe eux-mêmes la viande après le débitage, dans le cadre d’un magasin à la ferme ou sur des marchés.
Valorisation de la viande de deuxième qualité
En revanche, la viande provenant d’animaux accidentés n’est jamais de la même qualité », explique Jérémy Oppliger. « Un animal accidenté est stressé et réagit comme nous aux douleurs ». Par conséquent on retrouve de fortes teneurs en cortisol dans le sang. Cette viande risque de rapidement se dégrader et doit être travaillée le plus rapidement possible. Il n’est donc pas conseillé de laisser rassir dans le but de la vendre à l’étal, par exemple. Cette marchandise sanitairement propre et ne présentant aucun risque pour la santé est généralement destinée à la fabrication de charcuteries.
Quant à la viande qui n’est pas conforme aux exigences pour l’alimentation humaine, elle part sur un marché de nourritures pour animaux : chiens, chats ou zoos.
Pascale Bieri/AGIR