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Eoliennes, vers l’unanimité verticale?
La Fondation suisse de l'énergie le relevait encore la semaine dernière: le développement de l’énergie éolienne stagne en Suisse. Elle a encore plombé, l’an dernier, le classement du pays en comparaison internationale. Avec seulement 9% de la consommation d'électricité domestique produite par l’ensemble solaire-éolien, la Suisse arrive en 22e place européenne sur 28. Tout en haut, le Danemark et la Suède produisent six à sept fois plus d'électricité solaire et éolienne par habitant que la Suisse, malgré un ensoleillement moindre.
Sur nos monts sans éoliennes…
Alors on le sait bien, les oppositions, ici, se lèvent pour chaque nouveau parc mis à l’enquête. Notre petit territoire, avec ses monts, dont la beauté et le silence sont célébrés par notre cantique national, est considéré comme ne se prêtant pas à l’implantation de mâts et de turbines. Trop de bruit, trop de nuisances, y compris pour les oiseaux. Mais une équipe de l’EPFL affirme être en passe de mettre sur le marché une révolution pour le secteur: la fabrication à grande échelle de ces éoliennes à axe de rotation vertical, en forme de carrousels, que l’on sait beaucoup moins bruyantes, bien mieux évitables par les oiseaux, mais, jusqu’ici, trop fragiles et pas assez rentables.
Une bourse d’innovation suisse
C’est à Lausanne, auprès du laboratoire de diagnostic des flux instationnaires de la faculté des sciences et techniques de l’ingénieur, que le projet a mûri. On y est accueilli par Sébastien Le Fouest, 28 ans, aujourd’hui CEO et co-fondateur, avec Daniel Fernex, sous la tutelle de la cheffe du laboratoire Karen Mulleners, de la spin-off universitaire PitchMe (une spin-off étant, pour faire simple, la première étape d’autonomisation d’une création avant sa valorisation en start-up, puis en entreprise n’ayant pas recours à des capitaux externes). Sébastien a grandi dans la région genevoise, avant de poursuivre ses études à Londres, puis d’obtenir il y a peu, à nouveau en Suisse, un doctorat sur l’aérodynamique des éoliennes à axe de rotation vertical, précisément. Et c’est une bourse d’innovation des Fonds Nationaux Suisses (le "BRIDGE Proof of Concept") qui a permis de développer leur spin-off.
Ajuster l’angle en temps réel
Une collaboration a maintenant débuté avec le fabricant d’éoliennes zurichois Agile Wind Power AG. "C’est une start-up qui expérimente depuis une quinzaine d’années ce type d’éoliennes motorisées", explique Sébastien Le Fouest. "Or nous développons avec elle un système de contrôle de l’angle des pales en temps réel, pour permettre la viabilité et un rendement optimal de ces turbines." "La technique n’est pas toute neuve, puisqu’on en trouve trace pour moudre le grain dans la Perse du IXe siècle, et que des tests pour la production d’électricité ont été menés aux Etats-Unis dans les années 1970."
Une aérodynamique jusqu’ici pénalisante
Pourtant jusqu’ici, ce système a été délaissé au profit des éoliennes traditionnelles, car victime d’une aérodynamique, dite "instationnaire", qui le fragilise. "Quand le vent augmente un peu en vitesse, il n’arrive pas à contourner la pale pour la propulser vers l’avant. Si vous avez déjà fait du voilier, vous savez qu’un changement de sens du vent peut faire se balancer la voile de gauche à droite. Ici c’est assez comparable: on appelle ce phénomène le décrochage dynamique, caractérisé par des tourbillons qui se forment juste derrière la pale. Ils vont provoquer des vibrations, des dégâts, et réduire le rendement de l’éolienne."
De multiples capteurs pour un correctif instantané
Sans trop entrer dans les détails techniques, retenez que la solution à ce problème, pour l’équipe de Sébastien Le Fouest, réside dans l’intégration aux pales de multiples capteurs, mesurant la pression de l’air et proposant instantanément le correctif le plus adéquat. Les tests réalisés en soufflerie tendent à démontrer un rendement et une durée de vie comparables, voire supérieurs, aux éoliennes classiques. Reste à poursuivre le développement sur des dimensions et dans des conditions de vent réelles.
Les agriculteurs directement concernés
"C’est la prochaine étape, avec le dépôt des brevets de notre méthode de contrôle, puis la mise en route d’une compagnie viable", conclut Sébastien Le Fouest. "Nous visons une levée de fonds à hauteur de 1,8 millions de francs pour 2025, avec dans l’idée de développer une éolienne à vocation commerciale produisant entre 10 et 200kWh." Premier marché envisagé, celui des exploitations agricoles. "On veut entrer en contact et discuter de leurs besoins car, pour la production d’électricité décentralisée, ce sont des modèles qui pourraient être très intéressants et donner aux agriculteurs, aux PME, une souveraineté énergétique. Il faut penser que l’empreinte au sol de ces éoliennes est quatre fois inférieure au solaire, et que les deux énergies sont très complémentaires au fil des saisons."
Ajoutez à cela une réduction du bruit de deux tiers et beaucoup d’oiseaux sauvés: si tout se passe comme prévu, on pourra peut-être regarder le bilan bien en face et lever, enfin, une historique barrière.
Etienne Arrivé/AGIR