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Façonner l’agriculture de demain en récrivant l'ADN
NGT, CRISPR-Cas9, ciseaux génétiques… ça vous dit quelque chose? Encore peu connues du grand public, ces technologies de pointe, qui modifient directement l’ADN des plantes, pourraient transformer l’agriculture de demain. En renforçant la résistance aux maladies, en augmentant la productivité et en améliorant l’adaptation au climat, elles offrent des solutions concrètes aux grands défis agricoles de notre époque.
Bien sûr, l’idée d’améliorer les végétaux n’est pas nouvelle. Depuis des siècles, les humains croisent et sélectionnent les cultures pour en améliorer le rendement, la résistance ou le goût. Au 20ᵉ siècle, une avancée majeure a accéléré ce processus: la mutagénèse. En provoquant des mutations génétiques aléatoires à l’aide de radiations ou d’agents chimiques, cette technique a permis de créer de nombreuses variétés utiles. Cependant, elle reste imprécise et largement dépendante du hasard.
Une précision extrême
Aujourd’hui, avec les Nouvelles Techniques de Sélection (NTS) ou Nouvelles Techniques Génomiques (NGT), on entre dans une nouvelle ère. Grâce à des outils comme CRISPR-Cas9, souvent surnommé «ciseaux génétiques», il est désormais possible d’intervenir directement sur une séquence d’ADN précise: la couper, la modifier ou la remplacer, sans toucher au reste du génome. Cette précision ouvre des perspectives inédites, permettant d’obtenir des résultats en quelques années, là où les méthodes traditionnelles nécessitaient des décennies.
Pour mieux comprendre, imaginez que le génome d’une plante est une encyclopédie composée de milliards de lettres. Chaque mot correspond à un gène responsable d’un trait particulier: la résistance à une maladie, la tolérance à la sécheresse, ou encore le rendement. Avec la méthode CRISPR-Cas9, les scientifiques peuvent localiser un mot précis, comme un gène défectueux, et le corriger ou le remplacer, sans perturber le reste du texte. «C’est comme si l’on avait deux plantes jumelles, mais avec seulement cinq ou vingt lettres modifiées dans un texte d’un milliard de lettres», explique le Pr Daniel Croll, directeur du Laboratoire de génétique évolutive à l’Université de Neuchâtel.
NGT et OGM: quelles différences?
Mais quelle est la différence entre les NGT et les anciens Organismes Génétiquement Modifiés (OGM)? Si tous les deux impliquent une modification du génome, leur approche diffère radicalement.
Les OGM, apparus dans les années 1990, utilisent la transgénèse, une technique qui consiste à insérer un gène étranger, souvent issu d’une autre espèce, dans l’ADN d’une plante. Cette méthode a permis de créer des cultures inédites comme le maïs Bt, doté d’un gène bactérien qui lui permet de produire une toxine naturelle contre certains insectes.
Les NGT, en revanche, n’introduisent pas de matériel génétique étranger. Elles se contentent d’optimiser ou de modifier les gènes existants de la plante. Cela les rapproche des mutations naturelles et, dans la foulée, pose une question essentielle: peut-on distinguer une plante modifiée par les NGT d’une plante obtenue par des moyens traditionnels?
Une invisibilité qui pose question
En effet, les modifications apportées par les NGT sont si subtiles qu’elles deviennent souvent indiscernables des mutations naturelles. «Si je sais précisément où chercher, je peux identifier une modification introduite par CRISPR. Mais sans cette information, c’est pratiquement impossible», assure Daniel Croll.
Cette invisibilité complique la question des futures réglementations. Comment tracer et étiqueter des plantes qui, d’apparence et de fonctionnement, ressemblent à celles obtenues par des méthodes traditionnelles? Ces questions nourrissent les débats sur la transparence et la traçabilité pour les consommateurs.
Des promesses, mais aussi des craintes
Les NGT soulèvent également d’autres interrogations, comme celle des brevets: ces outils, protégés par des droits de propriété intellectuelle, pourraient renforcer l’emprise des multinationales sur le secteur agricole. Ce qui pourrait limiter l’accès des petits agriculteurs à ces technologies, tout en réduisant la diversité des cultures locales.
Les impacts environnementaux, eux aussi, restent difficiles à anticiper. Bien que ciblées et maîtrisées à court terme, les modifications génétiques pourraient avoir des effets imprévus à long terme, notamment sur les écosystèmes.
Enfin, il y a la méfiance face aux nouvelles technologies. «C’est la même chose avec les vaccins à ARN messager ou la 5G… Beaucoup de gens rejettent ce qui est novateur et qu’ils ne comprennent pas», observe Daniel Croll, qui souligne l’importance d’un dialogue ouvert et transparent avec la société.
Cadre réglementaire à définir
Et qu’en est-il au niveau politique et réglementaire? En Europe, un arrêt de la Cour de justice européenne, datant de 2018, assimile les NGT aux OGM, les soumettant ainsi à des réglementations strictes. Cependant, le Parlement européen envisage de distinguer deux types de plantes: celles modifiées de manière minime, pouvant être assimilées à des plantes naturelles, et celles plus profondément transformées, qui resteraient soumises aux règles des OGM.
En Suisse, les NGT sont également assimilées aux OGM. Mais le Conseil fédéral doit réexaminer leur statut d’ici la fin du moratoire sur les OGM, prévu pour 2025. D’ici là, des essais sont autorisés, mais uniquement à des fins de recherche.
Pascale Bieri/AGIR