Main Content
Un triptyque Jura-Galloway-biodiversité
Vous aviez quitté St-Ursanne un après-midi de Médiévales, lors de ces fêtes bisannuelles dites "hors du temps" qui situent le village sur la carte des grands rassemblements populaires. Mais vous ignoriez ce qu’on y élève moins de 4 kilomètres plus haut. D’autre part, si vous aimez le cyclisme, vous gardez peut-être en mémoire que c’est dans cette côte, à 9,7% de pente moyenne, que Thibaut Pinot forgea son 1er succès sur le Tour de France, en 2012, prenant le large avant de conclure en solitaire, à Porrentruy, son harassante traversée des monts jurassiens. A 789m d’altitude, juste au sommet de ce col de la Croix, se trouve le domaine Sur-la-Croix, propriété de la fondation bâloise du même nom.
Cartographier puis progresser
«En 2007, les surfaces de l'exploitation ont toutes été cartographiées», nous explique Anna Stäubli, à la tête du bureau d’études PÖL, pour Projekte Ökologie Landwirtschaft (en français "Projets d'écologie agricole"), basé à Lucerne, spécialisé dans le domaine de protection de la nature en lien avec l’agriculture. «Lors de cette cartographie, il s’est avéré que toute l'exploitation avait historiquement été utilisée de manière intensive, avec peu de surfaces épargnées par les engrais. Partant de ce constat, la fondation nous a mandatés pour établir une stratégie plus extensive, mise en œuvre à partir de 2009».
Vétérinaire et cavalière
C’est bien cette nouvelle approche, à la fois progressive et mesurée, qui nous a conduit jusqu’ici. Et un rapide rappel historique s’impose. Pendant des décennies, ce domaine jurassien fut le centre de la vie de la famille bâloise Saxer. Le père, Ernst Saxer-Stauffacher, avocat et notaire, l’avait acheté en 1933, et en fit, avec l’aide d’employés et de sa fille, Maia Saxer, une exploitation modèle d’élevage pour vaches de pure race Simmental. Maia y tint un cabinet vétérinaire, et était par ailleurs une cavalière de concours passionnée. En 2001, elle constitua une fondation agricole, la Fondation Sur-la-Croix. Puis à sa mort, en 2004, n’ayant pas de descendants, toute sa fortune ainsi que l’exploitation passèrent en mains de la fondation.
«Cette exploitation est notre vitrine»
«Cette fondation a été créée dans le but de soutenir l'agriculture, dans les domaines de la recherche, de l'innovation et de la formation», poursuit Matthias Hofer, qui en est le directeur général depuis 15 ans. «Cette exploitation est notre vitrine. C'est ici que devraient être mis en œuvre nos principes directeurs, et il n’est pas question pour nous d’y travailler différemment des valeurs que nous portons partout ailleurs».
Au col de la Croix, on a longtemps produit de manière relativement intensive. Des pommes de terre, des céréales, des prairies artificielles… et toujours des vaches. C'est au tournant des années 2000 que Maia Saxer décide d’intégrer des principes écologiques dans la production.
Jeunes repreneurs depuis avril
De 2009 à 2024, ce sont Hermann et Elisabeth Kaufmann-Stalder qui dirigent le domaine. Tout récemment, début avril, un jeune couple d’agriculteurs a repris les rênes. Une Bernoise, Ariane Moser, 26 ans, et un Soleurois, Silvan Schläfli, 28 ans. Tous deux n’avaient pas la possibilité de reprendre leur exploitation familiale, et leur candidature a été retenue par la fondation sur la base d’un concept de travail recherchant encore l’équilibre entre une production rentable et une harmonie avec la biodiversité.
La Galloway en fer de lance
«Nous souhaitons produire du lait et de la viande, explique Ariane Moser, mais le faire aussi avec des espèces animales dites extensives. En l’occurrence, à côté d’un troupeau de vaches laitières Swiss Fleckvieh, nous élevons désormais des vaches Galloway, une race de vache mère écossaise qui convient parfaitement à l'élevage des veaux, lesquels vivent 8 à 10 mois avec leur mère». Et puis il y a les pâturages. Le domaine fait 90 hectares, dont 60 de surface agricole utile (SAU) et 30 de forêts. «Nous avons 27% de notre SAU en surfaces de compensation écologique, que nous cherchons constamment à améliorer», poursuit Ariane Moser, «mais nous avons aussi besoin de rendements fourragers de bonne qualité et suffisants sur les surfaces intensives. Il se trouve que Silvan et moi avons travaillé, à l’origine, dans le conseil et la formation, alors pour nous, c'est une grande chance de pouvoir partager notre savoir et nos expériences, ici, sur tout ce que l'on peut faire pour conjuguer production et respect de l’environnement».
Jouer un rôle de médiation
«Cela correspond à nos directives», souligne à son tour Matthias Hofer, «elles figurent dans le contrat de bail. Au fond, un peu comme votre agence de presse AGIR, nous aimerions jouer un rôle de médiation entre l'agriculture et la population non agricole. Parce qu'il y a beaucoup de malentendus de part et d’autre. Nous aimerions aussi ouvrir un peu cette exploitation, par exemple en accueillant le programme L’école à la ferme, ou des nuitées sur la paille, peut-être des visites, une petite vente directe pour les randonneurs ou pour les cyclistes. C'était trop peu le cas jusqu'à présent, et nous aimerions, en tant que fondation, montrer nos principes agricoles au monde non agricole, tant que faire se peut».
Des "bioindicateurs" réjouissants
Anna Stäubli acquiesce. A elle le mot de la fin, celui des résultats déjà atteints: «Du point de vue de la biodiversité, ce n'est pas encore une entreprise modèle, mais son effort a été conséquent: plantation d’arbustes, éclaircissages dans la forêt, semis de bandes de prairie, etc. Le concept de départ a toujours été respecté, et, finalement, le plus important: l’impact sur la flore comme la faune a été scientifiquement étudié pendant 18 années. A cet égard, oui, il faut considérer Sur-la-Croix comme une entreprise modèle».
Etienne Arrivé/AGIR