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"Le Bourgeon, c’est d’égal à égal avec les producteurs"
En matière de négociations avec les distributeurs, chaque branche de l’agriculture est à la recherche de la meilleure façon d’obtenir des prix à la production suffisants pour dégager un revenu décent à la fin du mois. Votre partenariat avec la Coop, depuis 31 ans, via le programme Naturaplan, est forcément un enjeu financier majeur pour les familles paysannes membres de votre fédération. Ces familles ont-elles toujours été financièrement gagnantes, et dans quelle mesure? Quelle est la tendance actuelle?
Garantir des prix équitables aux producteurs est l'une des tâches principales de notre association. Pour ce faire, nous nous asseyons autour d'une table avec des représentants de l'ensemble de la chaîne de création de valeur, et cherchons à obtenir le meilleur prix possible pour tous les participants, par exemple dans le cadre de cycles de prix indicatifs. Il est dans la nature de telles négociations que nous ne puissions pas toujours imposer notre exigence maximale. Mais nous sentons de la part des acheteurs une grande estime et une volonté de faire accepter aux consommateurs le supplément de prix pour les produits bio. Le dernier exemple en date est le supplément de 3 centimes que nos producteurs de lait bio recevront à partir du 1er juillet.
Votre Bourgeon exige le respect "d’exigences sociales" et d’une "charte pour des relations commerciales équitables". Est-ce que ce sont les conditions négociées, ou bien plutôt le succès commercial de cette gamme, avec désormais quelque 4'000 références en rayons, qui ont permis à vos producteurs de s’en sortir financièrement peut-être mieux que les autres?
Pour les agriculteurs et agricultrices bio, la durabilité économique est aussi importante que la durabilité écologique et sociale, ils y travaillent chaque jour. Il est clair que le bio est à la mode et permet chaque année à davantage d'exploitations de se convertir. Actuellement, nous recherchons activement de nouveaux producteurs et productrices pour le Bourgeon dans le cadre de notre "Offensive Grandes Cultures". Mais ils ne viendront que si les prix sont corrects. Il est évident que Coop, avec le succès de Naturaplan, joue un rôle important à cet égard. Mais Coop n'est pas la seule à s'intéresser à la marque du Bourgeon, l'ensemble du commerce de détail est également intéressé. En principe, Bio Suisse s'efforce de maintenir l'équilibre des marchés, car c'est la seule façon de réussir une croissance à long terme.
Comment se passent aujourd’hui ces négociations, pour autant que vous puissiez nous le révéler? On évoque toujours les zones d’ombres des réelles marges prélevées par Coop…
Récemment les négociations sur les prix indicatifs des céréales fourragères ont été menées, suivront celles sur les prix des céréales panifiables. Lors de ces discussions, le rôle de Bio Suisse est toujours celui d'un médiateur. Cela signifie que nous invitons à la table les acteurs de toute la filière, des producteurs aux moulins en passant par les centres collecteurs et les détaillants. Ensemble, nous cherchons le meilleur prix possible, qui permette aux producteurs d'obtenir un revenu et des investissements équitables, et qui soit réalisable au point de vente. Comme dans toute négociation, la transparence et la confiance sont essentielles. Au fil des années, tous les acteurs ont réussi à mettre en avant le développement réussi du bio, et non des intérêts individuels. Les négociations sont dures, mais justes.
Il vous incombe d’établir les cahiers des charges, très exigeants, conditionnant l’obtention du Bourgeon Bio Suisse, y compris pour des produits étrangers: cette «dépendance à la Coop» a-t-elle ici une influence? Sur le maintien de l’interdiction du «bio sectoriel» en particulier?
En Suisse, c’est la "globalité de l'exploitation agricole", par opposition au "bio sectoriel", qui est un must en bio, non seulement pour le Bourgeon, mais aussi pour l'Ordonnance bio. Une exploitation travaille soit entièrement selon les directives du Bourgeon, soit pas du tout. Cette "globalité de l'exploitation agricole" est l'une de nos principales caractéristiques distinctives, et une condition de la grande crédibilité du Bourgeon. Elle n'est pas discutable.
Vous devez composer, toujours davantage, avec la multiplication des labels bio ou flirtant avec le bio (Demeter, certification bio fédéral, domaines en reconversion, coccinelle IP-Suisse de la Production intégrée…). La Coop peut-elle vous mettre sous la menace de cette concurrence?
Bien sûr, de plus en plus d'acteurs du marché se rendent compte qu'il est possible de gagner de l'argent avec tous les produits associés à la durabilité. Il suffit de penser à toutes les voitures électriques qui arrivent maintenant de Chine. C'est tout simplement une réalité. Le Bourgeon bio est très connu et représente une garantie de la plus grande durabilité, comme peu d'autres marques en Suisse. Mais ce qui distingue le Bourgeon des autres marques, c'est qu'il appartient aux productrices et aux producteurs, et nous en sommes fiers. Les partenaires qui utilisent le Bourgeon savent qu'un partenariat solide, d'égal à égal avec la production, est la base d'une collaboration réussie.
Ainsi on a vu que Coop commençait à ouvrir ses rayons à du bio importé européen sous l’étiquette Bio 365 (comme Alnatura chez Migros), mais vous a assuré qu’aucun produit Naturaplan ne serait menacé… pour le moment seulement?
Oui, le partenariat avec Coop jouit de la plus grande confiance de notre part. Ce qui nous intéresse ensemble, c'est d'accélérer le développement de Naturaplan avec le Bourgeon suisse. Nous observons bien sûr le développement d'autres marques bio en Suisse, mais cela ne peut pas être notre principale préoccupation.
Plus généralement, ce boom du bio, même importé, met sous pression les productions indigènes plus conventionnelles, et les jeunes producteurs seront toujours pour partie tentés de vous rejoindre. Mais l’organisation Bio Suisse, sous sa forme actuelle, peut-elle continuer à grossir en accueillant tout le monde? Comment votre fédération devra-t-elle se réformer?
Alors oui, bien sûr, les entreprises qui veulent se reconvertir au bio sont les bienvenues chez nous! Et en ce qui concerne le développement futur, nous sommes actuellement engagés dans un processus stratégique au cours duquel nous discutons précisément de ce genre de questions. L'association est complexe et diversifiée, mais cela a aussi des aspects positifs. Il est important que nous nous tournions vers l'avenir afin de pouvoir développer avec succès le bio et nos entreprises. Nous verrons dans les prochains mois sous quelle forme.
Propos recueillis par Etienne Arrivé/AGIR
Quelques chiffres avancés par Bio Suisse en amont de sa conférence de presse annuelle du 19 juin: en 2023, la part de marché des produits bio dans le commerce de détail a augmenté pour atteindre 11,6%, les ventes totales ont dépassé la barre de 4 milliards de francs, sachant que 18,2% des terres agricoles suisses (SAU) sont désormais exploitées en bio.