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Une petite poire aux grandes qualités
“Schweizer Bratbirne”, “Zurcher Kugelibirne”, “Klauserbirne” ou encore parfois “Imbeli-Birne”, les noms ne manquent pas pour désigner une seule et même variété. “Je pense que l’on peut traduire par ”Poire à cuire”, relate Peter Enz, membre de FRUCTUS. L’Association pour la sauvegarde du patrimoine fruitier a décidé de mettre le focus sur cette petite poire toute ronde de la rive droite du lac de Zurich en la nommant, ce samedi 18 janvier à Meilen (ZH), “variété fruitière suisse 2020”.
Peter Enz, qui nous reçoit dans son bureau au Jardin Botanique zurichois dont il est le directeur, est très enthousiaste à l’idée de nous raconter l’histoire de la Schweizer Bratibirne. Il faut dire qu’il en connaît un rayon. Ce grand spécialiste des variétés anciennes de fruits a longtemps officié au Jardin Botanique de Fribourg où il a notamment participé aux recherches sur une autre variété, la Poire à Botzi, et ainsi à l’obtention de son AOP en 2005.
Une poire très aromatique qui peut séduire les chefs
Une des caractéristiques les plus typiques de la Poire à cuire suisse, c’est d’être l’une des dernières à mûrir. “On peut attendre jusqu’à fin octobre, voire mi-novembre, pour la récolter, en faisant bien sûr attention au gel, explique l’expert. Parfois, les fruits tombent, et il est possible de les ramasser encore au mois de mars dans les feuilles. Ils sont alors toujours bons à manger.” Mais son atout principal, c’est de convenir parfaitement à la cuisson. “Il s’agit d’une poire très aromatique, ajoute Peter Enz. Comme elle contient beaucoup de sucre, elle caramélise facilement à la cuisson. Elle est juteuse et très parfumée, avec des arômes de cannelle et de muscade.”
Entendre ce spécialiste énumérer les qualités gustatives de la Poire à cuire suisse donne l’eau à la bouche. Amoureux de cuisine, Peter Enz a testé avec sa femme différentes recettes qui sont servies ce samedi lors de la remise officielle du titre “variété fruitière suisse 2020”. Les expérimentations culinaires sont d’ailleurs une très bonne raison pour remettre au goût du jour les anciennes variétés.
“Les nouveaux chefs sont très intéressés par ce type de produits, déclare-t-il. Ils osent faire des choses différentes. Je suis par exemple ami avec Andreas Caminada (ndlr: grand chef des Grisons qui a reçu de nombreuses récompenses). Je lui amène souvent des vieilles variétés en lui conseillant de les cuisiner de telle ou telle manière. Et quand je reviens, il a mis en pratique mes conseils, ou trouvé encore d’autres manières de les cuisiner.”
Une alternative lors de la Famine de la pomme de terre
Cette poire était bien répandue autour du lac de Zurich au milieu du 19e siècle. “C’est une époque durant laquelle on utilisait beaucoup de fruits à cuire dans la cuisine”, raconte Peter Enz. La Famine de la pomme de terre, causée par le mildiou, qui a sévi en Europe dans ces années-là, fait que les familles paysannes ont remplacé le tubercule par des fruits comme la Schweizer Bratbirne. La variété sera encore bien présente dans les marchés jusqu’au début du 20e siècle. Mais la rénovation des vergers et le retour des pommes de terre feront petit à petit disparaître ce type de fruits.
Ce ne sont pas les seules raisons. La Poire à cuire suisse a aussi le défaut d’être très petite. “Les récoltes sont compliquées, confirme le scientifique. Pour obtenir un kilo, il faut beaucoup de main d’œuvre, ce qui a un impact sur son prix par rapport à une poire Williams, par exemple.” Les changements dans l’agriculture, avec notamment la disparition des vergers hautes tiges, auront aussi un impact négatif sur la production de cette variété.
Mais grâce à l’inventorisation, en Suisse, des variétés de fruits dans les années 2000, à laquelle a participé l’association FRUCTUS, de vieilles variétés sont réapparues. La Schweizer Bratbirne fut ainsi découverte sous d’autres noms, notamment dans les cantons d’Argovie et de Bâle-Campagne.
Des propriétés génétiques à sauvegarder
Pour préparer la nomination de cette “variété fruitière suisse 2020”, Peter Enz s’est également beaucoup investi en faisant de nombreuses recherches sur le terrain, notamment auprès des familles paysannes. Un travail effectué bénévolement par ce passionné, comme d’ailleurs par tous les membres de FRUCTUS. “Réhabiliter ces variétés anciennes est très important, déclare-t-il. Il y a l’aspect historique bien sûr, le rapport à nos traditions et à la cuisine. Mais les particularités génétiques de ces variétés peuvent aussi être utilisées par les chercheurs, notamment dans un contexte de réchauffement climatique.” Une petite poire qui n’a l’air de rien, mais qui recèle bel et bien de très grandes qualités.
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