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«Un tiers des aliments produits et jetés, c’est choquant»
On estime qu’en Suisse un tiers des aliments produits n'est jamais consommé. Comment peut-on éviter ce gaspillage alimentaire ?
Tous ces produits jetés, c’est choquant. Mais honnêtement, c’est très difficile de répondre à cette question. L’immensité, la qualité et les exigences liés au choix disponible rendent une consommation complète de ce qui est produits impossible. L’ensemble de la chaîne de mise à disposition des produits alimentaires doit innover et se repenser de manière à ce qu'on arrive à moins gaspiller. Il est également certain qu’il faut poursuivre les efforts au niveau de la communication auprès des consommateurs sur la vraie valeur des produits.
Les déchets alimentaires évitables s’élèvent à 2,8 millions de tonnes/an, en Suisse. Sans ce gaspillage alimentaire, notre taux d'auto-approvisionnement dépasserait les 70%, contre 55% aujourd’hui. Améliorer notre auto-suffisance, est-ce une urgence ?
Aujourd’hui, un ménage suisse moyen ne consacre que 6,5% de son revenu brut à l'achat de nourriture (ndlr. la moyenne européenne étant de 14,3%, soit plus du double). On peut se dire que l’alimentation n’est, en termes financiers, pas la première préoccupation des Suisses. On peut donc sérieusement douter du besoin d’un taux d’auto-approvisionnement aussi élevé tant que l’approvisionnement venant de l’extérieur est assuré. Toutefois, on sait que la donne peut rapidement changer, notamment en temps de crises. On l’a vu lors de la pandémie de Covid-19 et on le voit aujourd’hui avec le conflit en Ukraine. C’est donc un sujet très sérieux et il y a une volonté politique de travailler sur ce thème.
6,5%, c’est faible ?
Oui, c’est très bas. Mais peut-on réellement en vouloir aux consommateurs ? Peut-être que les gens cherchent à économiser sur l'alimentation parce que c’est encore un domaine où ils ont réelle liberté de choix. Par ailleurs, on peut aussi se dire qu'on a atteint un tel degré de productivisme que l'alimentation est devenue trop bon marché. Elle a en quelque sorte perdu de la valeur au profit de besoins moins basiques. Il est nécessaire de la lui redonner sans verser dans l’alarmisme et cela passe peut-être par une prise de conscience générale.
Comment convaincre les consommateurs de payer le prix pour des aliments sains et durables ?
Il est certain que l’alimentation durable est clairement sous-évaluée. Il faut travailler sur la communication. Répéter encore et toujours, qu’il faut privilégier une consommation locale et de saison. Communiquer efficacement sur les labels, leurs significations. Du côté de la grande distribution, elle doit poursuivre ses efforts pour proposer des produits respectant des critères de durabilité convaincants.
En 2021, la consommation de denrées alimentaires de l’ensemble de la Suisse s'élevait à 40’666 TJ, ce qui correspond à une augmentation de 9% en 10 ans. La population croit, le nombre de surfaces agricoles diminue. Pour répondre à une demande en perpétuelle croissance, par quoi le changement doit-il commencer ?
La corrélation entre les surfaces en diminution et l’augmentation de la population est évidente. On loge les gens, il y a des besoins croissants en infrastructures, des sols agricoles sont recouverts. C’est un choix de société assumé. Si l’on souhaite garder un auto-approvisionnement minimal, il faut prendre conscience du fait qu'on travaille avec des ressources limitées et qui se raréfient, la principale étant le sol. Ensuite, il s’agit de voir de quelle manière on peut en prendre soin. La mise en place de cultures diversifiées dans la rotation, la pratique d’une agriculture durable tenant compte de critères de biodiversité, de fumure ou encore santé des plantes qui soient ajustés sur les besoin des plantes ou encore la sélection de variétés de plantes adaptées au changement climatique sont quelques axes d’action efficaces.
La biodiversité est un thème brûlant. Pourtant continuer à grappiller des pourcentages des surfaces agricoles utiles semble paradoxal au vue du besoin de ces surfaces, non ?
La biodiversité est un aspect vital de l’agriculture. On ne peut plus y échapper si on veut assurer aux générations futures des sols vivants et exploitables. Les surfaces de biodiversité sont à priori jugées improductives à court terme, mais elles vont soutenir la productivité générale à long terme. C’est aussi une question de graduation, et certaines surfaces moins productives peuvent être utilisées à cet escient. L'idée de base de la production intégrée est de travailler avec des auxiliaires, que fournit la biodiversité et qui peuvent réguler naturellement certains ravageurs. Cela évite ou atténue le recours aux pesticides ou aux engrais de synthèses.
Nourrir une population en croissance permanente, tout en produisant une alimentation saine et durable en respect du bien-être animal et du sol… Un défi de taille auquel s’ajoute celui du réchauffement climatique. Cela donne l’impression qu’on ne va jamais y arriver, non ?
Nous sommes là, chacun dans notre rôle et à notre degré de responsabilité, pour relever les défis posés. Mais cela relève aussi d’une posture générale. Cette question politique doit tenir compte de la multitude d’initiatives individuelles ou provenant d’organisations, des projets de recherche multiples en lien au sujet. Certains thèmes comme le climat deviennent très tangibles et nécessitent un engagement sans hésitations.
Trouvez-vous que la Suisse assume ses responsabilités en matière de sécurité d’approvisionnement ?
Elle l’assume du mieux qu’elle le peut. Comme mentionné précédemment, l’alimentation n’est pas une préoccupation économique majeure. Le bien-être des habitants repose également sur d’autres piliers économiques que l’agriculture. A en juger par le succès économique de notre pays, il est relativement normal que l’alimentation soit un sujet parmi d’autres. Mais dans l’inconscient collectif, l’alimentation reste un sujet très important. On le voit lors de chaque débat parlementaire ou encore mieux lors des votations sur certaines initiatives en lien avec l’agriculture.
Comment la Suisse apporte-t-elle sa contribution à la sécurité alimentaire mondiale ?
En important une part relativement importante de son alimentation, elle contribue au maintien ou au développement de l’agriculture dans d’autres régions du monde. En collaborant à des projets d’envergure internationale, on transmet notre savoir-faire, nos techniques de production animale ou végétale, qui ont fait leurs preuves chez nous, dans des pays en voie de développement ou émergents, par exemple.
Est-il urgent de transformer la dénomination actuelle de «politique agricole» en «politique alimentaire» ?
Parler des deux phénomènes que sont la production agricole et le gaspillage alimentaire, c’est parler indirectement de politique alimentaire. Une «politique alimentaire» plutôt qu’une «politique agricole» donnerait une nouvelle direction orientée sur des solutions peut-être plus concrètes sur le long terme.
Kalina Anguelova/AGIR