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Interview de Simone de Montmollin en marge de la conférence de presse de ce jour d’AgriGenève présentant l’étude Agriculture 2030, Ferme du Lignon (GE) le 30 juin 2020
« Il faut repenser l’agriculture dans la perspective du consommateur »
Interviewée en marge de la conférence de presse de ce jour, la conseillère nationale et œnologue Simone de Montmollin, membre du comité de pilotage et rédactrice du document intitulé « L’agriculture genevoise en 2030 », répond aux questions d’AGIR.
Quelle agriculture veut-on pour 2030 ? Un document élaboré par AgriGenève, en collaboration avec l’Office cantonal de l’agriculture et de la nature, dessine les grands axes stratégiques vers lesquels le monde agricole devrait tendre ces dix prochaines années, en mettant le consommateur – et ses paradoxes – en perspective.
Cette réflexion, précédée par l’établissement d’un état des lieux détaillé de l’agriculture genevoise actuelle mené par Agridea, est le fruit de plusieurs ateliers et qui ont réuni notamment les représentants des différentes filières agricoles du canton.
- Simone de Montmollin, comment se porte l’agriculture genevoise ?
- C’est une agriculture dynamique, qui s’est beaucoup diversifiée ces dernières années. Elle est très orientée consommateur et jouit d’un potentiel de sympathie élevé. Mais elle est également soumise à des contraintes fortes, notamment au niveau des prix. Rappelons que Genève partage 120 kilomètres de frontières avec la France et 5 avec la Suisse.
- Quels sont les principaux défis que le monde agricole genevois va devoir affronter ces dix prochaines années ?
- Il s’agit tout d’abord d’assurer la rentabilité des entreprises et leur pérennité à long terme. On attend de plus en plus de choses de la part de l’agriculture. Elle doit être exemplaire en matière environnementale, sociale... Et on ajoute en permanence de nouvelles demandes qui ont un coût. Ce sont des valeurs ajoutées qui ne rendent pas le produit final diamétralement différent, mais qui répondent aux attentes qu’on a de l’agriculture au niveau du mode de production et de son impact sur l’environnement. Et ce coût-là n’est pas répercuté, il n’est pas valorisé aujourd’hui ou que très marginalement.
- Quand on parle d’environnement, on pense aussi au changement climatique…
- Absolument, l’évolution du climat induit des besoins d’adaptation au niveau des structures, des cultures et donc des variétés. Cela nécessite une recherche agronomique performante pour y répondre et avoir à disposition des plantes les moins exigeantes possible en termes d’utilisation d’intrants tout en étant adaptées à l’évolution des problématiques climatiques, température, disponibilité en eau, installation de nouveaux ravageurs… Ce qui a également un coût.
- Qu’en est-il des enjeux plus spécifiques à Genève ?
- On peut souligner que, par rapport à d’autres cantons, la multifonctionnalité de l’agriculture prévue dans la Constitution a pris un ancrage très concret, avec de nombreux résultats positifs concernant la biodiversité, l’environnement ou le paysage. L’acceptation et la compréhension du travail de l’agriculteur par les citoyens sont en revanche plus compliquées que dans d’autres cantons, en raison de la juxtaposition avec le milieu urbain. Des cultivateurs sont régulièrement stoppés dans leurs travaux aux champs par des promeneurs qui ne connaissent pas les réalités agricoles et dont certains travaux les inquiètent, comme les travaux de pulvérisation. Des plaintes sont même déposées pour cause de nuisances sonores ! On voit également des personnes jouer au foot dans les champs, pensant que c’est de l’herbe, alors qu’il s’agit d’une culture de blé en pleine croissance. Citons encore les problèmes de littering ou de déjections canines qui péjorent le fourrage ou nuisent au bétail. Il y a un important travail d’éducation et de sensibilisation à faire pour assurer une cohabitation harmonieuse.
- A l’inverse, l’agriculture genevoise tire-t-elle des avantages de son implantation dans un canton ville ?
