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Bergère envers et contre tout
L’année dernière, Justine Jacquemart a vu l’un de ses moutons se faire égorger par un loup. En plein jour. C’était à l’alpage du pic Chaussy, dans le canton de Vaud. « Il était resté un peu en arrière… et les chiens ne pouvaient pas être partout en même temps. Aujourd’hui, dès qu’il y a la moindre faille, les loups en profitent pour attaquer.»
Cet été, la jeune bergère a quitté les Préalpes vaudoises pour les Alpes valaisannes. Elle garde un troupeau de 410 moutons, dans le val de Bagnes, sur l’alpage de Corbassière. Son prédécesseur, un berger qui a eu plus de 40 bêtes tuées en 2020, a abandonné.
Loup vu à la caméra thermique
Cette ancienne étudiante en lettre classique à la Sorbonne, devenue bergère il y a une quinzaine d’années, n’a pas choisi la facilité en s’installant pour trois mois aux pieds du Mont Combin. Le site est magnifique ; mais sans accès par la route. On l’atteint après plus d’une heure trente de marche sur un sentier escarpé. Quant au loup, il est toujours bien présent. « Je l’ai vu à la caméra thermique, en début de saison », confie-t-elle.
Pour faire face, Justine Jacquemart ne laisse rien au hasard. De jour, comme de nuit, ses moutons sont sous surveillance : la sienne, celle de Christelle, son aide-bergère, et celle de ses trois chiens de protection, deux Kangals et un berger d’Anatolie. « Jusqu’à présent, tout va bien, nous n’avons subi aucune attaque, mais nous restons extrêmement vigilantes. Nous avons également profité de la météo clémente. Le pire, c’est le brouillard. Il n’y a pas de visuel, les odeurs stagnent. Il est alors extrêmement difficile pour les chiens de repérer un loup. Et ces derniers n’hésitent plus à attaquer de plein jour. »
Maintien de la biodiversité
Quand ils ne pâturent pas, les moutons sont en parcs. Avec des installations que l’éleveuse déplace au fil des semaines, à la force de ses bras, pour que toute la montagne soit bien pâturée. Les ovins sortent, deux fois quatre heures par jour. Mais jamais livrés à eux-mêmes. Justine Jacquemart grimpe et dévale les pentes, comme eux, pour les avoir à l’œil.
« Le rôle du berger c’est de protéger ses moutons, de les nourrir, mais aussi de maintenir en état les alpages, d’éviter l’embroussaillement et de veiller au maintien de la biodiversité. Ce qui profite également aux randonneurs. »
Favoriser la cohabitation
Toutefois, la cohabitation ne va pas toujours de soi. C’est ce qui a amené la jeune femme a créé une association, Arcadia, pour la défense du pastoralisme. Son objectif : favoriser la compréhension et le respect entre les différents utilisateurs de la montagne : le monde agricole, le tourisme et la faune sauvage.
L’association propose notamment des formations à l’attention des randonneurs. « Souvent les gens ont peur et n’ont pas le comportement adéquat », relève la fondatrice. L’objectif est de leur expliquer le rôle que jouent ces chiens et quelle attitude avoir face à eux. »
Régulation insuffisante
Reste que, face au loup, les efforts et les systèmes de protection ont leur limite. Pour Justine Jacquemart, de même que pour une majorité des éleveurs, les mesures de régulation actuelles sont clairement insuffisantes. « Aujourd’hui, on ne parle plus de loups isolés, mais de meutes. On commence à en avoir avec cinq, six loups, il faudrait alors des meutes des cinq, six chiens pour faire face… Lorsqu’on aura des meutes de dix loups, on fera comment ? On ne peut pas avoir dix chiens de protection dans des alpages où il y aussi du tourisme. Cela ne sera tout simplement pas possible. Pour moi, il est intolérable qu’un de mes moutons puisse être tués… Je suis là pour les protéger, pas pour les laisser se faire manger. »
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Au service des moutons et de la montagne
Sous la pression constante du loup
Pascale Bieri/AGIR