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Tu seras coq frère ou tu ne seras pas
Bio et conventionnel réunis dans un même objectif, et se donnant les moyens de le concrétiser courant 2025: le message est passé, et c’est le principal motif de satisfaction de Daniel Würgler, suite à la conférence de presse commune de la filière avicole, le 30 août dernier à l’Aviforum de Zollikofen. Dès lors, vous avez probablement «vu passer l’info», comme on dit, et elle était de nature à vous satisfaire en cette fin d’été: dans quelques mois c’en sera bien fini, en Suisse, du sacrifice des poussins mâles à la naissance, par gazage au CO2 à peine sortis de l’œuf. La filière l’a décidé, et sans même attendre qu’une interdiction lui soit adressée.
Dans cinq pays déjà
Daniel Würgler préside GalloSuisse, l’association des producteurs d’œufs suisses. Celle-ci travaille exclusivement avec deux couvoirs, Animalco et Prodavi, respectivement basés en Argovie et dans le canton de Lucerne, et elle a donc opté pour une technologie combinant l’IRM et l’IA. Elle est commercialisée dans 5 pays déjà sous le nom de «Genus Focus», par l’entreprise munichoise Orbem et son partenaire spécialiste de l’automation Vencomatic Group.
Grâce à cette machine, l’intérieur de l’œuf est analysé, sans endommager la coquille, à un stade où l’embryon, d’après les études les plus récentes, ne ressent pas encore la douleur. La marge d’erreur est actuellement affichée à seulement 2%. Et les éleveurs conventionnels se sont engagés à opter pour cette nouvelle méthode, moyennant une répercussion sur le prix de vente aux consommateurs, à partir du 1er janvier 2025, "jusqu’à 1,5 centime par œuf vendable, selon leur catégorie", dixit Daniel Würgler.
Pensez aux poules à deux fins
Au-delà, les préoccupations éthiques et écologiques sont au centre de l’attention des éleveurs depuis bien des années. Et GalloSuisse a profité de l’occasion pour remettre en lumière les notions, encore très peu connues, de «poule à deux fins» et de «coq frère». Ces néologismes n’apparaissent presque jamais pour le consommateur, alors qu’ils le méritent. "Il y a plusieurs cas de figure. Il existe des races bio à deux fins, qui produisent des oeufs plus petits et moins nombreux et donnent aussi moins de viande qu'un poulet. Et puis, pour le conventionnel, nous défendons une marque «La poule suisse, durablement bonne». Celle-ci commercialise des produits à base de viande de poules pondeuses, après qu’elles ont rendu de bons et loyaux services en ayant pondu des œufs tout au long de l’année. Elles sont donc, là aussi, à deux fins. C’est une manière d’augmenter la part de cette viande peu valorisée comme aliment, pour une consommation clairement plus durable."
Le dilemme du poussin mâle et du coq frère
Quant aux coqs frères, ils sont tous élevés en bio, ils résultent du choix de ne pas trier les poussins à la naissance, ni, bientôt, au stade de l’œuf. "Comme les poules pondeuses, ce sont des marathoniens, qui ne fabriquent que peu de chair. Ils donnent d’excellents petits filets, ressemblent à de petits coquelets, mais ils sont rarement vendus comme tels. Ils entrent plutôt dans la fabrication de charcuterie, de saucisses à base de volaille. Vous trouverez parfois leur mention sur des boîtes à œufs bio, pour vous signifier qu’en achetant ces œufs vous financez en bonne partie leur élevage."
Les limites écologiques du bio
Cela étant, un calcul rapide suffit à vous démontrer la préservation des ressources naturelles induites par le futur tri des œufs conventionnels: "Le bio, c’est 650'000 poules pondeuses, mais en tout, on élève 3,5 millions de poules en Suisse", ajoute notre spécialiste. "Comme il y a une chance sur deux que le poussin soit une femelle ou un mâle, il faudrait alors doubler nos infrastructures ainsi que l’alimentation nécessaires à leur élevage. Cela dit j’admets que la solution trouvée n’est pas encore parfaite: à terme, on souhaiterait tous pouvoir trier les œufs dès le premier jour avant même de les mettre dans la couveuse."
Des protéines à valoriser
Un dernier mot sur ces œufs mâles écartés. Dans l’idéal, ils doivent être transformés en aliments pour animaux, riches en protéines, mais on sait que ce marché est aujourd’hui trop complexe pour faire sens à l’échelle de la Suisse (cf. notre article et notre vidéo au moment de la réautorisation sous conditions strictes des protéines animales). A défaut, ils pourraient être valorisés dans la fabrication de biogaz. Et finalement -pardon pour le rude retour sur terre- restent les 2% de mâles couvés par erreur, cette fameuse marge d’erreur actuelle de l’intelligence artificielle. Retenez qu’il est prévu de les utiliser comme nourriture dans les zoos, car certaines espèces en raffolent. Gloups!
Etienne Arrivé/AGIR