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« Une information agricole neutre et objective est plus importante que jamais »
Comment êtes-vous arrivé à la tête de l’Agence d’information agricole romande AGIR ?
J’ai remplacé, en 2004, une de mes collaboratrices qui représentait AgriGenève au sein du comité d’AGIR. L’année suivante, le président, M. Mamin, a annoncé son départ. On m’a proposé de le remplacer et j’ai accepté.
Vous-même, êtes-vous issu du milieu agricole ?
Pas du tout. A l’époque, on m’avait aiguillé vers le collège. Mais cela ne m’a pas plu. Je suis alors entré à l’école d’horticulture, puis j’ai travaillé durant deux ans à mon compte. Ensuite, j’ai fait l’école d’ingénieur de Changins, dans la filière arboriculture fruitière et viticulture. Suite à cela, j’ai été engagé par Bayer, et 5 ans plus tard, comme directeur à l’AGCETA, l’Association genevoise des Centres Techniques agricoles. Lorsqu’on m’a demandé, en 2001, si je voulais reprendre la direction de la Chambre genevoise d’agriculture (CGA), j’ai accepté à la condition de fusionner avec l’AGCETA. C’est ce qui a donné naissance à AgriGenève en 2002.
Pour en revenir à AGIR, qu’est-ce qui vous a motivé dans cette fonction ?
J’ai toujours considéré qu’il était indispensable de communiquer sur l’agriculture. Et de pouvoir le faire sans être dépendant des médias traditionnels, qui privilégient l’actualité sensationnelle. Par ailleurs, pour que cette information soit crédible, il faut qu’elle soit neutre et ne provienne pas d’une Chambre agricole, qui occupe des missions politiques et syndicales. C’est pour cela qu’une Agence telle qu’AGIR est hyper-importante, et que cela m’a intéressé de contribuer à son développement.
Le rôle de l’Agence a beaucoup évolué depuis 2004 ?
A l’époque les relations agriculture-population étaient beaucoup plus paisibles, comme l’ensemble de la société d’ailleurs. L’Agence avait pour objectif principal de mettre en avant les produits, leur qualité, de valoriser le travail des paysans et d’expliquer les missions de l’agriculture. Il y a une dizaine d’années, on a commencé à sentir les tensions entre certains milieux et l’agriculture. Puis à voir les initiatives anti-agriculture se succéder. Le climat s’est vraiment durci et il a fallu faire face.
Comment expliquez-vous cette évolution ?
Si on prend 2004 – 2023, c’est une génération ! Les liens entre l’agriculture et la population se sont totalement distendus. A Genève, par exemple, un tiers des habitants ne sort jamais de la ville. Résultat : les citadins ont des croyances déconnectées de la réalité, qui sont en plus nourries par des groupes d’intérêts et des lobbys. Tout cela s’est amplifié avec l’arrivée et le développement d’Internet et des Réseaux sociaux où l’on raconte tout et n’importe quoi. La mission d’AGIR et le besoin d’informer les gens le plus objectivement possible sont donc devenus d’autant plus nécessaires. Cela étant, quand on ne vend pas du sensationnel, il est souvent difficile de se faire entendre.
Pensez-vous que les agriculteurs communiquent suffisamment bien sur leur activité ?
A la base, les agriculteurs ne sont pas des communicants. Ils ont leur métier à faire. Ils sont également découragés par toutes les attaques qu’ils subissent, et la manière dont ils sont perçus. A la sortie de la guerre, l’agriculteur avait un statut. Il était considéré comme le pourvoyeur de nourriture indispensable à la société, puis il est devenu un type qui produit, certes, mais qui pollue, qui fait du désordre, qui est responsable de la perte de la biodiversité, etc. Ce changement d’image s’est accéléré il y a une dizaine d’années. Aujourd’hui, l’agriculture est responsable de tous les maux de la terre. Et chacun veut y apporter des solutions. Pas forcément réalistes. Car dans l’esprit des citadins, l’agriculture, c’est simple. On plante, on sème, on récolte. Cela étant, pour en revenir à la communication, il y a aujourd’hui, dans la jeune génération, des agriculteurs hyperbranchés. Ils sont sur Instagram, Facebook, TikTok, ils ont des chaînes YouTube… Certains ont même fait des formations en communication. C’est très bien.
Comment cette communication doit-elle être faite pour être efficace ?
Il faut être didactique. Mais c’est compliqué, parce que les gens aiment les messages simples. Noir ou blanc. En réalité l’agronomie est une science complexe, qui s’apprend. Cela implique 3 ou 4 ans d’études, puis certains deviennent ingénieurs, vont au Poly… Ce sont des matières complexes qui demandent un gros travail pour être vulgarisées.
Du coup, comment une Agence d’information telle qu’AGIR doit-elle se positionner ?
Un travail va être fait pour reprendre les fondamentaux de l’Agence. L’accent sera d’avantage mis sur la communication métier, avec une présence accrue sur les Réseaux sociaux. Ce qui demande également d’autres moyens. Notamment pour développer la vidéo. L’agence a déjà pris ce virage de manière remarquable, avec des séries comme les « Kids reporters », où des enfants interrogent les agriculteurs, c’est donc hyper-vulgarisé, avec un parler vrai parce qu’on ne peut rien cacher aux enfants. On a de la chance aujourd’hui d’avoir des outils ultra-performants, il faut les utiliser, tout en sachant qu’il faut également réussir à sortir de la masse, car il y a les algorythmes.
Pourquoi la décision de quitter AGIR maintenant ?
Parce qu’il y a déjà trop longtemps que j’y suis (sourire)… Il s’avère par ailleurs qu’en juin 2024, je vais atteindre l’âge de la retraite et que, de toute façon, je devrai arrêter ce mandat. Je me lance également en politique, avec une candidature au Grand Conseil et le temps n’est pas extensible. Si je suis élu, je continuerai bien sûr à défendre l’agriculture, je m’intéresse également beaucoup aux problématiques sociétales et je souhaite vraiment travailler dans un esprit orienté solution.
Propos recueillis par Pascale Bieri/AGIR