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Regards croisés sur le droit de vote des femmes
En 1959 déjà, les Vaudoises inscrivaient leur premier bulletin de vote dans les urnes. Cet événement a marqué Huguette Emery et Antoinette Gavillet, deux exploitantes agricoles qui ont toujours exercé leur droit en tant que citoyennes. Issues des deux générations suivantes, Anne Challandes et Cindy Martin soulignent l’importance de cette « reconnaissance de la parole » tout en observant qu’il reste de nombreux chantiers à réaliser pour défendre le statut de la paysanne.
Huguette Emery
« Cela ne me rajeunit pas ! », s’exclame Huguette Emery lorsqu’on évoque le droit de vote des Suissesses. En 1971, elle avait 36 ans et trois filles. Mariée à un paysan à Vernand-Dessous (VD), elle s’est très tôt engagée pour la cause féminine en intégrant l’Association des Paysannes vaudoises et a même été présidente du groupe de Crissier et environs. « À l’époque, on se préoccupait beaucoup de la formation des paysannes », se souvient l’octogénaire. Dans le canton de Vaud, le suffrage féminin a été accordé en 1959 à l’échelon communal et cantonal. « Les Vaudois étaient des précurseurs et mon mari a toujours été favorable à l’émancipation des femmes », remarque-t-elle. Après le passage au bureau de vote, Huguette Emery et sa belle-mère ne manquaient jamais l’occasion d’aller trinquer à l’apéro au stand du village. « C’était notre petite tradition à nous », confie-t-elle. Le droit de vote des femmes à l’échelon fédéral a été un soulagement pour la paysanne : « Nous travaillions en étroite collaboration avec trois autres familles d’agriculteurs. Ensemble, nous avions quatorze filles et aucun garçon. Chaque fois que nous abordions le sujet, nous nous disions que ce n’était pas normal de ne pas pouvoir voter au niveau fédéral ». Aujourd’hui, la retraitée se réjouit qu’il y ait de plus en plus de femmes engagées à Berne.
Antoinette Gavillet
Lorsqu’elle a essayé de sonder les femmes autour d’elle à propos de ce jubilé, la Vaudoise Antoinette Gavillet s’est rendu compte que le droit de vote cantonal avait été plus marquant pour son entourage que celui à l’échelon fédéral. « En 1959 déjà, ma mère est allée voter, raconte celle qui était alors âgée de huit ans. Elle était très fière de pouvoir accomplir ce geste. Je me souviens que nous avons même pris une photo », se remémore-t-elle. Avec un père syndic et paysan, Antoinette Gavillet s’est très tôt sentie impliquée en tant que citoyenne. Après ses études à l’École normale pour devenir enseignante, elle a épousé un paysan qui s’est engagé dans la vie politique du village et du canton. Ensemble, ils ont eu trois fils. Pour elle, la cause paysanne a toujours été un sujet important. « J’ai milité contre l’initiative Baumann-Denner qui menaçait notre agriculture, rappelle celle qui a été présidente de l’Association des Paysannes vaudoises. J’ai toujours été convaincue que la paysanne, au sens étymologique du terme, sait prendre ses responsabilités et qu’elle a à cœur de s’investir pour le pays. »
Anne Challandes
Avocate et présidente de l’Union suisse des paysannes et des femmes rurales (USPF), Anne Challandes fait partie de la génération suivante. Elle avait trois ans lorsque le droit de vote des femmes a été accepté par les Suisses. Mais que signifie ce vote aujourd’hui ? « C’est tout d’abord la reconnaissance de la parole », estime celle qui œuvre aussi sur l’exploitation agricole de son mari. « Je suis impressionnée par les femmes qui se sont battues sans relâche pour leurs droits civiques et surtout par celles qui s’engagent encore au quotidien, souligne la Neuchâteloise. Pendant longtemps, la paysanne n’a eu aucun statut. Elle n’avait pas le droit d’avoir un compte bancaire sans l’autorisation de son mari. » Si de nombreuses actions ont été accomplies depuis pour faire progresser la cause de la femme rurale, il reste encore de nombreux chantiers à réaliser, notamment en matière de prévoyance professionnelle, de sécurité sociale et de divorce. « La paysanne qui s’investit à la ferme a encore parfois tendance à dire qu’elle aide son mari, poursuit l’avocate. Or, elle est une cheffe d’exploitation, une entrepreneuse et une mère de famille. Son rôle est essentiel et ne doit pas être minimisé. Au sein de l’économie familiale, elle contribue aussi à revaloriser les denrées alimentaires. »
Cindy Martin
La Nord-Vaudoise Cindy Martin fait partie de la jeune génération. Fille d’agriculteur à Montcherand, elle a voté dès sa majorité et n’a « jamais » manqué une votation selon ses dires. « Je me rends compte qu’en réalité cela ne fait pas si longtemps qu’on a le droit de vote, s’étonne la jeune femme âgée de 24 ans. C’est une victoire ! » Au fil des années, l’Association des Paysannes vaudoises est devenue une affaire de famille chez les Martin, puisque la mère et la grand-mère de Cindy ont toutes deux été présidentes de la section locale d’Orbe et ses environs. En 2019, l’apprentie employée de commerce a sauté le pas, elle aussi, en intégrant l’association. « C’est une manière de créer des contacts avec d’autres femmes de la région. » Lorsqu’elle discute avec ses amis sur des sujets politiques, elle essaie de « leur ouvrir les yeux » sur la réalité du monde paysan. « Il y a parfois un réel décalage, observe-t-elle. D’une manière générale, c’est toute ma génération – hommes et femmes confondus – qu’il faut encourager à aller voter. »
Valérie Beauverd / AGIR
Légende photo : Quatre paysannes issues de trois générations différentes témoignent de l’importance du droit de vote des femmes (avec de g. à dr. : Anne Challandes, Huguette Emery, Cindy Martin et Antoinette Gavillet). DR paysannes.ch