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Vos framboises pourraient dire merci à l’agrivoltaïsme
S’il fallait faire face à une pénurie d’électricité, il y aurait certainement d’autres surfaces pour implanter des panneaux photovoltaïques, mais « l’offensive solaire » pourrait bien trouver dans l’agriculture un allié. Et pas uniquement pour gagner de l’argent en revendant le courant. Voilà en substance ce qui ressortait, mercredi 17 janvier, de l’exposé du chercheur d’Agroscope Louis Sutter, devant l’assemblée des députés agricoles des Grands Conseils romands, dans les locaux de l’Ecole d’agriculture du Valais.
25 ans d’analyses à mener
Il est bien sûr trop tôt pour avancer des conclusions, beaucoup de paramètres doivent encore être mesurés, certains sur 25 ans, mais la station d’essai constate déjà que le remplacement des traditionnels, inesthétiques et peu durables tunnels de plastique pour les cultures protégées peut intervenir sans réduire la productivité ou la qualité des framboises poussant en dessous. « Au contraire, ces baies viennent des sous-bois, des haies en bordure de forêts, elles apprécient un certain ombrage et des températures un peu inférieures », explique Louis Sutter.
Framboises plutôt oui, fraises plutôt non
« C’est moins le cas pour les fraises, qui ont besoin d’un ensoleillement maximal. Les panneaux que nous utilisons actuellement laissent passer soit 40% soit 60% des rayons solaires, et nous avons mesuré, pour les fraises, une baisse de production jusqu‘à 40%. Bien entendu, cela peut varier en fonction des multiples variétés existantes, mais on constate aussi un recul d’environ deux semaines dans le mûrissement de ces petits fruits, ce qui, pour les fraises en tout cas, n’est pas compatible avec les habitudes du consommateur. »
On rappelle qu’est désignée comme « agrivoltaïque », ou « agri-PV », la fabrication, sur une même surface, de produits agricoles et d’énergie photovoltaïque. Et qu’il y a aujourd’hui deux écoles. Chez nos voisins européens, la plus répandue serait celle qui consiste à monter des rangées de panneaux standards en marge d’un champ par ailleurs cultivé, sans que ces panneaux ne génèrent une production agricole spécifique.
La promesse d’un couvert plus efficient
Très différente, celle qui est étudiée par Agroscope, désormais sur plusieurs vastes surfaces pilotes à travers la Suisse (Louis Sutter avance le chiffre d’1 à 2 hectares cultivés par une poignée de privés), consiste à utiliser les panneaux comme un véritable abri, si possible plus efficient qu’une serre, en dosant ou en triant les rayons solaires nécessaires. Car en dessous de ces panneaux, plus la surface est grande, plus un micro-climat se met en place. Bonne nouvelle pour la main d’œuvre qui y travaille, mais encore réduction de la consommation d’eau nécessaire aux plantes, et, au final, meilleure acceptation de ces cultures par les riverains et par le grand public en général.
Trouver la bonne balance
« En tant que chercheur, je me dois de rester neutre dans ce dossier. J’aimerais seulement développer un outil qui soit utile à l’agriculteur pour améliorer sa production », poursuit Louis Sutter. « Je ne voudrais pas que ce soit un alibi pour faire de l’électricité, et il faudra trouver la bonne balance avec une réelle production alimentaire. Sur une petite surface, on peut ainsi imaginer que cela puisse couvrir une partie de la consommation électrique de l’exploitation, les machines agricoles autant que les frigos ».
Convaincre les agriculteurs
La liste des questions restant en suspens est tout aussi intéressante. Comment les cellules photovoltaïques doivent-elles être orientées, sachant que ce n’est plus à la mi-journée que notre consommation d’électricité est la plus haute ? Qui prend en charge le raccordement de l’installation au réseau, sachant qu’un investissement d’en moyenne 1,5 million de francs par hectare, probablement pas rentabilisé avant 10 ou 15 ans, est déjà de nature à dissuader tout agriculteur souhaitant se lancer ? Comment intégrer cette nouvelle possibilité à la législation, par exemple dans les conditions d’octroi des paiements directs ?
Définir les possibilités de demain
Sur le plan agronomique, il faut aussi étudier l’impact d’un tel micro-climat sur la présence des ravageurs, et ensuite l’impact du traitement des cultures, notamment en arboriculture, sur les panneaux eux-mêmes. Ces derniers sont garantis 25 ans, contre le vent et la neige en particulier, mais faudra-t-il les nettoyer particulièrement, et comment ?
On peut facilement rêver à tout ça, dans un 21e siècle qui ressemblerait enfin aux images fantasmagoriques de notre enfance. Les chercheurs d’Agroscope y sont déjà. Eux lèvent les points d’interrogation les uns après les autres. On peut ainsi se le noter dans un coin de tête : 2024 marquera, à Conthey, le début des tests sur la myrtille.
Etienne Arrivé/AGIR