- Oui, elle bénéficie d’un potentiel de population et donc de consommateurs qui doit pouvoir être valorisé à travers des circuits de distribution courts. Cela étant, il faut trouver comment répondre aux habitudes et aux besoins de ces consommateurs. On l’a vu pendant la période de confinement due au Covid 19. Tout le monde était ravi de découvrir le paysan du coin, était rassuré de pouvoir être approvisionné en légumes, viande etc. Mais les gens avaient le temps. Ils pouvaient se déplacer assez facilement car il y avait peu de trafic et n’avaient pas besoin de s’organiser dans le cadre d’une journée de travail. Les producteurs se sont démenés pour proposer des gammes complètes de produits, offrir des solutions de livraison etc; ça a très bien fonctionné. Aujourd’hui, les frontières sont à nouveau ouvertes et c’est l’hémorragie, avec l’argument du prix, toujours. Malgré toutes les déclarations d’intention, le prix reste décisif.
- Les gens veulent tout et son contraire…
- C’est le paradoxe humain ! Ce n’est pas nouveau mais c’est extrêmement exacerbé aujourd’hui. Les gens sont totalement décomplexés par rapport à cela. Ils ne sont pas choqués d’exiger le meilleur du paysan suisse, puis d’optimiser en achetant au paysan d’ailleurs. Mais il y a un moment donné une équation que l’on ne peut pas résoudre sans la contribution de tous les maillons de la chaîne. On peut demander tous les efforts au niveau de la production, ce n’est que le premier maillon. Sans cohérence tout au long de la chaîne, les résultats ne seront jamais au rendez-vous. On voudrait faire croire que tout repose sur les producteurs. C’est faux. Le distributeur, tout comme le consommateur par leur acte d’achat, détiennent un pouvoir ainsi que la responsabilité qui lui est associée.
- C’est un peu le point de départ de ce document « L’agriculture genevoise en 2030 » ?
- Effectivement. C’est un document qui a été fait en concertation avec les filières, les services cantonaux, les distributeurs, les représentants des consommateurs et d’autres acteurs. L’idée sous-jacente est que l’agriculture a pour finalité de nourrir les gens. Mais ce lien entre l’agriculteur et le consommateur est aujourd’hui limité par de nombreux intermédiaires. Une personne qui nait en 2020 à Genève peut vivre éloignée des réalités paysannes, sans savoir à quelles conditions pousse une carotte. Il faut donc recréer ce lien et faire prendre conscience des responsabilités à chaque étape du processus. C’est dans cet esprit que ce document a été conçu. Il faut véritablement repositionner l’agriculture en fonction du consommateur-acteur. On a défini 7 objectifs, tant au niveau économique que sociétal ou écologique, avec à chaque fois la vision, l’objectif vers lequel tendre ainsi que les mesures pratiques pour l’atteindre. Ce n’est pas une vision de l’agriculture pour les agriculteurs, mais une vision de l’agriculture pour la société qui inclut tous les acteurs de la chaine.
- C’est une manière de voir différente de celle qui existe aujourd’hui ?
- Oui, car on ne peut pas dire que cette vision pourra être mise en œuvre par l’agriculture seule. L’objectif n’est pas de concrétiser le maximum de points qui sont définis dans ce document, et de mettre une coche lorsque c’est le cas. Ce qu’on veut, c’est assurer une cohérence à tous les niveaux en fonction d’objectifs compris et partagés par tous. Chaque fois qu’une décision est prise qui touche l’agriculture, qu’elle soit politique ou d’ordre économique, elle devrait l’être dans la perspective de cette même vision et sous-tendre les objectifs qui en découlent. C’est à la fois le résultat d’une concertation et un document programmatique, qui se veut un guide pour l’ensemble des acteurs.
- Comment pensez-vous que l’agriculture sera réellement en 2030 ?
- Je souhaite qu’on lui ait redonné la place et la reconnaissance qu’elle mérite. L’agriculture est considérée par les Suisses comme quelque chose d’important, on l’a encore vu en 2018 avec la votation sur la sécurité alimentaire. Mais il y a ce décalage entre la réalité et les attentes. J’espère qu’en 2030 ce paradoxe sera atténué. Que les gens auront compris que la qualité souhaitée en matière de durabilité est légitime, mais qu’elle a un prix et qu’elle doit être raisonnée sur le long terme. Alors ce contrat social entre agriculture et consommateurs aura pu être renouvelé.
Propos de Simone de Montmollin recueillis par AGIR.
Lien pour consulter l’étude Agriculture 2030 :